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L'enfant de l'autre
Mon Ayon, de Blaise NNOMO ZANGA (Cameroun)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 05/04/2007

Lorsque Mon Ayon s'arrête, l'on ressent comme un goût d'inachevé. Quelque chose comme une fin tirée par les cheveux, ou encore coupée au couteau. Ce sentiment de frustration est sans doute accentué par la maîtrise de son sujet par le réalisateur durant les quarante premières minutes d'un film qui en compte quarante-cinq. L'appétit venant en mangeant…

L'œuvre est construite sur une progression dramatique dont l'intensité va crescendo au fur et à mesure qu'on s'enfonce dans l'intrigue. Rendu au "climax", c'est-à-dire au paroxysme de la tension, tout s'arrête. Comme si le réalisateur avait perdu le contrôle de son film. Comme s'il ne savait plus comment faire retomber la tension. Comment l'explique-t-il ? "J'ai voulu que chacun continue le film à sa guise". Laconique et simpliste ! En réalité, Blaise Nnomo Zanga a été, comme tous les réalisateurs africains en général et camerounais en particulier, confronté à de sérieuses difficultés financières pour boucler son film. Un film tourné avec des bouts de ficelle. Quel gâchis, quand on sait que la cinématographie camerounaise tenait peut-être là un bijou qui aurait fait du bruit dans le Landerneau !

Après Les seigneurs de la forêt, son documentaire sur le festival de musique du Cameroun organisé à Paris en mai 1995, Nnomo Zanga réalise avec Mon Ayon (L'enfant du terroir) son deuxième film. Œuvre de fiction, elle est inspirée d'une coutume fang, ethnie de la forêt du sud Cameroun dont il est issu. Là-bas, la venue au monde d'un nouveau-né ne doit souffrir d'aucune suspicion, d'aucune contestation quant à l'identité de son géniteur. Le nouveau-né adultérin sera alors reconnu par le simple fait qu'il refusera de téter le sein de sa mère.

Zollo (Grégoire Belibi) est un époux très attentionné. Marié à Eda (Blanche Bilongo), ils ont déjà deux petites filles. Et Eda est enceinte. Dans de telles circonstances, l'on sait à quel point la naissance d'un garçon est souhaitée chez les Bantous de la grande forêt équatoriale. Eda accouche effectivement d'un garçon, et celui-ci refuse de téter sa mère. Est-ce un enfant adultérin ?

Avec les référents culturels de son milieu, Blaise Nnomo Zanga explore les a priori de la coutume. La langue (les acteurs jouent en fang, en ewondo, en bulu, en éton, qui sont les langues de la communauté beti du sud Cameroun) ; le décor (le film se déroule en milieu villageois extrêmement pauvre) ; la musique (le mvet qu'on entend renvoie à l'épopée et nous rapproche du conte) ; le sujet (la place de l'enfant adultérin dans la société villageoise) ; etc. Il met en scène, entre autres, le machisme qui fait apparaître les femmes comme des êtres essentiellement négatifs, du seul fait d'une faute. Dès que Zollo présume l'inconduite de son épouse, son comportement bascule. Tout d'un coup, elle ne sait plus s'occuper de ses enfants et oublie les goûts de son mari. Ne tarissant plus de reproches à son endroit, des souvenirs enfouis dans son subconscient remontent en surface au travers d'un flash-bach. On le retrouve alors en train d'épier une conversation entre son épouse et le catéchiste, alors que tout va encore bien entre eux. Nous sommes là en présence d'une situation frisant le psycho-drame, où le réalisateur démontre que notre comportement extérieur est tributaire de notre équilibre intérieur.

UN FILM D'INFLUENCES

Formé à l'INAFEC de Ouagadougou, Nnomo Zanga emprunte à suffisance aux cinémas d'Afrique de l'Ouest, péjorativement appelés à une époque "calebasse". Assistant de Jean-Pierre Dikongué Pipa sur la plupart de ses films, il en a été particulièrement influencé. Notamment au niveau du thème, celui de l'enfant adultérin. Muna Moto, traduit par L'enfant de l'autre, ne sert-il pas de fil rouge à l'intrigue de Nnomo Zanga ? Il lui emprunte par ailleurs les séquences de la rivière, lieu par excellence de la médisance, au même titre que la borne-fontaine de Francis Bebey dans Le fils d'Agatha Moudio.

Malgré un éclairage approximatif, Mon Ayon se distingue par la qualité de son montage, du cadrage, du son, et surtout par le jeu de ses acteurs. Grégoire Belibi, Athanase Messi (Essiah ou encore Vieux Frère) et Blanche Bilongo ne donnent-ils pas là la pleine mesure de leur talent ? Il est à souligner cette prestation de Blanche Bilongo qui, en quelques secondes, dans la séquence du lit conjugal, sait faire vivre et ses regrets, et son trouble intérieur, et sa volonté de reconquérir son mari, au travers simplement de sa gestuelle et de son regard.

Comment ne pas saluer aussi cette recherche technico-esthétique rendue par ce fondu enchaîné du feu qui disparaît sur monsieur et madame Zollo couchés dans leur grabat et filmés en plongée, pour mieux montrer comment le couple achève de se consumer ? Nous le répétons, Blaise Nnomo Zanga tenait en ses mains un diamant. Un diamant dont il reste à espérer qu'un jour, il achève d'en tailler toutes les facettes.

Jean-Marie MOLLO OLINGA
Cameroun.

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