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Disparition du producteur tunisien Ahmed Attia
Fin d'une belle séquence
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 15/08/2007

Le producteur Ahmed Attia s'est éteint le 10 août 2007, à Tunis, emporté par la rechute brutale d'une longue maladie. Mais la fièvre du cinéma qui l'animait depuis ses débuts, s'est transmise à ses proches, engagés à ses côtés dans la société de production Cinétéléfilms. C'est autour de cette structure, créée en 1983, que la figure énergique de Ahmed Attia s'est imposée dans les milieux du cinéma tunisien pour rayonner plus largement au delà du bassin méditerranéen.
Ahmed Attia a imprimé sa marque au renouveau du cinéma tunisien qui a soufflé dans les années 1980. Il se distingue comme l'un des premiers producteurs privés du pays à une époque où cette fonction est rare dans le Maghreb. C'est grâce à son appui et à ses visions de cinéma que des auteurs phares comme Nouri Bouzid ont pu développer leur travail en Tunisie. Il est à l'origine des premiers longs métrages de Moncef Dhouib, Moufida Tlatli et d'autres auteurs qu'il a su accompagner jusqu'à Cannes et dans les festivals internationaux. Car l'ambition et l'exigence du producteur l'ont très vite porté à engager le cinéma sur des territoires divers.

De Sousse où il est né, en 1945, en passant par Paris où il étudie les lettres modernes, jusqu'à Rome où il se forme à la réalisation, au Centro Sperimentale di cinematografia, entre 1968 et 1970, les débuts de Ahmed Baha Eddine Attia sont baignés par la passion du cinéma. Il s'essaie à la réalisation en signant des courts métrages. Après une fiction, Le vendeur d'eau (1969), il dirige des documentaires dont Takrouna (1969), Il bollerino (1970), son film diplôme, qui précédent d'autres regards sur L'industrie de la chaussure (1973), L'olivier (1974), L'université de Tunis, 1975, La côte de corail (1980).
Mais c'est dans l'organisation des tournages que Ahmed Attia se montre le plus efficace. Il est assistant réalisateur sur des films français, italiens, des fictions comme Mokhtar de Sadok Ben Aicha (1968), Justine de George Cukor (1969), Une si simple histoire de Abdellatif Ben Amar (1969). Le secteur de la production attire durablement le cinéphile. Il se base à Tunis à partir de 1973, travaille à la tête des services audiovisuels de l'Office National de la Télévision Tunisienne, de 1974 à 1978, avant de s'impliquer plus profondément dans le 7 ème art. Il devient directeur de production pour des tournages anglais (La vie de Brian, 1978), français (Rodriguez, 1978), italiens (Le larron, 1979).

Le producteur rodé met alors son expérience au service du cinéma tunisien. En 1983, Ahmed Attia fonde Cinétéléfilms et s'engage dans la mise en œuvre d'un cinéma d'auteur, sensible à explorer l'intime, les souvenirs personnels pour toucher les questions identitaires des Tunisiens. Cette démarche fonde les premiers films de Nouri Bouzid, L'homme de cendres (1986), Les sabots en or (1989), Bezness (1992, en contribuant à réconcilier les spectateurs tunisiens avec leur cinéma. Le succès international est au rendez-vous avec Halfaouine de Férid Boughedir (1990), tandis que Ahmed Attia encourage de nouveaux talents tel Moncef Dhouib avec Le sultan de la Medina (1993). A cette époque, le producteur est en plein élan. Il permet à Moufida Tlatli de débuter avec Les silences du palais (1994), Caméra d'Or au Festival de Cannes. Le producteur en vue représente la Tunisie sans négliger de produire les courts métrages de Selma Baccar, Nadia El Fani, Mounir Baaziz…
L'ambition de Ahmed Attia déborde le cinéma local pour soutenir des auteurs du monde arabe. En 1992, il réunit ses compatriotes Nouri Bouzid et Nejia Ben Mabrouk, le Marocain Mustapha Derkaoui, le Libanais Borhane Alaouie, le Palestinien Elia Soleiman pour un film à sketchs sur les conséquences des conflits, La Guerre du Golfe… et après ? Le producteur élargit sa zone d'action tout en restant fidèle à ses racines. Il oriente les films en fonction de ses intuitions, de ses parti pris. Le dialogue avec les réalisateurs est souvent passionnel, parfois conflictuel mais toujours fructueux. En 1996, il appuie le tournage de Po di sangui de Flora Gomes, venu de Guinée Bissau, puis accompagne les projets du Syrien Mohamed Malass.

La stature reconnue de Ahmed Attia en fait une figure incontournable du cinéma en Tunisie. Il assure la présidence des Journées Cinématographiques de Carthage en 1992, 1994, et innove en tentant de doter le vénérable festival d'un marché du film. Les avancées du professionnel forcent le respect, irritent certains, sans étancher sa soif de cinéma. Lorsque les conditions de production évoluent autour des années 2000, il s'implique dans la diffusion et devient l'un des représentants des initiatives de la structure Europa Cinéma au Maghreb.
Ses bureaux de Tunis jouxtent sa salle de cinéma. C'est de là qu'il organise de fameux repas d'affaires et lance de nouveaux projets comme une série de films d'animation sur l'histoire fabuleuse de Carthage. La maladie freine ses élans sans altérer l'ambition de Ahmed Attia. Il disparaît en laissant plusieurs travaux en chantier. Mais sa présence demeure dans l'élan dynamique qu'il a su donner aux fondements du cinéma tunisien de ces dernières années. Ses discussions résonnent encore dans les rues de Tunis.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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