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Pour lire le "Che" africain avec la distance
Thomas Sankara, l'homme intègre, de Robin Shuffield (France)
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 20/01/2008

Si l'on devait (re)lire le destin de Thomas Sankara avec la distance, l'on s'enorgueillerait peut-être de la pertinence du sens de son combat. Un homme qui s'est "rouillé" - par amour ou par péché de jeunesse ? - la vie dans les couloirs de "sa" propre révolution. Et qui pourtant, au moment où les Africains vont en croisade contre les Ape, est comme qui ressuscité par la postérité. Nous tirons la légitimité de ce regard du film documentaire de Robin Shuffield, d'une durée de 52 minutes, Thomas Sankara, l'homme intègre projeté lors du festival du film de quartier qui a eu lieu à Dakar du 12 au 17 décembre 2007.

Dans ce documentaire, la mémoire est le seul lieu où le regard critique assemble des instants pathétiques, des joies, des doutes, des craintes, le sentiment d'être libéré du "maître" qu'est l'Occident, le sentiment aussi d'être vainqueur.
En faisant défiler les images d'archives sur ce commando qui finit par inscrire sa vie entre la "Patrie" et la "mort", dans le but d'éloigner à jamais son peuple de la misère et de la mal gouvernance, le réalisateur éclaire de son commentaire, la vision novatrice et révolutionnaire d'un leader qui commençait à façonner de nouvelles consciences en Afrique. L'on voit que "L'homme intègre" n'a qu'un souci : son peuple. Il va le choyer au point de chercher tous les moyens de son accomplissement. De l'ignorance, il le mènera à la construction d'un nationalisme basé sur l'instruction et la formation de tout un chacun. "Il faut loger, nourrir et soigner le peuple" ; le mot est balancé avec toute sa charge sémantique qui en dit long sur les ambitions du père de la Révolution burkinabée. Et pourtant, on en pense encore aujourd'hui de cette façon en Afrique, surtout en ces moments de dures relations commerciales.
Les témoignages dans ce documentaire de certains hommes et femmes ayant connu cette époque de l'histoire de ce peuple et plus particulièrement de certains journalistes comme Marie-Roger Biloa apportent plus de visibilité sur le sens de ce combat. Celui de l'acte posé dans le concret et se déclinant en des logements sociaux, à une production record de 3900 tonnes de blé en 1986, au reboisement contre la désertification, à la bataille du rail pour le désenclavement des mines de manganèse, au consommer burkinabé… Comme un répondant au discours du "dominé" cherchant à s'émanciper. Un discours de vérité à l'ironie fort marquée, surtout devant le regard médusé d'un François Mitterrand, dépité, qui finit par reconnaître au "Che" africain "le droit d'avoir une conception différente du monde". Les archives nous en montrent aussi l'air visiblement gêné des présidents africains tancés par Sankara lors d'un Sommet de l'Oua. Lequel d'ailleurs se donnera même la liberté de leur demander d'opposer un refus commun au paiement de la dette. Et revient dans la vivacité de l'image cette terrible phrase : "entre le riche et le pauvre, il n'y a pas la même morale". Humour et vérité d'un soldat des idées justes, dirait-on.
Ce documentaire n'en cache pas pour autant le revers de la médaille. Les moments de lassitude d'un peuple qui n'en peut plus d'obéir au doigt et à l'œil à un révolutionnaire. Les signes avant-coureurs d'un déclin s'annonçaient. Ils seront enfantés l'interdiction des syndicats et partis politiques, la radiation de presque 1500 instituteurs, humiliation des membres de l'ancien régime devant les Tribunaux Populaires de la Révolution, zèle des Comités de défense de la Révolution, règlement de comptes à n'en plus finir…
Et le complot naîtra : il fallait, pourrait-on résumer, écarter Sankara et sa Révolution des chemins d'une future histoire glorieuse de l'Afrique libérée de l'impérialisme à multiples facettes. Le documentaire nous renseigne que la main du bourreau, nommé Blaise Compaoré sera armée par la France et la Côte d'Ivoire : Sankara va s'évanouir pour l'Eternité, emportant avec lui sa révolution. Même si l'âme de celle-ci demeure parmi nous. "L'homme intègre" "mal compris, mal aimé" sera "le symbole d'un gâchis". Dans le fond de ce tableau noir, l'on aperçoit la main de Jacques Foccart ["Monsieur Afrique" à l'Elysée], rappelé par Chirac lors de sa cohabitation avec Mitterrand à l'issue des élections législatives de 1986.
Un film documentaire qui aura le mérite de mettre l'accent sur un personnage dont la gloire fut bâtie sur une audace intellectuelle - répondant de celle des Africains face à leurs défis actuelles - sur le courage de sa propre vision de l'Etat et des relations avec les pays dit riches, ainsi que sur l'attirance qu'exerçait sa démarche en proposant une sorte de mirage faisant croire à tout un continent qu'il se relèverait de ses incapacités, de ses douleurs pour marcher enfin droit… En apprenant à dire non.

Bassirou NIANG
Sénégal

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