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Audacieuse satire sociale
Il va pleuvoir sur Conakry, de Cheick Fantamady Camara (Guinée)
critique
rédigé par Médard Gandonou
publié le 02/02/2008

Paradoxe social à l'écran ! En plein cœur de la ville musulmane de Conakry, le sexe a cessé d'être tabou, l'héritier conteste la succession de son père, les jeunes se révoltent contre l'autorité municipale, l'hypocrisie religieuse est à nu…

Il va pleuvoir sur Conakry, le premier long métrage du réalisateur guinéen Cheick Fantamady Camara est un cocktail explosif de satire sociale concentrée en 113 minutes qui brutalise les sensibilités religieuses et sociales. Fantamady a osé franchir la ligne de l'hypocrisie sociale pour faire mirer sa société dans la glace de ses vrais maux qu'elle n'est pas forcément prête de sitôt à regarder en face. Et la reconnaissance de cet effort qui est manifeste non seulement dans le choix de la thématique mais aussi dans les moyens techniques de ce film tourné en 2005 en Guinée, n'a pas tardé. Déjà cinq prix internationaux collectés dont le Prix Rfi du cinéma du public au Fespaco 2007 et le Prix spécial du Jury au Festival international de film de Ouidah 2008 au moment où le public guinéen continue de s'impatienter pour la première projection à Conakry.

Mais véritablement, la société musulmane guinéenne est-elle prête à voir dans ses salles, un film qui s'ouvre sur des gémissements d'ébats sexuels d'un jeune couple abandonné à l'écran dans leur nudité et dont l'intimité est fortement accentuée par les plans de réalisation. Ne va-t-elle pas crier déjà à la séquence d'exposition du film : atteinte à la pudeur ? Et pourtant ce sera une succession de chocs. C'est le prix à payer pour le public guinéen s'il veut vraiment apprécier le chef d'œuvre de leur compatriote Fantamady, actuellement en train d'emballer le continent africain.

Bangali le fils héritier de Karamo, l'Imam de la plus grande mosquée de Conakry, refuse toutes soumissions imposées aux pratiques religieuses et traditionnelles. Il décidera d'engager une lutte contre les normes sociales et religieuses dans le choix de son amour Kesso et de son métier de dessinateur et caricaturiste. C'est le risque à prendre pour que le public de ce film puisse découvrir la vraie face d'une société où pratiques religieuses et traditionnelles sont en parfait contraste avec ce qui est prôné.

Le réalisateur a su organiser sa satire socioreligieuse autour de jeunes acteurs qui ont, avec grand professionnalisme et un naturel déconcertant, pu porter le lourd fardeau de la jeune génération africaine en quête de liberté et d'indépendance. La comédienne béninoise qui interprète Kesso, de son vrai nom Tella Kpomahoun, longtemps actrice de théâtre et jouant dans ce film son premier long métrage, affiche dans son rôle une certaine sérénité même au moment où son intimité physique était des plus sollicitée par le réalisateur pour mieux choquer. Il n'y a pas mieux face à l'hypocrisie dans la société, qu'une comédienne qui soit hors de l'emprise de la timidité et qui assume dans ses yeux ses récitations parfois peu pudiques et sans vergogne. Et cette image de Kesso râlant sur son amour Biby qu'elle soupçonnait d'avoir accompli un acte sexuel "extra engagements" : "…maintenant tu vas me baiser … et je verrai si tu peux supporter…" ! Elle établit définitivement dans la tête du spectateur que le film était un requiem de l'hypocrisie. Les images choquent… les paroles choquent… finalement on se résout à en rire. Et le spectateur se surprend à avoir le sourire aux coins des lèvres quand par exemple, une fille musulmane de famille croyante, de retour de discothèque est contrainte à son portail de se conformer aux normes vestimentaires religieuses pour tromper la vigilance de ses parents. Et même Biby qui devra, pour satisfaire les exigences religieuses de son père Imam, faire dérouler une bande sonore en lieu et place de ses prières quotidiennes…

Mais la subtilité de ce film réside également dans la dextérité du réalisateur Fantamady à diversifier les poches de tares sociales et à fondre ses critiques dans un scénario qu'il a d'ailleurs lui-même dirigé, avec une dose d'humour qui ne saurait laisser indifférentes, même les personnes indexées au premier rang dans le film.

Et cette histoire anodine de "pluie" qui porte le titre même du film. Que de satires ne colporte-t-elle pas ? Avant qu'il ne pleuve sur Conakry asséché, Fantamady a eu le temps de dénoncer l'instrumentalisation du pouvoir religieux à dessein d'asservissement au pouvoir d'État, l'extrémisme religieux, le syncrétisme ambiant etc. Pour justifier l'ampleur du syncrétisme religieux dans sa société, le réalisateur a mis la barre de sa satire très haut. Cette fois-ci c'est Karamo, l'Imam de la ville même qui confessera à son fils héritier la place capitale qu'occuperait une calebasse secrète transmise par voie successorale, dans la consolidation du trône et la prospérité de la famille. Le réalisateur en osant impliquer directement un imam dans ce registre de syncrétisme religieux ne veut-il pas emmener le spectateur à se faire de lui-même une idée de l'ampleur du phénomène dans le rang des simples fidèles composant la société guinéenne ?

Le film montre la place inavouée de la tradition dans la vie quotidienne des croyants des religions modernes sans virer dans l'apologie de la tradition. D'ailleurs dans l'une de ses scènes dramatiques nocturnes, il soumettra le public à un infanticide horrible qui montrera la tradition dans l'une de ses faces les plus barbares. Une manière de dire que l'Afrique a encore la lourde mission de parfaire ce dont sa culture regorge de négatif. Dès lors, l'on peut mieux décrypter le message d'appel à la mutation, au progrès social, à la révolution des mentalités que semble véhiculer Fantamady dans la dernière scène du film présentant le couple Biby et Kesso dans la joie retrouvée et dans l'espérance que symbolise la nouvelle grossesse que cette dernière porte.

Médard Gandonou,
Journaliste au Quotidien L'Evénement Précis
Bénin

Il va pleuvoir sur Conakry
Cheick Fantamady Camara
113 minutes
Guinée

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