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À la poursuite du diamant rose
Blood Diamond, d'Edward Zwick (USA)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 05/04/2007

En Afrique, "chaque fois qu'une ressource de valeur est découverte, les habitants de la région meurent en grand nombre et dans la misère". Et dans le cas précis des diamants, "… ces pierres servent aujourd'hui à acheter des armes et à financer des conflits locaux. Nous devons agir afin d'empêcher l'importation directe ou détournée de tous les diamants bruts provenant des zones de guerre". Se situant dans le sillage de ces propos qu'on peut entendre dans le film Blood Diamond, Edward Zwick s'engouffre dans la brèche ainsi ouverte pour apporter son écot à la lutte contre les diamants de la guerre, les diamants de sang, les diamants de la mort.

Pour ce faire, il réalise ce film de sensibilisation, déroutant quant à son fond, mais dont la structure formelle fait honneur à l'usine à rêves de Hollywood. Dès l'entame du film, grâce au montage alterné, le réalisateur met le spectateur en présence de deux mondes. Le monde douillet et feutré de ceux qui font des discours et profitent des diamants, et l'enfer de ceux qui l'extraient. Plus loin, il nous fait admirer la luminescence rougeâtre du coucher du soleil, comme pour nous rappeler sans cesse que le sujet sur lequel il planche est entaché de sang.

Par ailleurs, Blood Diamond, au travers de son récit, apparaît comme l'ascension d'un homme, Solomon Vandy (Djimon Hounsou), qui part de la gadoue des mines d'extraction de diamant au firmament de la fortune. Il gravit des montagnes, certes avec un fardeau sur le dos, mais n'est-ce pas là qu'il retrouve le sourire, et rit à gorge déployée ? Il s'envole dans un petit avion blanc épousant l'aspect d'une colombe de la paix volant vers les salles de conférence climatisées pour parler, en connaissance de cause, des dangers liés à la contrebande des diamants. C'est à ce niveau que le film est déroutant.

En effet, Solomon Vandy est un pêcheur qui vit paisiblement avec sa famille. Il veut que son fils Dia devienne médecin. Soudain, les rebelles font irruption. C'est la débandade. Solomon se retrouve malgré lui mineur, et ignore tout du lieu où se trouve sa famille. Grâce à un diamant subtilisé, et dont veut s'approprier tout le monde, il éclairera son chemin, sorte de parcours initiatique devant le mener vers les siens. Pour cela, l'aide très intéressée de Daniel Archer lui sera nécessaire. Ce nom, Archer, n'est certainement pas choisi au hasard, quand on sait que les archers sont des tireurs à l'arc, et que les francs archers, exempts d'impôts, sont des soldats de la première troupe régulière d'infanterie instituée en 1448 en France. Ce franc-tireur, mercenaire et contrebandier, traduira tout au long du film, la condescendante perception que Hollywood a des Africains. Comme pour se donner bonne conscience, le réalisateur emploie un Africain d'exception, dont la carrure et l'interprétation époustouflante du rôle de Solomon peuvent faire oublier l'infantilisation à laquelle il est assujetti. "Tu as besoin de moi que ça te plaise ou non… Sans moi, tu n'es qu'un pauvre Noir perdu en Afrique… Suis-moi… De ce côté… Dépêche-toi de sauter… Baisse-toi… Cours, cours… Si je lève la main comme ça, tu t'arrêtes. Si je la pointe vers le sol, tu te couches. Si je cris, cours, tu fonces comme si ta vie en dépendait. Compris ?" Voilà autant de propos que le "patron" Archer tient à l'endroit de son laquais.

En outre, des réminiscences du cinéma colonial sont bien présentes dans Blood Diamond. Ce cinéma qui avilissait l'homme noir. Elles refont surface dans la séquence de la jungle où le trio Archer, Vandy, et la journaliste Maddy Bowen (Jennifer Connelly) se retrouve face-à-face avec "des milices qui protègent leur territoire", et qu'il ne faut surtout pas regarder dans les yeux. En plein 21è siècle, ces milices sont habillées comme les barbares des temps reculés. Et les gros plans cadrant leurs visages présentent plutôt leur côté farouche, au contraire de celui de la journaliste, tout sourire au moment de la tension suprême. Et pour faire retomber celle-ci, Edward Zwick utilise de façon simpliste l'accessoire de l'appareil photo. Pour filmer ces barbares, Maddy leur demande de se serrer, donc de se regrouper, comme pour leur dénier toute personnalité. En fin de compte, le réalisateur les montre en ombre, marchant en file indienne vers une école sortie de nulle part, comme si c'était des fantômes. Et c'est tout logiquement que Solomon déclare piteusement : "Je connais de bonnes personnes qui soutiennent que le mal vient des Noirs, et que c'est notre peau qui en est la cause. Qu'on était plus heureux lorsque les Blancs nous dirigeaient…". Affligeant !

Pendant près de deux heures et demie de temps, Blood Diamond tient en haleine le spectateur. Film de genre, il en concentre en réalité quatre. Film d'action, il enchaîne du début à la fin des séquences où l'on retrouve des personnages surhumains tels que Solomon Vandy et Dany Archer, sachant passer entre les balles des armes automatiques. Ils déploient des trésors d'imagination (Archer), et des forces surhumaines (tous les deux) pour parvenir chacun à sa fin.

Film de guerre dont il comporte d'importantes séquences, il n'en fait cependant pas l'apologie. Bien au contraire. Ces séquences sont utilisées pour engendrer l'action, certes, mais surtout la réflexion. Doit-on tuer ou couper les membres de ses semblables pour quelques cailloux devant servir de pendentifs, de bracelets ou de bagues ? Pour Parler comme Dany Archer, doit-on faire "baou baou" simplement pour entendre "gling gling" ?

Blood Diamond apparaît aussi comme un film d'aventure, avec ses héros dont le parcours est parsemé d'embûches, son dépaysement géographique n'induisant cependant pas un aspect décontracté ou ludique.

À la fin, ce film peut également apparaître comme un film merveilleux. Et là, il est véritablement déroutant. Le héros (Solomon Vandy) semble porté par des forces invisibles et ascendantes, jouant sur son innocence béate. Cette féerie ne peut pas ne pas nous interroger quant à la finalité d'un film vu sous l'angle de la sensibilisation sur une tragédie ayant causé des milliers de morts et de réfugiés. Hollywood croit-il nous en prévenir en s'attachant à respecter son pacte datant de la fin de la crise économique de 1929, et consistant à souvent terminer les films par un happy end ?

Jean-Marie MOLLO OLINGA
Cameroun.

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