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Hymne à l'héroïsme au féminin
Moolaadé, de Ousmane Sembène (Sénégal)
critique
rédigé par Meriam Azizi
publié le 26/07/2007

Le patriarche du cinéma africain ne déroge pas au principe du militantisme. Moolaadé, deuxième volet d'un triptyque placé sous le signe de "l'héroïsme au quotidien", afferme la trajectoire du cinéma de Sembène souvent au souffle épique. Le film expose un sujet jusqu'à nos jours encore tabou : l'excision ; mais c'est aussi un prétexte pour rendre hommage à l'esprit de révolte et éveiller les consciences sclérosées dans un état de défaitisme paralysant. Pour bâtir un univers de croyance où le spectateur pourra adhérer à la cause du réalisateur et s'identifier dans ce combat, la création d'un personnage héroïque porte parole des grands souhaits que portent secrètement les femmes du village, constitue la matrice de l'énoncé filmique. Tourné au Burkina Faso dans un village du Sahel, le film nous plonge in media res dans l'histoire de quatre fillettes qui, destinées selon la tradition du salindé à passer l'épreuve de la purification, viennent demander le droit à la protection de la femme d'un notable, localement appelé en langue dioula, le moolaadé.

Comment ne pas éviter de verser dans l'emphase militante quand le scénario se nourrit principalement d'une question sociale controversée ? Comment extraire des faits réels qui se rapportent à ce phénomène culturel que représente la mutilation sexuelle et les transformer selon le langage cinématographique ? C'est toute l'ingéniosité d'une approche filmique digne du vieux cinéaste sénégalais que laisse déployer le tableau d'un village secoué par l'affrontement au quotidien de partisans divisés entre les deux valeurs ancestrales citées ci-dessus. Sembène garde une position impartiale ce qui correspond à sa stratégie filmique de montrer au lieu de démontrer. Le combat est mené par le personnage de Maman Collé (Fatoumata Coulibaly), seconde épouse de Bathily, la seule à avoir bravé la loi prétendument islamique de l'excision et pour cause. On apprend plus tard qu'elle a refusé de laisser exciser la seule de ses enfants qui ait survécu au couteau. Le visage traversé d'amertume, le regard vif mais souvent embrumé et le ventre ouvert au scalpel, Collé est figure de résistance. Le drame de sa flagellation par un mari agissant sous l'emprise d'un frère intransigeant représente une scène d'autant plus emblématique qu'elle correspond sur le plan narratif au climax de l'intrigue. Cette scène de la comparution devant une sorte de tribunal fabriqué pour condamner l'accusée de nuisance à la stabilité du village et d'atteinte au respect du mâle, dépasse - de par l'aspect tragique de la situation - une autre scène d'importance non moindre : la séquence où les exciseuses se pointent devant le seuil défendu par une bande rouge, noir et jaune, réclamant le retour des fillettes à leur mères. La tension atteint son paroxysme quand des deux camps les menaces commencent à déferler. Aussitôt, les sorcières parties, Collé et le groupe de femmes qui l'entoure regagnent le rythme d'une vie paisible ponctuée par des petits plaisirs comme écouter de la musique à la radio, éduquer les fillettes d'une manière ludique. Collé, au centre de toutes ses femmes, est capturée par l'objectif de la caméra de telle sorte qu'elle soit idéalisée. Elle devient objet de vénération non pas à cause de son âge puisqu'elle n'est pas l'aînée mais grâce à son intelligence et son intégrité.
Le courage de Collé et comme le hurle l'épouse aînée est digne d'ériger une statue à son effigie. Et c'est un geste méritoire. Bien que rouée sous les coups du fouet dont la violence est visualisée par les grimaces des autres épouses et de sa fille, Collé a réussi à ne pas lâcher le mot qui brise le moolaadé et rompt son pouvoir.
La panoplie des personnages qui gravitent autour de cette guerrière, dénote d'un travail de caractérisation minutieux. L'harmonie et la cohérence du jeu des acteurs confirment une orchestration bien maîtrisée du maestro Sembène. Chaque personnage dépendant ou du camp des protestataires contre le moolaadé ou du camp des alliés au principe de réforme, évolue suivant les nouvelles conjonctures qui frappent le village. Cependant, le récit nous dévoile deux personnages dont le mode de vie et de pensée n'a pas sa place au sein de la foule : "Mercenaire", le marchand ambulant au passé mystérieux et Ibrahima, l'immigré revenu de France. Marginalisés, leur calme apparent est brisé par deux scènes rapidement exposées où Ibrahima, fils idéal, finit par contester l'avis de son père sur un ton élevé et Mercenaire, indigné par le spectacle de torture infligée à Collé, ose foncer l'arracher aux bras de son mari. Plus tard on apprend de l'épouse aînée qu'il a été assassiné pour avoir commis un grand outrage. Les victimes du fléau de l'ignorance n'ont pas cessé d'accroître tout au long du film. Ce cycle de disparitions est là pour rehausser la parole de Collé devenant ainsi de plus en plus crédible et considéré. À l'approche de la fin, sa voix est déjà celle de la vérité. En véritable justicière, et malgré toutes les horreurs et les injustices qui l'accablent sur tous les plans, la Maman Collé fait preuve d'invulnérabilité et d'endurance spectaculaires à tel point que suite à son discours aux arguments fondés et aux exemples pertinents, les notables se sont trouvés infichus d'émettre la moindre objection. Il reste à citer deux plans clés au contenu visuel servant symboliquement l'intérêt dramatique de la narration : le plan où la modernité incarnée par les radios en flamme est sacrifiée devant l'entrée de la mosquée. L'absurdité de cet acte est doublement soulignée qu'il prend place devant un lieu saint. Autant le village présente une richesse historique implicitement évoquée par le plan où Ibrahima contemple ce monument élevé au milieu de la grande place, autant ses habitants engloutis dans la pauvreté et la misère culturelles ne font que passer devant la vie au lieu de la pénétrer. Le deuxième plan qui peut nourrir l'imaginaire du spectateur est celui où l'on voit les sceptres en roseau des exciseuses en train de se faire broyer la tête sous les pieds des révoltées. Cette image signale la fin d'un pouvoir dictatorial autrefois réservé au mâle. Mais aussi la naissance d'une certaine démocratie qui ouvre la voix à une vie d'entente et de dialogue entre l'homme et la femme, entre tradition et modernité. Le personnage de Collé, plus qu'un simple révolté contre des mœurs archaïques, est signifiant d'ouverture et de dignité humaine.

Meriem Azizi

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