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Dépecer / Remplir Fass
Djaay Diap, de Ismaël THIAM (Sénégal)
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 18/08/2007

Un groupe de jeunes dakarois jouent aux cartes (du Strip Poker aussi appelé strip bataille) dans le canal de Fass. Le perdant n'est peut-être pas celui qu'on pense.
Ismaël THIAM livre un très beau film efficace, inventif, concis à écouter autant qu'à regarder, avec "Diay Diap"(2004, fiction, 06 minutes).

Il y a dans ce court métrage très tonique bien des références cinématographiques et beaucoup d'originalité. Le groupe de jeunes gens qui jouent au poker dans le canal de Fass (Dakar) nous renvoie à la scène de jeu dans Touki Bouki (Djibril Diop Mambéty, 1973) qui marque le premier échec majeur de Mory et Anta pour trouver de l'argent. Il y a aussi Badou Boy (Djibril Diop Mambéty, 1970, Sénégal) dont l'action principale se passe dans le même canal à ciel ouvert qui évacue les eaux usées vers Soumbédioune (célèbre pour son marché aux poissons.

Le montage en accéléré et le film sans paroles (ou plutôt aux paroles accélérées) a eu un précédent : Bon voyage Sim (1966), dessin animé de Mustapha Alassane (Niger). Pourtant, rien n'est sûr que ces deux films aient été le point de départ du jeune cinéaste sénégalais Ismaïla Thiam. Quand bien même ce serait le fruit d'une volonté de succédané, il réussit, avec des moyens techniques simples, à créer un ton neuf et léger.

Sous la double morale du "tel est pris qui croyait prendre" et de "la victoire de David contre la horde des Goliath" (deux situations filmées dans une littéralité hilarante), le réalisateur nous offre des raisons de ne pas croire à la fatalité. Il place l'action dans le canal de Fass qui évacue les eaux usées venant du quartier populaire de Colobane vers la mer en traversant les quartiers de Point E et de Gueule Tapée.
Or, le héros du film, une fois la tête haute, reflue vers (le marché de) Colobane. Cette trajectoire à rebours marque la volonté de contribuer à la source nourricière, après avoir fait son lit avec la lie (des individus appâtés par le gain facile, sûrs de leur victoire et se gaussant déjà de la défaite de leur proie supposée fragile).

C'est un film très ancré dans un cadre urbain (la mégalopole dakaroise) où 2 millions d'habitants (moins quelques nantis, pas tous très catholiques) n'ont même pas la chance de trouver le diable afin de lui tirer la queue.
Le titre du film provient de l'argot wolof parlé par les "Boy Town" ("les Dakarois branchés") et il a un double sens. Le premier sens est "se la jouer, frimer, faire le malin", "raconter des bobards. Le second sens (plutôt littéral) est "vendre un frimeur, vendre un faiseur de malin, vendre un individu qui se la joue" ou "se faire un frimeur".

Un "Diap" désigne "un bobard" ou un frimeur (un individu qui veut jouer à être ce qu'il n'est pas), ou encore un pauvre naze, un campagnard. L'orthographe wolove correcte n'est d'ailleurs pas "Diap" mais "jap", à ne pas confondre avec ""japp"" (qui lui signifie "prendre", en wolof). La mauvaise orthographe du titre traduit bien cependant le métissage culturel dans lequel baigne l'auteur.

Les acteurs qui prêtent leurs traits à cette farce se trouvent être des créateurs parmi les plus prometteurs et novateurs du Sénégal, dont le danseur-chorégraphe Djibril Diallo (compagnie Kakatart) ou encore le styliste El Hadji Hane (marque Kaay Fii) et d'autres. Le réalisateur incarne du reste le héros. De tous temps, si des artistes aident à la légitimation du pouvoir politique, les artistes contribuent à la critique sociale. En plaçant ses personnages dans ce canal qui éventre Fass (nom qui vient de la déformation de la ville marocaine de Fez), l'auteur met à nu les tripes évidées de la misère envahissante et évidente. Mais il remplit aussi Fass, puisque les trophées repartent vers le marché de Colobane qui le jouxte.

Acteur, régisseur, stagiaire, assistant, Ismaïla Thiam a grandi entre ses compatriotes cinéastes, Djibril DIOP Mambéty et Joseph GAÏ Ramaka (Karmen, 2001. Il a fréquenté très jeune les plateaux de cinéma et a multiplié les collaborations sur divers projets artistiques ; cela n'a pas peu contribué au style enlevé et efficace de son film qui fait un grand écart inventif entre la figure espiègle de Charlie Chaplin et la désinvolture de Mambéty, ainsi que la musicalité de Ramaka et la concision de Mustapha Alassane.

Le réalisateur ne signe pas seulement un film qui développe un ton très personnel, il attire aussi notre attention sur un nom avec lequel il faudra désormais compter (il n'a pas encore rien sorti depuis ce beau film).

Thierno I. DIA

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