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Étrangers dans l'exil
Un homme perdu, de Danielle Arbid (France/Liban)
critique
rédigé par Meriam Azizi
publié le 30/11/2007
Danielle Arbid, la réalisatrice
Danielle Arbid, la réalisatrice
Meriam Azizi
Meriam Azizi

Un travail photographique serait à l'origine de la fiction. L'auteur, Antoine d'Agata, aurait, par ses clichés nocturnes en Moyen Orient, inspiré la réalisatrice. Thomas, son homologue diégétique, n'est autre que Melvil Poupaud, décidément forgé à ce métier depuis Le Temps qui reste de François. Le récit déroule l'histoire de deux destins qui, malgré la divergence de leurs provenances, se croisent au fil de leur passage par des territoires étranges. Étranges par un écart socio-culturel pour le français chasseur de sensations extrêmes. Étranges aussi, pour le Libanais, incarné par Alexandre Siddig, à cause de son état amnésique. Danielle Arbid, auteur Des Champs de bataille, réinvente ici la question de l'exil. Un homme perdu se veut ainsi, l'allégorie d'une errance double, un discours direct et frontalement franc sur le malaise des pays arabes, mais aussi la métaphore de l'autoportrait en dilemme de sa réalisatrice.

L'incipit produit, dès l'ouverture du film, l'effet d'annonce que rend visible une multitude de signes sonores et iconiques. L'instance narrative augure déjà d'un voyage en quête identitaire qui serait la thématique vectorielle. Que nous montre la première séquence ? Un homme en fuite, courant dans les rues fantomatiques de Beyrouth à la date de 1985 et qui gardera la même attitude comportementale en restant davantage, d'après l'indication elliptique de vingt ans plus tard, un fugitif infatigable. L'émergence du personnage du photographe tient dans le scénario la fonction d'un révélateur (au sens chimique) de la profonde perdition mélancolique de son opposant et à la fois adjuvant, Fouad. La divergence qui les surdétermine - d'un côté, le mutisme du revenant désorienté et de l'autre, la logorrhée interrogative d'un artiste en perpétuelle agitation, le tout assorti d'une série d'attractions et de répulsions répétitives, définit l'amorce d'une rencontre virant à une convergence progressivement établie.
Aussi, le paradoxe sur lequel repose la caractérisation des personnages, s'estompe-t-il à mesure que la narration avance. Le contenu du film se fait alors une succession d'événements dont la valeur dramatique est d'illustrer l'accentuation de la crise et la marche vers une contrée où les deux personnages-mondes ne seront au final qu'un miroir reflétant l'image d'un seul être. À ce propos, le film n'est pas uniquement sur l'exil mais aussi sur l'altérité. À l'initial, une distance maintient les deux exilés éloignés l'un de l'autre. Puis s'instaure un processus de découverte de l'autre et une tentative obsessionnelle de Thomas d'apprivoiser Fouad, d'autant plus mystérieux que ses disparitions aiguisent la curiosité du photographe. Ces prises de position actantielles imposent un rapprochement qui va jusqu'à briser le cercle d'intimité de chacun. Songeons à la scène, où dans une chambre exiguë, Thomas demande à Fouad, d'un air naturel, de coucher devant son objectif, avec la prostituée qu'il a ramenée. Le passé ambigu du libanais devient l'intérêt du français qui tout en assouvissant son envie initiale - photographier des femmes orientales nues - se consacre à dévoiler l'énigme Fouad. Leur aventure commune les entraîne dans des trépidations nocturnes qui nous met face aux bas-fonds d'une société dédoublée, vivant les plaisirs défendus en catimini et dans une obscurité morbide. Les accrochages avec l'autorité jordanienne, où pour la première fois, les deux hommes font connaissance, prédit la souffrance d'un pays étouffant sous l'intransigeance hostile des forces de l'ordre.
L'image est, techniquement, la traduction visuelle de tous ces sentiments d'angoisse, de peur et de perte. La descente aux Enfers emprunte souvent au ralenti, à la granulation de l'image et au flou pour se signifier. Un troisième personnage, la femme de Fouad, le croyant pour longtemps mort, apparaît mais sans incidence notable puisqu'elle finit sitôt par l'abandonner dans sa déficience mémorielle. La chute est loin d'être un happy end. Le retour de l'Occidental en France s'effectuera sans avoir au préalable levé le voile sur cet homme sans souvenirs qui lui a tenu compagnie tout au long de son périple. Le récit préserve cette ambiguïté incitant ainsi l'instance spectatorielle à intervenir.

Mériam Azizi

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