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Les hommes politiques sont tous des abrutis
entretien avec Lucía Cedrón (cinéaste, Argentine/France)
critique
rédigé par Télesphore Mba Bizo
publié le 20/02/2008

Lucía Cedrón était la coqueluche de la soirée inaugurale de la 37è édition du Festival international du film de Rotterdam, IFFR, le 23 janvier 2008 aux Pays-Bas. Son tout premier long-métrage, Cordero de Dios, traduit de l'espagnol vers l'anglais par Lamb of God (Agneau de Dieu) a séduit le presque millier de cinéphiles qui avaient investi de Doelen, site siège du festival cinématographique néerlandais le plus en vue. Au centre d'un déluge de sollicitations par la presse 24 heures après, la Franco-Argentine s'est livrée à cœur ouvert dans un entretien-vérité avec le reporter de la Fédération africaine de la critique cinématographique, FACC, sur les lieux.

Africiné : Quel sens attribué à la métaphore "Lamb of God" ?
Lucía Cedrón : Vous ne savez pas quelle impression vous me faites à l'idée de voir le cahier que vous avez sous la main [ordinaire cahier interligne de 100 pages muni d'une couverture enrichie des images de la faune et de la flore d'Afrique exploité comme calepin de fortune, NDLR]. Voici près de vingt ans que je ne l'ai plus revu. Il a pourtant accompagné mes premiers pas à l'école en Argentine.
Revenons en à la question de la métaphore. Je comprends que vous y ressentiez une profondeur chrétienne. Je vous surprendrai en vous révélant que je suis athée et même agnostique. Cependant, je ne saurais ignorer les origines chrétiennes de mes parents. Je suis issue d'un milieu profondément judéo-chrétien. Sans le vouloir, je connais la Bible. De ce fait, l'Agneau de Dieu est symbole de renaissance après la mort. Ici, la fonction du pardon est une solide alternative.


Africiné : Nul ne souhaiterait chausser les souliers de vos personnages. Un grand-père fautif d'avoir consenti au sacrifice de son gendre. Et la fille du sacrifié qui, contre la volonté de sa mère, s'attache plutôt à son coupable de grand-parent. Comment expliquer l'ambiguïté ?
Lucía Cedrón : Mes personnages, je ne les juge pas. Ils sont libres. Je me contente de les mettre en situation. Il faut y lire le caractère complexe de l'existence. On tombe à nouveau sur la question du pardon ou de la grâce. Même les saints sont des pécheurs qui sont revenus à la vie. Seuls les anges sont purs. Il n'y a pas de solution dans la condamnation ou la mort de l'autre. Le pardon est un acte qui implique deux personnes : celle qui le donne et celle qui le reçoit. Mon film est différent des procès de type Nuremberg.


Africiné : Quelles sont les attentes suite à la sortie de ce film ?
Lucía Cedrón : Elles ne sont pas particulières. J'ai raconté une histoire parsemée d'indices. Il vous appartient d'en décoder le sens. Le spectateur a un travail de reconstruction et même de reconstitution à faire. Le film est une bouteille à la mer. Dès diffusion, il cesse d'appartenir à son auteur.

Africiné : Votre cursus ne vous prédispose pourtant pas au cinéma. D'où est venu le déclic ?
Lucía Cedrón : Je vous vois venir. Effectivement, j'ai fait des études de lettres et d'histoire sans la moindre inclinaison cinématographique. Mais le milieu de vie forge la personnalité et les choix de l'homme. Mon père [Jorge Cedrón, NDLR] était cinéaste. Par ailleurs, il y a des rebondissements constants dans la vie politique en Argentine. Le cinéma m'offre, à cet effet, l'opportunité de proposer des points de vue sur la réalité.

Africiné : De fortes effluves politiques se dégagent de Cordero de Dios.
Lucía Cedrón : Je suis héritière de l'histoire de mes parents [Les problèmes politiques les ont contraints à l'exile en France en 1978. Le père de famille y trouva la mort dans des circonstances encore obscures]. C'est un film politique. Un film pour les humains. Ma génération a été directement affectée par les soubresauts politiques en Argentine. Tous les intellectuels, par exemple, étaient exilés. Une génération décapitée. Par conséquent, le pays était abandonné à lui-même. Pas d'enseignants ni médecins. Il n'y avait pas d'avenir pour les enfants. J'avais alors 16 ans à l'époque. Mes parents étaient militants. Ils avaient fait des choix et prix des risques. Les juger ne sert à rien.


Africiné : Quels sont vos rapports avec le politique aujourd'hui ?
Lucía Cedrón : Je regrette de le dire, mais tous les hommes politiques sont des abrutis. C'est une bêtise de devoir choisir entre la peste et le choléra. Pourtant, la politique reste un outil. Il faut s'en servir au mieux. La politique devrait servir les hommes et non les desservir.


Africiné : Quelle est la raison qui justifie l'allusion répétitive au football ?
Lucía Cedrón : La Coupe du monde de football organisée en Argentine en 1978 a suscité plein d'espoir auprès de l'opposition. C'était une plate-forme internationale. Il fallait s'en servir pour présenter au monde les dérives dictatoriales. Mon père, par exemple, avait des contacts dans le milieu de la presse à ce moment car il était proche de l'opposition. Voilà pourquoi les dialogues reviennent à répétition sur la question du football dans le film.


Africiné : Comment justifier ces accointances avec les Pays-Bas ?
Lucía Cedrón : Lesquelles ?

Africiné : D'abord, la Coupe du monde de 1978 avec une certaine finale Argentine-Pays-Bas. En plus, les mouvements sociaux en Hollande à cause de la présence d'une Argentine au sein de la cour royale néerlandaise. Bien datés, ces deux évènements correspondent à un même bornage historique dans les deux pays.
Lucía Cedrón : Vous posez un regard louable sur le film. Certes, tous ces faits historiques sont vérifiables et donnent une nouvelle portée interprétative à l'ensemble de l'œuvre. Mais, ils sont totalement fortuits, s'il fallait les comprendre dans votre sens.


Africiné : Et si on vous accusait de traiter de trop de thèmes dans un seul film ?
Lucía Cedrón : J'aurai pu réaliser un film de 6 heures. Je m'en suis tenu à 90 minutes. C'est l'espace temps d'un bon long-métrage. Je me trouve plutôt assez conventionnelle. Tous les sujets abordés sont interconnectés. Il y a un fil conducteur. L'essentiel, c'est de ne pas faire fondre le thème central.

Entretien mené par Télesphore MBA BIZO

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