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Frictions couleurs banlieue
Regarde-moi, de Audrey Estrougo (France)
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 30/09/2007

Regarde-moi
LM Fiction de Audrey Estrougo, France, 2006
Sortie France : 26 septembre 2007

Il y a du remue ménage dans les banlieues françaises. Le métissage obligé, introduit après les vagues d'immigrations successives, n'en finit pas de rallumer les tensions. Le cinéma s'est emparé du phénomène avec des films malins comme Raï de Thomas Gilou, 1987. Après 1990, les péripéties des jeunes immigrés deviennent à la mode dans le sillage de Hexagone de Malik Chibane, 1993. Le ton monte jusqu'à l'explosion dans La haine de Mathieu Kassowitz, 1995, et même quand ça se calme, il y a des conflits et des combines dans l'air comme le souligne Petits frères de Jacques Doillon, 1999. Depuis 2000, à part quelques histoires positives comme L'esquive de Abdel Kechiche, la banlieue reste une zone en marge, où la cohabitation est rude. L'incompréhension des générations, la drogue, les trafics circulent aussi vite que les provocations et les heurts avec la police comme le rappelle Wesh Wesh Qu'est ce qui se passe ? de Rabah Zameur-Aïmeche, 2002.
Aujourd'hui, quand le cinéma français s'aventure en banlieue, l'histoire reste sous tension, zébrée par les questions raciales. C'est ce que souligne Regarde-moi, le premier long métrage de Audrey Estrougo. Née dans les beaux quartiers de Paris, elle fréquente la banlieue, adolescente, pour y vivre quatre ans en suivant sa famille : "Je suis devenue une véritable verlanaise (qui parle le verlan quoi !), championne de l'agression verbale et de la rétention de sentiments puisque quoiqu'il advienne, j'étais sur la défensive, prête à dégainer !" Quelques années plus tard, après trois courts métrages, elle injecte son énergie dans une histoire de reconnaissance affective, plantée au nord de Paris.

Regarde-moi annonce la demande d'amour éperdue d'un groupe de jeunes voisins de la cité. Jo est Noir et se prépare à partir au football club d'Arsenal. Son copain Yannick est Blanc et soupire en vain pour la Noire Melissa. Et Mouss qui est Noir, voudrait conclure sa relation avec la pâle Daphné. Mais sa camarade, la blonde Julie, fait craquer le grand Jo, convoité en secret par la Noire Fatouma. Tout ce monde s'entrecroise sur l'échiquier serré de la cité. Les réflexions acides, les espoirs d'ailleurs crépitent. Les contrastes de peaux alimentent les rivalités. Le cercle des sentiments se serre en Noirs et Blancs autour du quotidien, creusé par la guerre des sexes.
"Voilà mon film !", exulte la réalisatrice. "Une histoire qui se lit en deux temps". Elle construit le récit en suivant d'abord ses personnages avec des travellings qui permettent de repérer l'espace de la cité. "La première partie décrit le monde des garçons et leur vision des filles, d'un côté la sœur et de l'autre celle qui couche. Cela permet au spectateur de comprendre pourquoi les filles doivent renoncer à leur féminité en adoptant les codes masculins de leurs frères." Après une séquence rageuse qui vire au clip noir et blanc, où les filles se défoulent, Audrey Estrougo se rapproche d'elles pour revoir l'histoire de leur point de vue : "La seconde partie montre les conséquences du reniement de soi : la frustration, la rancœur, le racisme et l'incompréhension de l'autre. C'est aussi une manière de montrer aux spectateurs ce qu'ils pensent connaître de la vie dans une cité, et ensuite ce qu'ils ignorent."
En s'appuyant sur la conviction de ses jeunes acteurs, Regarde-moi met en lumière les rivalités identitaires qui opposent des copains que tout rapproche. Le mal être des banlieues s'y répand sans misérabilisme jusqu'à l'affrontement final entre la Noire et la Blanche. "C'est le cheminement de cette violence qui m'intéressait", indique la réalisatrice, "À l'écran, il reste à la fin deux victimes." Autour d'elles la cité, filmée en Scope, se révèle dans une mise en scène plus élaborée qu'il n'y paraît. "Regarde-moi n'est pas un reportage, mais un film", insiste Audrey Estrougo, "C'est aussi une manière d'instaurer une distance avec l'histoire, car je n'ai pas la prétention de détenir la vérité sur la vie en banlieue. J'ai fait un film sur le vécu avec mon ressenti."

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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