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Jilali Ferhati, un auteur de cinéma
critique
rédigé par M'barek Housni
publié le 05/08/2007

Jilali Ferhati est un cinéaste qu'on attend. À chaque film. Pour une raison majeure : sa réputation de confectionneur de récits filmiques dotés d'un cachet artistique particulier qui reflète ses relations au cinéma et à la vie. Il est un auteur dans la pure tradition tracée par une pléiade de réalisateurs de par le monde durant la deuxième moitié du vingtième siècle. C'est-à-dire celle qui se rattache au cinéma qui se dévoile à travers la mise en scène.
Cet auteurisme auquel on peut le relier par le fait que sa contribution cinématographique se caractérise par une vision du monde et un style filmique tous deux personnels. Il ne se contente pas d'être un passeur de la technique de la réalisation seulement, mais un passeur d'idées et d'une plastique de cinéma.
On a l'occasion de le vérifier à chaque fois à travers sa filmographie riche de courts-métrages et de cinq long-métrages qui sont : Brèche dans le mur (1978), Poupées de roseaux (1981), La plage des enfants perdus (1991), Chevaux de fortune (1995), Tresses (1999) et enfin Mémoire en détention (2004).

1 - Un monde intime
La conception de J. Ferhati peut être définie par le tragique qui est une attitude face au monde où domine la compréhension via le malheur et un destin fatal qui sont vécus corporellement et intellectuellement. Presque tous ses films se construisent à partir d'un fait initiateur principal qui se distingue par sa violence. Un fait dont le support est le plus souvent le corps. Dans les films Poupées de roseaux, La plage des enfants perdusTresses c'est le viol légal par le mariage forcé dans le premier ou via une séduction déséquilibrée ou forcée aussi dans les deux autres. Le viol vu comme une blessure profonde parce que contre nature et annihilant de la volonté et le respect de l'individu. Dans Mémoire en détention c'est l'amnésie qui déclenche un processus de retour sur soi senti dans la douleur d'un temps sombre.
Dans Chevaux de fortune c'est le mal de vivre causé par des désirs inassouvis ou inaccomplis qui alourdit les gestes et empêche le corps de se sentir à l'aise dans la multitude amie et familiale. Le héros fait tout son possible pour brouiller ses proches et contrarie inlassablement le bonheur qu'ils lui prodiguent.
Il s'agit de filles devenues femmes trop tôt sans y être préparées ou de l'homme contraint de composer ou de fuir. Comme si être adulte est une tache lourde et dénuée de bienséance. Adulte équivaut à une responsabilité difficile à supporter, une étape moins reluisante que l'enfance toujours regrettée.
Et cet événement brutal déclencheur se répercute sur tout l'entourage accompagnant et dicte les démarches des autres protagonistes et colorent de son revêtement le monde qui lui immédiat. Ainsi on se retrouve vis-à-vis d'un monde qui déplait, résiste et empêche l'épanouissement, le bien-être ou tout simplement la vie paisible et inconnue. Un monde où la sensibilité magnanime, douce, généreuse et aimante est mise à dure épreuve. Les hommes ne sont que des machines tristes, qu'ils soient bons et cordiaux, tels le père dans La plage des enfants perdusTresses ; ou méchants et cruels, tels les séducteurs dans ses deux films ou le mari dans Poupées de roseaux ou bien un ancien prisonnier des années de plomb.
Et on voit que cette vision se garde de condamner ou de juger. Loin de là, elle est comme toute approche pensée, un essai qui emprunte les voies de l'émotion qu'offre le cinéma pour provoquer la sensibilisation et le débat chez le récepteur potentiel.
Une telle attitude ne peut, comme on peut le soupçonner, s'accomplir que dans un cercle restreint, intime et serré. Celui de la famille. Dans un village dans La plage des enfants perdusTresses et Poupées de roseaux. Dans le cas de Chevaux de fortune et Mémoire en détention, il y a un élargissement de l'espace des actions mais l'impression générale ressentie demeure celle de l'étroitesse et l'intime. Un lieu auquel le réalisateur confie la tâche de "marmite" où toutes les réactions et contre réactions bouillent par les comportements des voisins et des gens rencontrés.
Jilali Ferhati donne cette vision, tel un constat. La société dont il parle et qu'il filme n'a pas de grandes corrélations avec les événements majeurs que connaît la grande société. On peut sentir tel ou tel fait qui désigne le pays à une période donnée sans toutefois l'expliciter clairement. Les problèmes des candidats à l'immigration clandestine, des élections parlementaires, de la condition de la femme, des répercussions sociétales des années de la répression…etc, ne sont que des sujets complémentaires qui ne datent aucun récit. Ils sont des parallèles et des thèmes qui assistent l'intimité centrale et le sujet essentiel qui assure la "survie" d'avec un corps. Pour le réalisateur c'est l'humain qui prime d'abord. L'humain vu au dedans d'un individu et où tout un chacun peut se reconnaître et se trouver. C'est la condition humaine à proprement dit, mais le plus fréquemment vécue et vue par les femmes. Car dans les films de Jilali Ferhati c'est le regard de la femme d'à côté qui reflète les actions des différents personnages, la plupart du temps joué par le réalisateur lui-même, ce qui confirme notre idée de l'intime, qui par ailleurs, assure la bonne gouvernance de tout film.

2 - Esthétique du proche et du détail
On dénomme sous ce titre les qualités artistiques de Jilali Ferhati, ces "trucs" de cinéma avancés par le cinéaste pour bâtir son monde filmique. Son style.
Tout film cité ci haut regorge d'une foule variée de plans et séquences conçus comme tant de tableaux visant à l'investir d'une touche personnel. À commencer par le cadrage. J. Ferhati ne cesse de décadrer et surcadrer ses prises. Il penche souvent pour les fenêtres, les portes et tout cadre réel afin de cerner plus ses héros. Chaque événement pris ainsi voit son intensité dramatique accrue et comme de plus en plus amplement révélée. Dans La plage des enfants perdusTresses la géométrie de la maison ancienne est un local qui répercute le mutisme de l'héroïne prise de tout part. Chez le cinéaste, le "regard" d'une caméra est loin d'être une technique innocente. Il est un outil qui doit se placer à un point de vue précis.
Vient ensuite et conséquemment une approche de l'espace global ordonnée par le goût pour l'insolite révélateur. Et c'est là où Tanger, la ville du cinéaste, se propose comme une mine d'architectures et structures urbaines mythiques et diversifiés. Par ses ruelles, sa géographie entre montagne et plaine collée à une mer de légende. Et cet attrait ne se tarit guère quand le cinéaste investit d'autres lieux comme le village côtier de La plage des enfants perdusTresses où il s'est longuement attardé à filmer les ruines ou les ruelles nocturnes. Quoique le plaisir reste vif.
Il y a un continuel va-et-vient entre les lieux clos de l'intérieur et les ouvertures du dehors, ce qui fait varier, de cette manière les interprétations. Il n'y a plus de regard uni et unifiant. La vérité du regardé se voit multiple épousant les sensations internes. Le plus souvent ceux de la mélancolie et la trahison dans un cas, et ceux de la compréhension et la compassion dans l'autre.
Cette esthétique ne peut s'opérer que par rapport à une représentation du temps spécifique. Là la maîtrise de Jilali Ferhati privilégie l'alternance des moments animés et ceux silencieux. Le silence est une part entière dans l'expression cinématographique chez lui. Des pans de temps passent et où s'exprime seulement le mutisme profond laissant à l'image la mission de dévoiler et d'exposer le non-dit. Des regards, des gestes lents et des cris sans voix ni sons. Les longs plans sur Saida l'héroïne de Tresses, la bouche cousue, font ressentir toute la fureur contenue et le poids de tromperie au quelle elle a été conduite par son séducteur irresponsable. Même chose pour le héros de Mémoire en détention dont la perte de mémoire favorise largement l'emploi du silence pour laisser libre cours à la rhétorique de l'image mouvante.
Puis il y a toute la panoplie d'objets auxquels a recours le cinéaste pour accentuer les effets émotifs souhaités. Les éléments où abonde un décor donné fonctionnent comme des équivalents aidant l'interprétation ou soulignant la portée dramaturgique des événements. La voiture et le tas de sel qui engloutit le corps du séducteur tué par Amina dans La plage des enfants perdusTresses. La cage suspendue, où le bandit Lamrina est enfermé dans Chevaux de fortune. Autant d'exemples qui dénotent une capacité d'imagination digne du respect.

Conclusion

On a essayé, dans ce qui a précédé, de faire une lecture de quelques-unes des spécificités qui marquent l'œuvre filmographique du réalisateur Jilali Ferhati qui est presque équivalente à l'histoire de la production cinématographique marocaine puisque son premier travail, qui est un court-métrage, date de 1973 : Carom. On l'a fait à partir de ses cinq films, ceux dont il a été toujours question dans toute étude le concernant parce que plus élaborés et révélateurs de son cinéma. D'ailleurs ils ont tous reçus des prix un peu partout et ont alimenté beaucoup de réactions critiques et des réflexions bénéfiques pour le cinéma et la culture en général. Ce qui confirme le statut de cinéma d'auteur qui est le sien.

Par M'barek HOUSNI

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