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"Je pense que les distributeurs français n'ont pas envie que le cinéma africain jaillisse".
Sandrine Bulteau, comédienne dans Africa Paradis
critique
rédigé par Mass Ly
publié le 05/12/2007

Invitée au festival Gorée Diaspora du 15 au 18 novembre 2007, au Sénégal, Sandrine Bulteau est revenue largement dans cet entretien qu'elle nous a accordé sur son rôle dans ce film. Mais aussi et surtout sur la "campagne de désinformation" menée sur l'Afrique à travers l'image.

Sandrine, en tant que comédienne dans Africa Paradis, comment avez-vous vécu les problèmes qu'a connu ce film avant sa sortie ?
D'abord j'ai été heureuse de jouer dans ce film. C'est Sylvestre Amoussou, le réalisateur, qui m'a proposé le rôle que j'ai joué. Et en tant que comédienne j'ai trouvé ce rôle très sublime. C'est vrai qu'il y a eu beaucoup de problèmes lors du tournage, mais les comédiens n'étaient pas concernés par ces problèmes-là. C'est plutôt le réalisateur et l'équipe technique. Les comédiens eux, étaient très protégés.

Qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans Africa Paradis ?
C'est mon rôle d'immigrée qui m'a le plus touchée dans ce film. L'Europe est complètement décadente, il fallait immigrer pour pouvoir vivre décemment. Dans le film, je suis intégrée, j'ai tous mes papiers et je décide de monter un mouvement qui s'appelle : "Mouvement d'intégration des Blancs", pour demander des droits permettant à tous les Blancs de pouvoir venir en Afrique et y vivre normalement. Dans ce rôle, je me suis rendue compte que toutes les images que j'ai reçues sur l'Afrique lorsque j'étais en France, étaient toujours négatives. Cela m'a beaucoup déstabilisée. L'information en France est très déformée. Et de là, j'ai compris qu'il nous manquait quelques codes. Par exemple, moi j'étais très choyée comme beaucoup de jeunes de ma génération. On nous apprend que nous allons faire nos études, décider de notre filière après le Bac et puis, choisir plus ou moins notre métier, nous marier et voyager si l'on veut. Je veux dire que nous ne quittions pas chez nous, simplement pour se nourrir, se vêtir... Et c'est pourquoi lorsque j'ai vu les images de jeunes africains qui se rendaient en Europe par pirogue, je me suis rendu compte que je pouvais tout simplement compatir. Ce code là, je ne l'avais pas et c'est ce que Sylvestre Amoussou a réussi dans son film.

Ce film semble déstabiliser certains Européens, d'ailleurs le réalisateur était confronté à un problème de distribution en France. Qu'est-ce qui à votre avis explique cela ?
Beaucoup d'Européens sont déstabilisés par ce film parce qu'il leur montre le miroir. Et je crois qu'il n'y a pas mieux parce que le miroir reflète la réalité. Il permet de rendre compte de ce que l'on fait.
C'est tout à fait logique d'aller ailleurs, lorsqu'on est dans un pays en voie de développement, où vous ne pouvez ni manger ni vous soigner correctement. Et surtout si on vous fait croire que ailleurs c'est l'eldorado : vous allez tenter d'y aller. À la place de ces jeunes immigrés clandestins, je ferais la même chose. Je pense que c'est la faute des hommes politiques. Ils sont instrumentalisés par de grands groupes financiers. L'union des pays ne les intéresse pas.
Par exemple, actuellement en France, la vie est chère. Et il y a de plus en plus de la différence entre les classes. La classe moyenne s'appauvrit d'avantage. Il y a énormément de gens qui sont en dessous du seuil de pauvreté, des Français qui ont un travail mais qui ne peuvent pas se loger. Ils vivent dans la rue mais, c'est des choses qu'on ne montre pas. Nous avons un gros problème économique en France. Mais on met tout sur le dos des immigrés. Et jamais on explique aux Français qu'il existe des richesses en Afrique. Que c'est un continent qu'on a pillé. Il ne faut pas en vouloir aux Français parce que leur vie est dure. Quand on fait six heures de métro aller-retour, on rentre chez soi, où l'on vit à cinq ou six, quand on mange des pâtes le soir à cause de la cherté de la viande, et qu'on te fait croire que toute cette galère, c'est la faute des Noirs, ça les révolte. Et cela est accompagné d'images qui ne traduisent pas la réalité sur l'Afrique. Jamais on ne leur explique les richesses qui viennent d'Afrique. Le Noir est toujours présenté comme un sous-homme. Dans le film il y a une partie où l'on parle de "paradis noir". Parce qu'on s'est rendu compte que tout ce qui est noir est négatif dans l'inconscient collectif. Si vous prenez l'exemple des contes, même s'ils ont été écrits à une autre époque, on vous dit souvent que le méchant est Noir, le sorcier est Noir. Donc, tout ce qui fait peur est noir.
C'est pourquoi, en France, beaucoup de gens demandent un changement du programme scolaire. Et ce film, m'a rappelé plein de choses. Aujourd'hui j'ai une trentaine d'années mais je me souviens encore que le programme sur la traite négrière qu'on nous a enseigné est différent de l'histoire de la traite des Noirs.
Je croyais que l'esclavage se résumait aux odeurs et aux saveurs tel qu'on me l'a appris quand j'étais collégienne. La porte du non retour à Gorée, les grandes personnalités noires (chercheurs, scientifiques…), vous ne le verrez pas dans un programme scolaire.

Est-ce que le fait de jouer dans ce film et d'avoir découvert certaines réalités vous a poussé dans le militantisme ?
Je ne pense pas être quelqu'un de militant. C'est vrai qu'il y a des enfants qui meurent de faim en Afrique mais il n'y a pas que ça. En France il y a aussi des enfants qui sont mal nourris. On stigmatise sur d'autres choses parce que ça fait l'intérêt des politiques.

Vous n'êtes pas que comédienne dans ce film, vous y avez participez aussi financièrement, qu'est-ce qui explique cet engagement ?
Au début c'est vrai que Sylvestre était venu me chercher uniquement en tant que comédienne. J'avais déjà travaillé avec lui dans des pièces de théâtre. Je connais son sérieux et sa détermination. Il était déjà loin dans son film parce qu'il y a eu une productrice sénégalaise qui a eu le courage de le produire. Malheureusement, il s'est trouvé dans une situation difficile : il s'est retrouvé avec son film en justice et il l'a racheté. Finalement, il se demandait s'il faut continuer ou laisser tomber. Et c'est là où j'ai décidé de continuer avec lui le dessein de ce film. Ce qui m'a le plus étonnée, c'est que Sylvestre a continué malgré toutes ces difficultés. Pour ce que l'on dit du cinéma africain : soit le sujet n'est pas commercial, soit il n'est pas sur support 35 millimètres, soit les qualités techniques font défaut donc on ne peut pas vous le faire sortir. Il avait tout prévu et a tourné son film de sorte qu'il soit un film commercial. Le sujet est bon, bien écrit et techniquement il y a tout. Les comédiens sont bons et c'est du 35 millimètres. Mais aucun distributeur n'a voulu donner la chance à ce film. Ils ont eu peur. Et je pense qu'ils n'ont pas envie que le cinéma africain jaillisse. Il y a des jeunes réalisateurs qui arrivent avec des sujets ambitieux mais ils n'ont pas envie de leur ouvrir les portes. Ce microcosme qui a réussi à vivre du cinéma n'a pas envie d'enregistrer de nouveaux arrivants.

Propos recueillis par
Mass LY

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