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Johnny To : La singularité de la trajectoire d'un entomologiste de la pègre Hong-kongaise
36ième session du Festival international du film de Rotterdam (IFFR)
critique
rédigé par Ikbal Zalila
publié le 30/04/2007

Johnny To est un des deux cinéastes (avec Abderrahmane Sissako) auxquels le festival a rendu hommage pour sa 36ième édition en projetant une bonne partie de l'œuvre dans une section spéciale "Filmmakers in focus". Johnny To est un réalisateur qui est connu essentiellement pour être un maître du film d'action de Hong-Kong. il n'accède à la notoriété internationale que vers la fin des années 90 à la faveur de films tels que The longest night, A hero never dies, The mission, Breaking news, et plus proche de nous Election, Election 2 et The exiled.
Le cinéma de Johnny To ne se résume pas au film d'action, sa filmographie compte pas moins d'une trentaine de longs métrages où il s'est frotté à d'autres genres cinématographiques : le film d'arts martiaux, le film fantastique, la comédie, le mélodrame….
To est un réalisateur à l'aise aussi bien dans le film de commande à gros budget que dans le film d'auteur, personnel et autoproduit.
Travailler vite et traiter de questions d'actualité constituent ses deux credo et font de lui un cinéaste très prisé du public hongkongais en particulier et asiatique en général.
Il nous a été donné de voir lors de cette session trois des 4 derniers films de To.
Ce qui interpelle de prima bord c'est la facilité avec laquelle réalisateur métisse les genres, le subvertit tout en donnant l'impression de s'y inscrire. To est au delà du genre et celui-ci n'est qu'un prétexte au déploiement d'une réflexion plus ample sur l'humain et les valeurs cardinales qui régissent l'être ensemble en société, la sienne propre.
Election et Election 2 sont à cet égard emblématiques d'une démarche qui, quoique inscrite de part son univers dans le film d'action, s'en écarte par le biais d'une esthétique qui le met en abyme, un humour noir et corrosif, un désamorçage de l'action, le décalage et l'abstraction de la violence. Dans Election et Election 2, il est question d'un problème de succession dans la mafia de Hong-kong qui de "Lok" ou "Mr D" occupera le poste de parrain de la grande famille pour un mandat de deux années ? Le choix est censé être l'expression d'un consensus au sein de la grande famille car il y va évidemment de la pérennité des intérêts de tous les chefs de famille, de la survie, de l'équilibre de l'institution et de la nature des rapports futurs avec la police.
Cette élection ou plutôt cette campagne menée par deux candidats que tout oppose, Lok calme et d'une violence froide, Mr D impulsif et avide de pouvoir, infléchira le récit dans le sens d'une enquête quasi anthropologique sur le milieu, ses rites d'initiation, les relations de pouvoir au sein de la pègre et leur dynamique, le rapport de l'institution avec son environnement surtout avec la police. Les questions de l'obéissance, du poids de la parole donnée, du poids de la tradition incarnée par les aînés qui pèsent de tout leur poids sur l'issue du vote constituent les principales préoccupations de ce faux film d'action. Point de fusillade, encore moins de courses poursuites entre gangs rivaux ou avec la police, ni de femmes fatales, tous les clichés du genre sont laissés de côté au profit d'une réflexion sur ce qui fait l'équilibre d'une institution et ce qui garantit sa pérennité.
Lok jouit de la confiance du vieux parrain qui finira par rallier tous les autres chefs de famille, Mr D considère que ce poste lui revient de droit et s'insurge contre l'autorité des "vieux" en remettant en cause la tradition qui veut que l'élection soit la conséquence d'un vote consensuel de tous les chefs de famille. L'attitude de Mr D fait désordre dans un organisation régie par l'ordre et l'omerta.
Plus, la police s'en mêle et fait incarcérer les principaux chefs de famille pour mettre fin à la lutte fratricide qui se profile au début du film Le film montre très bien que le souci de l'institution policière n'est pas la violence en soi mais le désordre provoqué par le déclenchement de la lutte pour la succession. Le crime organisé est toléré en témoigne le degré d'inter -connaissance entre le patron de la police et le parrain qui prend sa retraite, mais cette tolérance s'arrête lorsque l'institution n'est plus en mesure de régler en interne ses problèmes. Le film évolue donc très rapidement vers une réflexion sur les fondements de la légitimité dans le crime organisé. La rébellion de Mr D constitue une menace pour l'équilibre d'une organisation donc pour sa survie. En s'attaquant à la tradition Mr D remet en question la légitimité de la tradition et cherche à y substituer une succession qui puiserait son fondement dans le rapport de force, la violence, menaçant ainsi l'ensemble d'un édifice jusque là parfaitement organisé.
Il y a de toute évidence une parenté entre ces deux films et la trilogie des 3 Parrain de Coppola, mais elle est seulement thématique. Si Coppola inscrit l'évolution de la mafia dans le grand mouvement de l'histoire des Etats-Unis, To opère beaucoup plus en entomologiste en interrogeant les gestes les plus anodins en décortiquant les rites d'institution et leur efficacité symbolique, les ressorts de l'obéissance dans le milieu de la pègre hongkongaise et accède par ce biais à un questionnement plus général sur l'homme dans son rapport à l'institution.
Le tout dans une mise en scène ascétique dépouillée, une lumière blafarde aux antipodes des
des canons du genre, un montage qui imprime au film une respiration lente loin du "clippage" qui caractérise généralement les films d'action et un travail de décalage par le biais de l'intrusion de l'humour à des moments de pic dramatique.

Ikbel Zalila

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