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L'écriture du désir
PARUTION : Mohammed BAKRIM, Le Désir permanent, chroniques cinématographiques, 2006.
critique
rédigé par Abdellatif Bazi
publié le 04/09/2007

Est-ce que l'écriture sur le cinéma impose des rites particuliers ou quelques critères spéciaux ? L'écriture peut-elle appréhender des images si évanescentes? Plus explicitement, avons-nous besoin d'une critique cinématographique ?
Il se pourrait que ce soit justement ces questionnements qui ont incité le critique Mohammed BAKRIM à rédiger son premier ouvrage de critique cinématographique, Le désir Permanent. Chroniques cinématographiques, un livre qui porte, entre ses pages, des traces et des indices multiples qui témoignent d'un esprit subtil et d'un intérêt permanent pour tout ce qui concerne la chose cinématographique dans ses diverses dimensions et manifestations, et qui reflète aussi et surtout "un amour infini" pour les films de qualité
Le Désir Permanent nous propose une écriture qui demeure fidèle à son sujet, l'accompagne avec une logique et une précision qui lui permettent de susciter de multiples questionnements, de les éclaircir et de les exprimer grâce à un métalangage expressif et élégant, l'objectif étant de dialoguer avec le plus grand nombre de lecteurs. Un bon critique est justement un lecteur généreux, toujours animé du désir de partager avec les autres ses plaisirs, sa démarche et les résultats de ses investigations. Et à ce sujet, Bakrim aime expérimenter ses déductions au moment où elles se reflètent chez les autres, et exprime clairement son vœu de voir la critique cinématographique dotée d'un arsenal et d'une conscience théorique riche, porteurs de problématiques et d'enjeux modernes dans le but de lui épargner les débats des cafés (comme s'il s'agissait de football), débat que le premier venu pourrait soutenir sans gêne, comme le laisse entendre J.-L. Godard. Cependant, il ne faut pas croire que l'auteur prend trop au sérieux ses démarches. Son projet et son ambition consistent tout simplement à éviter à la critique de tomber dans le simplisme et la médiocrité qui portent préjudice à la fois à l'objet et à la critique cinématographiques. Et c'est donc pour cette raison que l'auteur s'est étendu longuement sur des concepts tels: le Néoréalisme, le Sens, le Réalisme au cinéma, le Scénario, École et Cinéma, Écrire pour la télévision, Cinéma d'auteur, la Consommation et la Réception esthétique. À partir de là, l'auteur s'est attelé à une lecture minutieuse d'un corpus de film, marocains (Les Yeux secs, Adieu forain, Mémoire en détention, Taïf Nizar, …), optant plutôt pour une démarche sémiotique avec une charge sociale pour mieux approcher ces diverses productions. Cependant son intérêt pour le cinéma ne se limite pas seulement aux œuvres marocaines. Son domaine d'investigation s'étend également pour toucher le cinéma universel partant du postulat qu'"Au cinéma, on peut dire rapidement que le langage est universel mais les codes sont culturels. Comment peut-on inscrire le cinéma marocain dans ce débat?" (1). Autrement dit, on peut rejoindre l'auteur et nous demander : n'est-il pas temps pour notre cinéma d'occuper ne serait-ce qu'une petite place dans l'imaginaire des gens et d'atteindre à une certaine universalité? Bakrim rend également un hommage particulier au Court Métrage dont il salue les promesses très prometteuses. Et dans le but de réhabiliter les notions de "féerie" et de "spectacle", il a tenu à saluer quelques unes de nos belles et talentueuses actrices (Snaa Alaoui, Kh. Bitioui…) et quelques uns des acteurs les plus attirants et les plus populaires (M. Meftah, A. Didane, H. Skalli…) revendiquant le droit pour les Marocains d'avoir, eux aussi, des stars qui pourraient exhorter les gens à se rendre dans les salles de cinéma. Cependant, l'auteur n'y va pas toujours avec le dos de la cuillère quand il se penche sur les Courts et les Longs métrages. Son but étant de montrer, grâce aux subtilités de ses analyses, les forces et les faiblesses d'un film. Il n'est plus à démontrer que tous les films ne se ressemblent ni du point de vue esthétique ni du point de vue thématique comme voudrait ne le faire croire une certaine critique plutôt formaliste et froide, alors que le discours critique doit être engagé à défendre des valeurs précises. À ce titre, le choix du film Mille mois de F. Bensaïdi pour la couverture du livre prouve, s'il en ait besoin, les préférences de notre auteur pour un certain cinéma avec lequel il se trouve en symbiose.
Il faut noter que les mots clés de cet ouvrage sont "le désir" et "la recherche": "À l'origine de l'écriture, dira l'auteur, il y a le désir de posséder l'objet du désir…" (2) Or, la tentative d'appréhender l'objet de ce désir se solde fréquemment par le désenchantement, voire la douleur. Doit-on dire pour autant qu'un critique de cinéma est foncièrement un être "tragique"parce qu'il sait d'avance qu'il ne saura pas toujours cerner l'objet de son désir ? On est on droit de penser qu'on est en présence d'une sorte de masochisme qui pousse le créateur à s'atteler dans une aventure dont il soupçonne d'avance l'issue incertain, voire l'échec, cependant le critique à ses raisons que peut être "la raison ne connaît pas". Il faut dire que toutes ces oeuvres auxquelles il semble renoncer, se sentent orphelines et délaissées. En outre, le cinéma marocain a grand besoin d'une critique innovatrice susceptible de l'accompagner et de la soutenir dans son projet de réconciliation avec son public, surtout que bon nombre de ses productions s'approchent plutôt de ce qu'on appelle "cinéma d'auteur", cinéma qui, comme nous le savons, nécessite plus de lectures et d'éclairage que n'importe quel autre cinéma.
Alors que l'objet de la recherche (au sens greimassien du terme), reste la spécificité: spécificité des films choisis, spécificité du discours critique pour que ce discours devienne un outil d'analyse et d'expression qui pourrait avoir droit de cité parmi nos autres expressions culturelles, et possédant un statut estimable qui lui permettrait de nouer des liens avec la société et avec la vie, de s'orienter vers les lecteurs les cinéastes, et vers les films dans le but d'écouter leurs angoisses et leurs silences. À ce sujet, N. Saïl confirme ce point de vue dans l'une de ses études en disant : "… l'un des rôles principaux que doit jouer la critique cinématographique consiste à éclairer les catégories du discours cinématographique et d'analyser les intérêts qui régissent les confrontations que connaît le monde du spectacle, de construire le plus grand nombre de passerelles qui permettraient de véhiculer le discours vers ses vrais destinataires…" (3). Il est certain donc que le discours critique au cinéma joue le rôle du médiateur entre les productions cinématographiques et les spectateurs ou les éventuels spectateurs ou même tous ceux qui aiment visionner plusieurs fois le même film, comme il devrait être aussi le révélateur des secrets de ces productions. Le critique doit insister sur le fait que le visionnement d'un film demeure un moment particulier dans la gestion du temps et de l'espace (4) dans la mesure où cet instant de plaisir témoigne du désir d'une société d'être ou de devenir moderne.
La critique, comme il en ressort de ce livre, est donc l'expression d'une conviction qui met en lumière ses projets, imitant par là les mouvements de la caméra quand elle veut mettre en valeur des éléments particuliers selon la sensibilité et la vision esthétique et intellectuelle de l'artiste. En plus, la critique cinématographique construit ses sujets et lui donne de nouvelles significations à l'instar du montage des images. À partir de là, la critique ne se limite plus à être seulement descriptive, mais elle se voit obligée de secouer la structure des films et réordonner ses constituants. Cependant, la critique demeure aussi et surtout une ouvre de création qui invente et enrichie le film invitant le spectateur à adopter un point de vue critique sur ce qu'on lui propose pour mieux en profiter et renouveler son plaisir.

par Abdellatif Bazi*
(Traduit de l'arabe par Nour Eddine Bendriss)

* Critique, membre de l'Union des écrivains du Maroc

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