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Miroir aux alouettes, mirage et machiavélisme
Paris à tout prix, de Joséphine NDAGNOU (Cameroun)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 04/09/2007
Joséphine NDAGNOU
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Scène du film
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Les Saignantes de Jean-Pierre Békolo Obama
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Meiji U Tum'si
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Alex Ogou
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Jean-Marie MOLLO OLINGA
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Quand un film ne traite pas d'un sujet, c'est une histoire qu'il raconte. Et une histoire peut, en elle-même, être amusante ou triste ; ce sont ses deux caractéristiques possibles. Au cinéma, c'est la manière et la méthode utilisées pour raconter une histoire qui comptent. Le film crée alors l'émotion chez celui qui le regarde ; l'amène à réfléchir ; le divertit, et le scotche sur son siège durant tout le récit. Cette conception du cinéma est perceptible chez Joséphine Ndagnou, au travers de son tout premier film en tant que réalisatrice, un long métrage de 133 minutes intitulé Paris à tout prix.

Sorti en avant-première au palais des Congrès de Yaoundé le 09 août 2007, le film est resté une semaine au cinéma Abbia. Et à toutes les séances (14h, 18h et 21h), les 1 300 places de l'unique salle commerciale de cinéma de la capitale camerounaise ont été prises d'assaut par des cinéphiles et curieux insatiables. Paris à tout prix déroule l'histoire d'une jeune fille, Suzy, magistralement interprétée par Joséphine Ndagnou elle-même, qui veut émigrer vers la capitale française à tous les prix. Pour se sortir et sortir les siens de la misère dans laquelle ils semblent fatalement destinés.

Pour ce faire, et pour progresser dans la construction dramatique de son film, Ndagnou explore les maux qui minent la société camerounaise actuelle. Entre autres : l'escroquerie, avec le phénomène d'escrocs à col blanc appelés vulgairement "feymen" ; braquage ; vol ; prostitution ; enfants de la rue ; homosexualité ; etc. Autant d'intrigues secondaires convoquées pour soutenir l'intrigue principale dont l'objet est le machiavélisme d'une jeune femme déterminée à partir, parce que irrésistiblement attirée par les paillettes et les lumières de Paris. Un mirage, tout ce qui brille n'étant pas forcément or ! C'est cette idée forte qui dicte son cheminement réaliste au film.

Dans une certaine imagerie populaire africaine, Paris représente pas moins que le paradis terrestre ; le lieu de concrétisation de toutes les idées de bonheur. C'est la panacée de la misère. Que de rêves pourtant se sont brisés contre ce miroir aux alouettes ! Le récit de Joséphine Ndagnou, sans être moralisateur, s'attache à démontrer intelligemment cette triste réalité. Et puis, "je veux comprendre", dit-elle à un moment. Comment peut-on réunir d'importantes sommes d'argent pour s'acheter le passage vers un Occident incertain, alors que celles-ci peuvent servir à lancer une activité génératrice de biens chez soi ?

Grâce à un casting d'une justesse… hollywoodienne, à la maîtrise d'une direction d'acteurs dont la plupart sont des amateurs apparaissant pour la première fois dans un film, maîtrise de la direction d'acteurs ayant conduit à un jeu très efficace de ceux-ci, le film de Ndagnou se laisse agréablement suivre. Tout aussi efficace est le montage… à l'ancienne d'Andrée Davanture qu'on croyait retraitée, et qui reprend ainsi utilement du service, multipliant les fondus au noir (avec le même bonheur que dans Muna Moto de Jean-Pierre Dikongué Pipa), qui sont autant de respirations intervenant dans une narration au rythme haletant et passionnant.

Et que dire de la musique (de Justin Bowen, Henri Dikongué, Tala André-Marie, Atebass et autres) si puissamment mise en scène, et qui traduit ici les sentiments des comédiens, tout en suscitant l'émotion du spectateur ? Dans Paris à tout prix, n'accompagne-t-elle pas la narration et le suspense ? Non retour de Henri Dikongué ne vient-il pas ainsi se frayer heureusement une place entre les images du départ de Suzy vers la France ?

Arrivée au cinéma comme actrice de téléfilms (Japhet et Ginette ; L'étoile de Noudi) l'ayant rendue célèbre sous le pseudonyme de Ta Zibi, Joséphine Ndagnou a aussi joué dans Les Saignantes de Jean-Pierre Bekolo Obama. Réalisatrice à la télévision nationale camerounaise, elle entre sous un augure prometteur dans le monde très éprouvant des réalisateurs africains. Sans prendre de risques sur le plan technique, la jeune cinéaste laisse couler son histoire de façon linéaire. Ce qui lui confère une certaine sobriété sur le plan de l'esthétique (les images, du reste, sont très belles). Derrière et (surtout) devant la caméra, elle s'est donné ses premiers grands rôles au cinéma. Qui, autant qu'elle-même, aurait aussi bien porté ce film ? Elle joue avec ses… entrailles, démontrant par-là qu'elle a senti et son film, et son rôle. Malgré quelques prises de vue sujettes à caution telles que des prostituées filmées à un moment en contre-plongée, ou bien des au revoir à l'aéroport filmés en plongée, Paris à tout prix vaut… le prix. Et dire qu'il a été tourné avec des bouts de ficelle !

Jean-Marie MOLLO OLINGA,
Cameroun.

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