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Tendresse du loup, de Jilani Saadi
Par-delà la revendication
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 02/12/2007

Que Tendresse du loup de Jilani Saadi tienne l'affiche pour plusieurs semaines n'est pas surprenant. Le style de ce cinéaste, après le succès de Khorma son premier film, se confirme avec force et persistance. Ce deuxième long métrage semble être la continuité intellectuelle et esthétique d'un projet cinématographique qui tient la route.

On ne peut s'empêcher de penser à la fin de Khorma quand on voit le poids de l'injustice qui s'abat sur Stoufa, le personnage principal de Tendresse du loup. Le motif d'un personnage qui se trouve dans une situation où il est obligé de porter jusque dans sa chair même la violence de ceux qui l'entourent est au centre de la construction dramatique de ce film. C'est le moment final dans le premier long-métrage lorsque Khorma est puni pour son imposture naïve et très problématique. Ce moment intervient un peu plus tôt dans Tendresse du loup donnant lieu à de nouvelles possibilités de recherches et d'émotions.
Un soir, dans un coin populaire de Tunis, Salwa, une jeune prostituée est violée par trois jeunes de son quartier devant le regard impuissant de Stoufa. Toute la bonne volonté et les paroles de celui-ci, n'ont pas pu faire entendre la voix de la raison, paroles impuissantes devant le déchaînement de ses trois amis qui s'acharnent sur la jeune femme. La vengeance que Stoufa va subir par la suite est objectivement inexplicable. Salwa, le livre à la colère de son frère et sa bande avec une ingratitude cruelle. Échappant à la mort comme par miracle, c'est à son tour de se venger.
Le démon qui se réveille dans le personnage est d'une cruauté très froide. Le personnage se métamorphose complètement. La volonté de vengeance le dote d'une force qui le hisse psychologiquement au-dessus des autres personnages. Ceux-ci apparaissent dès ce moment comme les avatars de Stoufa. Toutes leurs énergies se retrouvent concentrées dans la seule volonté de revanche. Celle-ci est tournée uniquement vers le personnage de Salwa.
La relation est profondément ambiguë entre les deux personnages. Dès le début, le jeune homme tente de protéger la jeune femme par scrupule mais aussi par un sentiment d'attachement montré d'une manière très subtile et discrète. Le même sentiment et son ambiguïté deviennent encore plus pesants dans la longue scène de vengeance qui finalement n'en sera pas une. Tous les éléments sont réunis pour une violence à laquelle on s'attend psychologiquement. Jilani Saadi nous surprend en organisant la scène de manière à nous faire perdre tous repères de lecture.
À des moments, la tension dramatique est complètement oubliée donnant lieu à des échappées de tendresses surprenantes et à quelques instants de pur ludisme au centre duquel il y un jeu ou enjeu de pouvoir et de domination. La tension dramatique qui frôle la tragédie se mêle à un réalisme cru. Au moment où l'on s'attend à la vengeance la plus violente tenant compte de toute l'énergie que le personnage avait dépensée pour retrouver la fille, Stoufa, prend le temps de s'offrir un régal de "Celtia" et de "Labalabi" (gastronomie purement tunisienne des milieux les plus populaires).
La séquence finale du film porte les signes d'un style, d'une personnalité. Jilani Saadi porte un regard très subtil sur quatre jeunes qui se cherchent dans une réalité qui les écrase. Mais sans tomber dans un discours de revendication sociologique de premier degré, il donne à voir des personnages dont la crise prend des dimensions plus existentielles. C'est un cinéma qui va vers les plis des âmes au lieu que de s'accrocher aux discours de revendication sans jamais se détacher des éléments de la réalité les plus concrets.

Hassouna Mansouri

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