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Un polar à l'épreuve du cinéma au réel
Morituri, de Okacha Touita (Algérie)
critique
rédigé par Meriam Azizi
publié le 27/05/2007
Affiche du film
Affiche du film

L'opus est le fruit de sept mois d'un travail d'adaptation acharné. Le défi était de fusionner la trilogie que constituent Morituri, roman de l'écrivain incontesté Yasmina Khadra avec Double blanc et L'Automne des chimères. Des 245 pages (ce qui équivaut au passage à l'écran à dix heures) le réalisateur parvient à les réduire à 140. Le scénario n'a vu réellement le jour qu'avec l'intervention de l'écrivain même. L'accélération du processus de la transformation filmique repose éminemment sur la précision des informations fournies par Yasmina Khadra, spectateur et témoin oculaire de la réalité historique dans laquelle le film nous plonge.

Morituri se présente sous forme d'un film noir où l'enquête est magistralement menée par le commissaire Brahim Llob, lui aussi écrivain à ses heures perdues. Au cœur d'un Alger hanté par la menace des terroristes, Llob (lors d'une soirée mondaine) se voit hostilement soumis à l'ordre, par un gros affairiste algérois, de résoudre l'énigme de la disparition de sa fille. S'installe alors une vision dichotomique qui laisse l'honnête commissaire en marge d'une société enlisée dans la corruption. La trame de l'intrigue est subtilement tissée. Chaque détail montré ou suggéré sert à la compréhension du dénouement. Au détriment des enquêtes plus importantes, l'homme intègre, épaulé par l'inspecteur Lino, personnage interprété par Azzedine Bouraghda se perd dans la noirceur d'un labyrinthe où défilent tour à tour des personnages cyniques.
Le film installe une vision dichotomique qui repose sur le schéma classique du mal et du bien. Le spectateur est ainsi ballotté entre des images de visages hostiles et monstrueux et des images qui transmettent douceur et apaisement. Pensons aux plans de la maison sur la plage où Brahim trouve refuge chez son ami, un vieillard préférant vivre tranché dans sa tour d'ivoire que se tourmenter l'esprit en ruminant son désespoir. Dans le même ordre, s'aligne la séquence de la visite de cet ancien inspecteur qui abdiqué estimant le métier trop dangereux pour persévérer. Son visage traversé de rides affiche un pessimisme tel que la mission de le convaincre à reprendre son poste semble, à première vue, irréalisable mais finalement et le film en témoigne, l'enthousiasme et l'abnégation de Brahim ont fini par le faire rallier à la cause. À partir de là, les maillons qui manquent à la chaîne pour arriver à comprendre la complexité de l'intrigue ont commencé à émerger mais le scénario garde le suspens maintenu. Le coupable reste anonyme tant que Brahim ne s'est pas encore essoufflé. Le sentiment d'une force harcelante de source inconnue règne tout au long du film comme si le personnage est soumis à une épreuve celle de mesurer sa puissance d'endurance. Tandis les uns approuvent sa loyauté et sa témérité, d'autres sont là pour l'humilier et embrumer ses idées.
Cependant, le spectateur, pris dans le jeu, guette ce moindre moment de défaillance et pour cause. Le personnage de Brahim n'est pas inscrit dans l'absolu. Ce n'est pas le héros des séries noires qui maîtrise toutes les ficelles dès l'incipit. Il est humanisé par des moments où il laisse son exacerbation se manifester ou bien sa tristesse se dévoiler et parfois sa colère se déchaîner. La scène où se prenant à son supérieur, il le traite de corrompu, en est l'exemple. Brahim y est consacré homme aux principes solides. Le sentiment de la peur, réaction logique à la terreur qui accable la ville ne l'épargne pas et pourtant, devant les menaces qu'exerce sur lui cette voix enrouée au téléphone, Llob se contient en gardant une humeur imperturbable. Figure d'un homme fatigué devant l'absurde de la situation, certes, mais aussi et surtout, figure d'un sage rassurant sa femme chaque nuit malgré la gravité des événements et d'un père protecteur quand il s'agit de sentir le danger atteindre sa famille.
Bien que dépassé par les faits, les meurtres s'accumulant et s'enchaînant sans qu'il puisse reconnaître le coupable, l'inspecteur fait montre d'obstination à mettre sa main sur cette machine broyeuse et omniprésente qui multiplie, sans se montrer, les massacres. Que faut-il tirer de ce portrait ? Il faut dire que le protagoniste a réellement existé, qu'il a été au bord de la folie tellement le poids de l'"inexplicabilité" des choses lui pesait. Finalement, il a réussi à lever le défi. Tout est fini par rentrer dans l'ordre. Toutefois, le film continue. Le réalisateur refuse d'aller jusqu'au bout de la fiction au sens de fictif. Un maillon manque pour que l'histoire se transforme en documentaire fidèle à la réalité du pays. L'intégrité est loin de voir son jour de gloire arriver. L'intégrité est assassinée. Aussi, subtilement filmée, la mort de l'inspecteur Llob vient-elle confirmer que rien n'est encore gagné et que le pays sans ou avec ce martyr reste meurtri. Okacha nous surprend par la technique cinématographique qu'il emploie. Le choix de mettre un terme à la vie du seul être auquel l'espoir du spectateur est jusqu'à ici totalement accroché, doit être un événement sismique. Et pour ce faire, avant de montrer Brahim dans sa voiture, la tête giclée de sang, nous restons avec la caméra devant l'entrée du poste de la police où on vient de saluer la vaillance de celui qui va disparaître au détour de la rue. Là, le bruit d'une explosion retentit. L'espoir de tous s'écroule. La mascarade prend fin. On n'est pas au pays des merveilles.

Mériam Azizi

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