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Promesses du jeune cinéma maghrébin
36ième session du Festival international du film de Rotterdam 2007
critique
rédigé par Ikbal Zalila
publié le 26/04/2007

Une des surprises le plus plaisantes de ce festival a été pour moi la qualité des films maghrébins sélectionnés. Trois jeunes auteurs, trois démarches différentes, trois manières d'être au monde.

Jilani Saadi confirme avec Ors edhib (Tendresse du loup) les bonnes impressions laissées par Khorma. Tendresse du loup se veut être un regard à la fois froid et empathique sur un jeunesse tunisienne qui a du mal à s'autonomiser confrontée aux deux figures tutélaires du père et de l'État. Jilani Saadi nous raconte 24 heures de la vie de Stoufa (incarné par l'excellent Mohamed Graya), rêveur , doux et attendrissant et de sa bande de copains, jeunes à la dérive, vivotant en quête désespérée d'amour. L'événement déclencheur est un viol collectif perpétré par la bande de copains sur la personne de Salwa, fille du quartier, prostituée de son état. Stoufa essaie de s'interposer mais ne peut rien contre ses amis déjà bien éméchés. Retrouvé par le frère de Salwa, alors que ses copains ont pris la poudre d'escampette, il est sévèrement et sauvagement corrigé. Il passera le reste de la nuit à chercher Salwa pour se venger. Il la retrouve dans un tripot miteux, elle accepte d'aller avec lui, il la ligote dans un premier temps, puis la libère, à ce moment les masques tombent et Stoufa retrouve sa nature douce et rêveuse. À ce moment, quelque chose de très beau se joue : la possibilité de l'amour (même si celui-ci s'avérera éphémère) qui transformera Stoufa.
Ors edhib est touchant à plusieurs égards. Il est traversé par une tendresse énorme charriée par un personnage hors normes, sans jamais tomber dans la compassion, ni dans le didactisme. La rue est violente, le monde de la nuit est sans concession, les êtres humains sont ce qu'ils sont, la mise en scène très nerveuse est mise au service d'une radioscopie sans concession de la violence symbolique des pères, et une violence d'État plus concrète .Cette double violence, les jeunes la retournent contre eux-mêmes, faute de pouvoir l'évacuer par le biais de l'automutilation à laquelle s'adonne Dhahbi et à laquelle il initie Stoufa. Expérimenter la douleur c'est aussi quelque part se sentir en vie pour ces jeunes à la dérive, sans travail, sans argent, sans amour. Cette violence est désamorcée par le rêve et c'est un des tours de force du film que de réussir ce mariage entre un registre hyper-réaliste et des moments oniriques qui rendent supportable le quotidien. Stoufa a en effet son Eden secret : Césaria Evora, le rhum, le Cap-vert, une petite maison sur la mer. Ce sont ces fuites sur fonds de morna cap-verdienne qui confèrent au film cette tonalité douce amère qui nous interpelle et nous émeut.


Tariq Tèguia signe avec Rouma walla entouma un premier long-métrage d'une vigueur et d'une radicalité formelles rares dans un cinéma arabe et africain majoritairement englué dans le discours. Kamal et Zina errent dans la Madrague, une périphérie d'Alger à la recherche de Bosco, un passeur censé lui fournir un faux passeport lui permettant de rejoindre l'Europe. Sur cette trame viennent se greffer des micro-évenements, les brimades de la police, les intégristes qui tuent, le journaliste pizzaoiolo. Bosco est retrouvé mort. L'errance continue l'espace d'une nuit et d'un jour.
Rouma ne raconte pas ou très peu ; l'intrigue est le prétexte à un travail sur les corps, à une saisie de la ville d'Alger de "dos" aux antipodes de l'orientalisme d'un Nadir Moknèche. Tourné essentiellement en lumière naturelle avec des acteurs non professionnels qui ne jouent pas mais subissent et nous restituent l'abattement, le poids de l'ennui, osant les silences, la sécheresse du propos, de très longs plans séquences en caméra embarquée, ce récit troué, partiellement déconstruit est sous l'influence du cinéma d'Antonioni, avec des clins d'œil à Bresson et aux premiers Godard.
Tariq Téguia a du style mais Rouma n'est pas un exercice de style, loin de là. L'actualité y est présente sans être soulignée, dans ce prêche télévisuel (entendu hors champ) d'un Cheikh qui décrète le caractère illicite du vernis à ongles pour la bonne musulmane, dans cet hymne au Jihad lu par l'intégriste criminel, dans ce face à face entre Kamal, Zina, leur ami et la police au café, dans ces mises en abyme et l'incursion de mots d'auteurs, dans ces moments où les personnages interpellent la caméra pour dire leur désir d'ailleurs, ou tout simplement pour nous crier qu'ils sont bien là et qu'ils existent.
Aux antipodes du psychologisme et du didactisme, maux qui rongent nos cinémas, Rouma scelle la réconciliation du cinéma maghrébin avec le cinéma dans son acception la plus noble.


What a wonderful world, deuxième opus du cinéaste marocain Faouzi Bensaïdi est à sa manière annonciateur de ce frémissement qui ne peut que nous réjouir des cinémas du Maghreb. S'inscrivant dans la parodie des films de James Bond, empruntant à la fois à Keaton et Elia Souleiman, Faouzi Bensaïdi nous parle de rêves brisés, de difficulté de vivre dans une grande métropole, d'amours urbains entre un tueur à gages et une fonctionnaire de police. Kamal, un monstre froid inexpressif, reçoit "ses contrats" à travers des rébus qu'il doit déchiffrer, il partage son temps entre son métier de tueur et des moments câlins avec Souad, prostituée occasionnelle mais aussi bonne à tout faire chez de riches étrangers.
Souad est très liée à Kenza, femme flic énergique en quête du grand amour, qui arrondit ses fins de mois en louant son téléphone portable à des particuliers. Kenza tombe amoureuse de Kamal qu'elle croise dans un bus. Il ne se rendra même pas compte de sa présence mais tombera amoureux de sa voix un jour qu'il tombe sur elle alors qu'il avait besoin de Souad. Ce quiproquo constituera le moteur du film, jusqu'à la séquence finale où après avoir relevé tous les défis posés par Kenza, le couple finira par se rencontrer et Kenza se rendre compte que Kamal est bien l'homme mystérieux rencontré qui l'obsède et la hante. Mais cette rencontre survient trop tard………
La parodie en tant qu'exercice est périlleuse, très souvent le décalage en constitue une fin en soi. What a wonderful world en dépit d'une exposition un peu poussive évite les écueils du genre, et réussit le tour de force de conjuguer distance et profondeur du propos. C'est ce regard distancié dictée par les canons du genre qui donne toute sa consistance à cette réflexion sur la solitude, sur le destin, sur la possibilité du rêve et sa négation, sur la déshumanisation des êtres dans les grandes métropoles sur cet ailleurs qui attire des jeunes sans présent ni avenir. Quelque chose a mûri en Faouzi Bensaïdi depuis Mille mois prometteur mais surléché et trop lâche sur le plan de l'économie du récit. What a wonderful world, plus resserré sur son sujet, moins tape à l'œil, plus audacieux, constitue un jalon dans l'œuvre d'un cinéaste appelé à jouer un rôle majeur dans la cinématographie arabo-africaine.

IKBEL ZALILA

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