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La représentation de l'invisible *
30ème Festival International du Film du Caire - FIFC 2006 (en Egypte)
critique
rédigé par Mehrez Karoui
publié le 30/04/2007

Comment peut–on par le truchement d'un langage artistique basé sur le visuel et le perceptible à savoir le cinéma, rendre compte d'un univers qui relève plutôt du spirituel voire de l'invisible ? Tel était le mérite du film Sri Lankais Sankara (Introspection) ** du réalisateur Prasanna Jayakody présenté dans le cadre de la compétition officielle lors de la 30ème édition du Cairo International Film Festival. Dès les premiers plans du film qui suivent un générique défilant sur fond d'une peinture murale de connotation religieuse, nous nous trouvons face à une harmonie de lignes, de couleurs, de sons et de gestes qui nous installent d'emblée dans une atmosphère de sérénité, de calme et de quiétude. L'objectif est bien clair : mettre le spectateur au milieu d'un univers nettement bouddhiste. En fait, Ananda (Thumindhu Dodantenna), jeune moine bouddhiste, se rend au fin fond du pays afin de restaurer des tableaux sur les murs d'un temple situé dans un petit village isolé. Des fresques murales (Thelapaththa Jathakaya) qui illustrent les paroles du seigneur Bouddha : "L'homme qui a un grand objectif dans la vie ne doit jamais céder à la tentation devant la passion, les cinq sens et surtout la beauté des femmes". Or, le jeune Ananda découvre un jour dans un coin du temple un petit objet féminin jeté par terre. Il s'agit d'une épingle de cheveux appartenant à une ravissante jeune fille du village (Sanchini Ayendra) laissée là apparemment par simple inadvertance. Cet objet si anodin et banal qu'il soit, éveille chez le jeune moine des sensations longtemps réprimées et refoulées au fond de son âme. Tout en s'appliquant entièrement dans son travail d'artisan qui exige de lui une exécution méticuleuse, Ananda se révèle sensible à la beauté et à la sensualité des femmes évoquées par la présence de cette épingle qui devient le reflet de la beauté sublime de sa propriétaire. Ainsi, en tentant de lui rendre ce qu'elle a perdu, le jeune moine ne parvient plus à ignorer la présence de cette jeune fille au visage angélique. Et sans oser échanger avec elle un seul mot, il commence à la suivre du regard, à deviner sa présence autour de lui grâce au bruit de ses bracelets quand elle agite les mains en se déplaçant. Sans sombrer dans la vulgaire histoire d'un religieux frustré qui se trouve séduit par la beauté diabolique d'une femme, Prasanna Jayakody compose ses plans avec beaucoup de pudeur et de douceur sans pour autant sacrifier le côté charnel et sensuel que dégage cette créature féminine chaque fois qu'une partie de son corps entre en contact avec l'eau. Du fait, le moine qui devrait se détacher complètement du monde des plaisirs s'il voulait se libérer éternellement de la souffrance du corps, se trouve confronté à ses désirs enflammés. Cependant cette flamme ne surgit jamais sur la surface et demeure jusqu'à la fin comme un "feu sous l'eau". Et comme envahi par un flot d'émotions difficiles à maîtriser, Ananda caresse plus attentivement les figures sur les tableaux au moment où la musique vient nous confirmer que le monde spirituel du jeune moine est irrévocablement plongé dans l'agitation. L'autre personnage qui apparaît en ce moment dans le récit n'est autre que Ananda lui même sous son aspect naturel avec ses impulsions humaines. À ce moment, les travaux de restauration se sont achevés, et Ananda éprouve le besoin de partir immédiatement espérant échapper à ce dilemme difficile à supporter, mais quelqu'un s'amuse à endommager de nouveau les tableaux saints bravant tous les interdits. On ne voulait pas qu'il parte ?! Le plan panoramique sur les tableaux illuminés vers la fin du film accompagné d'une musique céleste indique un horizon qui dépasse les limites du champ visuel du jeune moine pris au piège dans la toile de ses désirs et de son attachement à ce monde. Sankara est certainement une première œuvre qui offre la promesse d'un auteur de talent.

par Mahrez Karoui

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