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22ème FESTIVAL DU FILM FRANCOPHONE
critique
rédigé par Mohamadou Mahmoun Faye
publié le 04/10/2007
Mohamadou Mahmoun FAYE
Mohamadou Mahmoun FAYE

Lundi soir à la salle Caméo 3 de Namur, trois documentaires de jeunes cinéastes sénégalais ont été projetés. Les réalisateurs Adam Sie, Oumy Ndour et Abdoul Aziz Cissé ont respectivement présenté Thiam B.B., Njakhass (patchwork) et La brèche devant un public qui a bien apprécié leurs œuvres.

NAMUR - À Saint-Louis, au Nord du Sénégal, vit un peintre atypique. Cet artiste qui signe ses tableaux d'un simple "Thiam B.B." exerce sur les murs et sur les portes des maisons depuis une trentaine d'années. Ses œuvres sont connues de tous les habitants de l'ancienne capitale du Sénégal et de nombreuses villes du pays. Le peintre mural de Saint-Louis ne représente qu'un seul modèle : Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie musulmane du mouridisme. Lui même est un mouride convaincu qui, par la peinture, exprime sa foi et sa dévotion envers Bamba. Il ne peut s'empêche de dessiner sur les murs la silhouette de son guide religieux. C'est plus fort que lui. Et lorsqu'il fait glisser son pinceau sur les murs immaculés de Saint-Louis ou de Dakar, il sent comme une force spirituelle vibrer au fond de son âme. "J'ai peint des représentations du Cheikh dans d'autres pays d'Afrique comme le Nigeria", explique-t-il devant la caméra d'Adam Sie. Le jeune réalisateur suit l'artiste dans son intimité et parvient à arracher des confidences à cet homme sobre qui parle peu. Et au-delà des tableaux de Thiam B.B. (Beugue Bamba ou le disciple de Bamba), il se livre à un décryptage de la confrérie des mourides assez bien répandue au Sénégal. Le film documentaire de vingt minutes est rempli de silences et de plans fixes sur des pans de murs, des devantures de commerces ou de simples pirogues où trône l'effigie du Cheikh. De belles images qui nous font voyager dans un univers assez poétique où le discours religieux retrace l'épopée d'un homme qui a su résister à l'idéologie coloniale et qui demeure une fierté pour tout un peuple.
Le deuxième documentaire présenté lundi soir est presque de la même veine. Dans Njakhass (patchwork), Oumy Ndour explore également l'univers du mouridisme, mais insiste sur la branche des "Baye Fall" dont le guide, Cheikh Ibrahima Fall, était l'un des plus fidèles disciples de Bamba. Mais contrairement à Adam Sie, la réalisatrice et journaliste (elle officie à la Télévision nationale du Sénégal) a préféré campé sa caméra dans le décor d'une famille d'un quartier populaire de Saint-Louis. "Au début, je voulais faire un film sur les femmes baye fall, mais au fil de mes repérages le sujet s'est élargi", raconte-t-elle. Finalement, Oumy Ndour a décidé de raconter le quotidien de Idrissa Mbaye et de Fa Ndiaye, un couple de baye fall qui vit dans une grande concession, entouré de leurs enfants, petits-enfants et d'une flopée d'animaux domestiques comme ce singe, ce chien, cette chèvre et cette oie qui sont omniprésents dans certaines scènes du film. Cette famille d'une trentaine d'âmes s'ouvre à la curiosité de la cinéaste et laisse la caméra fouiner quelques recoins de la maison. La philosophie du baye fallisme repose sur le culte du travail et sur la dévotion totale envers le guide religieux. Le couple raconte ainsi son quotidien et se livre entièrement, jusqu'à dévoiler un coin de voile de sa vie privée. Un documentaire de 20 minutes assez plaisant à regarder et qui montre que la religion musulmane, au-delà des discours et des clichés qui la stigmatisent, est ouverte et tolérante.
CADRE ÉCOLOGIQUE BOULEVERSÉ
Avec La brèche, troisième documentaire présenté lundi soir, Abdoul Aziz Cissé évoque un sujet tragique. C'est l'histoire d'hommes et de femmes qui ont presque tout perdu à cause d'une décision maladroite. Les populations qui vivent aux alentours de Saint-Louis vivent un drame depuis qu'une brèche a été ouverte au niveau du fleuve pour éviter que la ville ne soit plus sous la menace des inondations. Cette brèche, ouverte en 2003, est devenue un véritable calvaire pour les maraîchers, les pêcheurs, les agriculteurs et les éleveurs dont le cadre écologique a été radicalement bouleversé. Prévue pour occuper une surface de 8 mètres, la brèche s'est élargie jusqu'à 800 mètres. Résultat : les eaux salées de la mer ont pénétré à l'intérieur des terres qui, désormais, ne sont plus cultivables. Des espèces de poissons qui faisaient la joie et la fortune des populations ont disparu ; le maraîchage, dont les rendements se chiffraient à des tonnes de produits, n'est plus florissant ; les hommes et les bêtes ne trouvent plus d'eau douce à des kilomètres à la ronde… Bref, une catastrophe écologique aux conséquences incalculables est en train de se dérouler dans la région Nord du Sénégal. Et les habitants vivent ce clavaire devant l'indifférence la plus totale. C'est là où réside le mérite de Abdoul Aziz Cissé qui est allé à la rencontre d'anonymes villageois dont l'environnement a été saccagé du fait de la décision malheureuse de fonctionnaires venus de Dakar. L'eau est omniprésente dans ce documentaire où s'expriment des personnages comme l'écrivain saint-louisien Louis Camara qui convoque les génies et les mythes comme Mame Coumba Bang pour expliquer quelques phénomènes surnaturels. Dommage que le réalisateur n'ait pas interrogé un militant écologiste ou illustré son film de chiffres et de détails qui auraient permis aux spectateurs de mieux comprendre l'ampleur de cette catastrophe. Les trois documentaires ont été réalisés dans le cadre d'une résidence de trois mois qui a eu lieu cette année à Saint-Louis. Ce projet est le fruit de la collaboration entre le Festival belge "Filmer à tout prix", le GSRA, le Média Centre de Dakar, l'Ecole nationale des Arts de Dakar et la coopération de la Wallonie.

MODOU MAMOUNE FAYE

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