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Cartouches Gauloises, de Mehdi Charef
Fumées de guerre dans les yeux
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 08/08/2007

LM Fiction de Mehdi Charef, Algérie / France, 2007
Sortie France : 8 août 2007

La guerre de libération en Algérie a profondément marqué la production de films. Surtout du côté algérien où Mohamed Lakhdar-Hamina s'en est fait le chantre depuis Le vent des Aurès, 1967, beaucoup moins du coté français où René Vautier a forcé les regards par Avoir vingt ans dans les Aurès, 1972. Mais depuis les années 1980, le sujet paraît délaissé des deux cotés malgré quelques fictions distanciés comme Les folles années du twist, 1983, de Mahmoud Zemmouri. Les cinéastes algériens emploient d'autres arguments et se cognent à la montée des intégristes, la corruption toujours galopante, la société à deux vitesses où l'émigration. En France, l'amnésie installée sur le sujet est parfois rompue par l'approche de cinéastes engagés par leur histoire familiale dans le conflit comme Philippe Faucon qui signe La trahison, 2005.
C'est justement son implication personnelle dans les derniers temps de la guerre de libération qui a longtemps tenu Mehdi Charef à l'écart du sujet. Le cinéaste a mis plusieurs années, et plusieurs films, avant d'extérioriser sa mémoire douloureuse par Cartouches Gauloises. Le récit se situe dans le dernier printemps de la guerre de libération. C'est le temps qui précède l'été de l'indépendance. Le héros, Ali, a 11 ans. Comme Mehdi Charef à l'époque. C'est dans son regard sensible, ouvert sur le monde, que viennent s'inscrire les blessures durables qui émanent des rapports tendus entre les Français qui occupent avec acharnement le terrain, et les Algériens qui s'organisent pour les pousser à partir.
Ali vend des journaux. Son père est ailleurs, c'est un "moudjahid", un combattant qui a rejoint le front. La mère tente d'assurer la cohésion du foyer et fait le relais entre les absents et les charges du quotidien. Ali se glisse dans les rues de la ville, sous le contrôle des Français qui lâchent pied sans l'admettre. La répression est accentuée par les harkis à leur service comme Djelloul qui impressionne Ali. D'autres comme le chef de gare, Barnabé, préparent avec plus de conscience le retrait des occupants. Pendant que les actes de violence se resserrent, Ali rode autour du salon où la belle Zina se prostitue pour les soldats. Il visite la voisine juive qui préfère mourir là que de partir en France. Au milieu de ces adultes en position précaire, Ali se ressource avec sa bande de copains, d'origines diverses, qui perpétuent cruellement les clivages de leur société au milieu de leurs jeux.

En captant les éclats de la guerre dans les yeux d'un enfant, celui qu'il a été et qui a vu ce que reconstitue le film, Mehdi Charef pose un regard aiguisé sur cette période clé de l'émancipation algérienne. Car c'est à partir de là que le pays prendra un nouveau départ. Mehdi Charef, lui, est parti loin, longtemps, pour oublier la torture du père, la mort d'une parente fusillée, les passants abattus dans les rues, l'humiliation de la mère voulant protéger sa fille de la convoitise des soldats, le mépris cruel des copains français, la répression, les départs déchirants, le sang versé, la tendresse brisée.
Installé en France où il écrit, Mehdi Charef est un des premiers à avoir abordé l'immigration en adaptant son roman, Le thé au harem d'Archimède, 1982. Il filme des marginaux, Miss Mona, 1986, Camomille, 1986, des femmes en quête de liberté, Au pays des Juliets, 1992, réalise un portait de femme blessée, Marie-Line, 2000, avant de retrouver le Maghreb pour tourner La fille de Keltoum, 2002. Mais c'est Cartouches Gauloises qui marque le retour tant différé de Mehdi Charef dans l'histoire algérienne, dans sa propre histoire.
Avec ses images claires, ses jeunes comédiens convaincants, ses adultes touchants, Mehdi Charef met en scène une enfance cassée par la guerre, souvent hors champs. Ce sont ses éclats qui émaillent durement ce film lumineux, linéaire, baigné de chaleur et de souffrances. Épaulé par une production française solide et fidéle, Mehdi Charef propose un voyage dans le temps pour élargir son horizon. La province algérienne se colore alors d'images d'un autre temps, comme un baume pour cicatriser une mémoire à vif. Celle qui anime encore un réalisateur algérien à nouveau sur le front.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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