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Cette caméra qui prend partie
La pyramide humaine, de Jean Rouch (France)
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 16/01/2008

La caméra obéit certes à des intentions : celles du réalisateur. Elle nous en dit souvent beaucoup et avec acuité. Seulement, lorsqu'elle prend partie, c'est parce qu'elle porte un jugement. Comme l'œil d'un socio-anthropologue qui pose des postulats et cherche à vérifier ses hypothèses. C'est ce que nous donne à lire La Pyramide humaine de Jean Rouch, projeté ce mercredi 9 janvier 2009 au Média Centre de Dakar lors du démarrage des activités du ciné club de ladite structure.

Le discours racial connaît des glissements à travers la caméra même s'il emprunte l'emballage d'un humanisme. Tout au moins, à le voir, nous en aurons encore des réminiscences des thèses défendues par des philosophes, ethnologues et anthropologues occidentaux sur la négation de la race noire apparentée à la "table rase". Sans vouloir le dire expressément, le film documentaire de Jean Rouch, La Pyramide humaine, d'une durée de 88 minutes, réalisé en 1959, décline les intentions filmographiques ainsi que le discours d'un réalisateur ayant longtemps séjourné en Afrique noire pour y surprendre les habitudes, croyances, cultures et visions du monde du négro-africain. La caméra souligne le regard cinématographique, quand, par le prétexte d'une rencontre entre deux races, représentées par des élèves blancs et noirs du lycée de Cocody (Abidjan), elle "prend partie". Certes, ces élèves font de la fiction pour mieux apprendre à humaniser leurs sentiments, mais ce qu'ils avancent de part et d'autre, pour relier le fil entre eux, n'est en rien étranger à leurs façons différentes de se considérer.

Des considérations fondées sur des préjugés
Jean Rouch filme les Noirs dans leur classe en train de débattre de la proposition de leurs camarades blancs de nouer une amitié avec eux. Ces jeunes africains sont dans une position d'instabilité ; la plupart ne sont pas assis, comme pour donner une suite logique à leur discours. Celui de l'africain toujours prompt à adopter une réaction défensive face à l'occidental. Pour certains d'entre eux, si les blancs les invitent, c'est pour mieux les observer et les ridiculiser. "Avec ces gens là, on ne peut rien faire", lâche l'un d'eux, réticent. Au même moment, la caméra voyage et nous fait découvrir le milieu des jeunes blancs. Non seulement, ils ont formé un cercle, mais ont tous pris place dans des fauteuils. Un signe d'apparente assurance et de confiance en soi. Ce sentiment justifie la critique de l'autre jugé "bête", incompréhensif, "trop bas", incapable de bien.
Même si dans les deux camps, l'on juge utile de se rencontrer pour éviter de croire qu'on se "déteste" alors que tout simplement l'on "s'ignore", les attitudes et plus tard les comportements cachent mal l'orgueil racial, et le sentiment élevé de soi face à l'autre senti différent. Cette fiction cherchant à servir un humanisme, à montrer "ce que peut être l'humanité sans aucun complexe racial", ne dévoile point la volonté de Jean Rouch d'effacer les frontières entre hommes et femmes de couleurs différentes. Il en expose, dans le fond, les discours entre des êtres suffisants face à leurs semblables complexés.
Les escapades nocturnes, les amours légères de Nadine, les pas de danse dans une ambiance d'entente entre "humains", n'auront pas le pouvoir d'éloigner cette sorte de "mépris" - si le mot n'est pas trop fort - de la caméra face aux jeunes noirs qui croquent la vie dans les années post-indépendance d'une Afrique trempée dans une politique d'assimilation et glissant vers une nouvelle destinée. Et l'opposition entre ce marché d'Abidjan filmé dans son caractère de désordre avec des étals un peu partout et ces rues de Paris bien tracées, propres, donnant l'expression de la modernité d'une France bienfaitrice de l'Afrique, est là comme pour répondre à cela. Ce bateau échoué sur les côtes abidjanaises, filmé dans une position inclinée montre, métaphoriquement, l'image non souriante d'une "amitié" souffreteuse entre Noirs et Blancs.

Bassirou NIANG
Sénégal

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