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Bab'Aziz, ou le prince qui regardait son âme, de Naceur Khémir
Le sens d'un engagement
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 27/12/2007

Les Journées du Cinéma Européen qui se sont tenues à Tunis ont programmé plusieurs films tunisiens. Bab'Aziz de Naceur Khémir était peut-être le film le plus attendu ; ne serait-ce que parce qu'il tarde de sortir sous nos cieux, alors qu'il fait le tour du monde depuis 2006. Peu après, il était en compétition au festival Lumières d'Afrique de Besançon.

L'accueil que le public a réservé à cette oeuvre cinématographique dépasse en fait la simple anecdote. Malgré la difficulté d'accès, apparente du moins, le public semble avoir adhéré à l'atmosphère très spéciale du cinéma de Naceur khémir. Il s'agit en effet d'une image qui arrache le spectateur à tout ce à quoi il est habitué et à quoi il pourrait s'attendre. Plus que surprenant, ce cinéma est du genre qui provoque et pousse à remettre en question ce qui passait pour évidence.
Bien sûr nous retrouvons facilement les motifs propres à l'univers de Naceur Khémir, ceux que nous avons rencontrés dans Les Baliseurs du Désert ou dans Le Collier perdu de la colombe. Bien sûr nous retrouvons ce qui pourrait être considéré comme des stéréotypes ou même comme des clichés pour certains. Mais justement, tout l'intérêt de ce cinéma semble être le travail critique sur les motifs connus, ou supposés comme tels.
En présentant son film, le cinéaste a cité Jalaloddine Arroumi. Le maître du soufisme définit la Vérité comme un miroir brisé en mille morceaux dont chacun a un et cultive l'idée qu'il a toute la vérité. Effectivement, il nous semble que toute la philosophie est résumée dans cette allégorie.
De par sa structure, le film peut sembler décousu ou dispersé. En fait le récit ne fonctionne pas selon le schéma linéaire de l'enchaînement des évènements mais il est bâti sur une structure profonde qui construit des liens entre les différents morceaux. Il ne s'agit pas seulement de récits qui naissent les uns des autres mais d'une répétition du même dans la différence. Chaque partie est un morceau d'un tout dont il porte la structure organique. L'un est le multiple se confondent.
Les liens qu'on peut trouver entre les péripéties qui constituent le parcours de Bab'Aziz et Ishtar d'un côté et les autres récits qui l'entourent et semble naître de lui, ne sont en fait que des indices opératoires pour mener le spectateur vers les moments limites qui le mettent face à la nécessité de la question ou du silence. Chaque récit et un processus qui porte progressivement vers un moment d'ouverture sur le vide ou sur le monde. Ce qui est d'ailleurs peut-être la même chose.
Les histoires naissent, se succèdent ou se côtoient mais à aucun moment elles n'aboutissent. Osman, Hassen ou Nour sont tous portés vers la quête de quelqu'un ou de quelque choses. Mais ils finissent tous par comprendre que ce qui les faisait mouvoir ce n'était pas plus l'objet que la marche elle-même. Bab'Aziz nous annonce dès le début qu'il veut se rendre à la réunion mythique des derviches. Le point d'arrivée qui n'est autre que sa tombe est cohérent avec sa démarche : son parcours n'avait pas de destination précise. N'arrêtait-il pas de répéter à Ishtar qui l'accompagnait qu'elle devrait faire son chemin aussi après lui. De la même manière Hassan cherchait son frère. Il faudra qu'il rencontre le vieil homme pour qu'il soit rendu à lui-même, c'est-à-dire, remis sur son chemin vers son propre salut.
Les mille et une nuits comme modèle de narration ne sont pas loin, certes. Mais Naceur Khémir est d'un tel radicalisme intellectuel et esthétique qu'il se détache de la narration au profit du plastique. Les évènements ne sont que des supports pour des moments de composition visuelle et musicale. Les moments de silence, où l'image se remplit du désert et ouvre les consciences sur le vide, et sur le cosmos, sont très éloquents.

De ce point de vue, il est très proche Souleymane Cissé, le réalisateur malien. Les deux cinéastes développent un style agressif qui s'attaque à tous les a priori. Il faut un tel radicalisme pour arracher le spectateur au confort des idées faciles. Ce n'est qu'ayant atteint le vide, qu'il pourrait remettre les pièces de son âme ou de sa pensée dans un nouvel ordre, ou tout simplement l'ordre qui ne sera que le sien et non pas celui d'un autre.
C'est dans ce sens que l'on peut comprendre la dimension profondément engagée de ce cinéma face auquel on ne peut ne pas se sentir déstabilisé, renvoyé vers quelques chose d'enfuie en soi. Cela pourrait s'appeler l'âme, ou la Vérité, ou le Tout.

Hassouna Mansouri

Bab'Aziz, ou le prince qui regardait son âme, de Naceur Khémir
avec Paviz Shahinkhou, Maryam Hamid, Nessim Kahloul, Mohammad Grayaa...

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