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Les films d'Afrique et la critique cinématographique
Le cas du Maroc
critique
rédigé par Noureddine Mhakkak
publié le 20/02/2008

Introduction générale :

Quelle est notre vision de la critique cinématographique marocaine ? Son rôle dans le développement mais aussi toute la production cinématographique marocaine sans oublier ses influences sur la vie culturelle marocaine en général et la vie artistique marocaine en particulier.
Traitant d'un œil objectif ces questions majeurs, on aboutit au moins à un aperçu de la relation entre le cinéma marocain avec tous ses genres filmiques, et la critique cinématographique qui essaie de toutes ses forces de le guider vers une vraie représentation artistique de la société marocaine. Il est généralement admis que le cinéma occupe une place privilégiée dans le monde d'aujourd'hui grâce à son pouvoir de fascination qu'il exerce sur les masses populaires, mais malgré les efforts de l'Etat il n'est pas encore parvenu à prendre sa vraie place dans la vie quotidienne au Maroc. Il est plutôt resté jusqu'à présent un art qui intéresse surtout les intellectuels, mais ne touche pas la masse populaire. Il est permis de s'interroger sur les raisons d'un tel constat et de se demander quelles mesures pourraient le rendre plus influent. La critique cinématographique pourrait-elle participer à pousser les gens vers le cinéma marocain ? Nous proposons d'étudier ces différents points dans l'ordre suivant :
1. Le cinéma en tant que phénomène culturel et le rôle de la critique cinématographique.
2. Le cinéma en tant que phénomène social et le rôle de la critique cinématographique.
3. Le cinéma en tant que phénomène économique et le rôle de la critique cinématographique.
Ceci permettra de tirer une conclusion générale faisant la synthèse des points concrets énumérés ci-dessus.

1. Le cinéma, la critique, et le champ culturel au Maroc :

La culture du Maroc riche en diversités a connu le phénomène cinématographique depuis 1885 avec ce qui a été nommé le cinéma colonial. Il s'agissait cependant de réalisations bien éloignées des préoccupations de l'intelligentsia marocaine à l'époque qui était essentiellement reliée aux lettres. Représenté principalement par des français ou des francisés le genre privilégiait des histoires qui présentent l'homme marocain comme arabe vivant loin de la civilisation occidentale.
Comme les intellectuels traditionnels marocains avaient tendance à voire l'image comme synonyme de la banalité d'une vie quotidienne ne pouvant atteindre la qualité de la pure pensée littéraire et poétique, la critique cinématographique n'a pas trouvé le champ culturel qui pouvait l'aider à exister.
À partir de 1941, le cinéma marocain a vu le jour grâce à Mohamed Osfour. C'est à ce moment-là qu'il a commencé à tourner des films purement marocains malgré ses qualités simples et presque primitives. 1944 voit la création du centre cinématographique qui permet au cinéma marocain de trouver enfin une réelle existence.
C'est ainsi que le cinéma s'introduit dans la culture d'un pays où il va suivre son chemin progressivement et ainsi en parallèle avec le développement un discours littéraire et artistique qui va suivre pas à pas ceux du cinéma, en le critiquant souvent et en le encourageant de temps à autre. Il est par conséquent intéressant d'étudier le rôle de la critique cinématographique dans le développement du cinéma propre au Maroc.
Cette question ne saurait être envisagée globalement, il convient d'évaluer indépendamment les deux courants majeurs du cinéma marocain et la critique cinématographique, les réalisations ou appréciations françaises ne pouvant être confondues avec celles d'origine arabe.
D'un côté la vision française du cinéma au Maroc s'intéresse à ses particularités esthétiques et artistiques, faisant beaucoup d'éloge au cinéma d'auteur dans une tentative de créer une vision culturelle contrastant avec le regard d'un public non cultivé sous l'influence du cinéma commercial égyptien. De l'autre côté la vision arabe aurait tendance à critiquer le contenu du film et sa relation avec les effets sociaux marocains. Ainsi le cinéma marocain n'a pas pu dépasser le stade intellectuel au profit de la popularité. Citons comme exemples du cinéma d'auteur les premiers films de Mustapha Derkaoui comme Quelques évènements sans signification (1974), Les beaux jours de Shéhérazade (1982), Titre provisoire (1984), Fiction première (1992). Le cinéma populaire ou commercial qui suit le chemin du cinéma égyptien et sa vision du monde, comprend des films du réalisateur Abdallah Mesbahi comme Silence, sens interdit et le film du réalisateur Hassan El Mofti intitulé Les larmes de regret. (1)
La critique cinématographique a su exercer une influence certaine sur l'évolution du cinéma marocain, car en appuyant le cinéma d'auteur contre le cinéma du public, elle a causé, sans en avoir eu l'intention, une coupure entre le cinéma et le public qui s'est retourné vers le cinéma égyptien pour y trouver satisfaction de ses attentes.
Le cinéma d'auteur, ou cinéma intellectuel, essaye à travers ses films de montrer la vie sociale d'un œil critique, et dans ce but joue souvent sur la corde sensible de la tragédie - en conséquence le publique l'a délaissé. Il est à remarquer que la critique cinématographique a eu tendance à faire l'éloge de films loin de la sensibilité du public au lieu de demander aux réalisateurs de ces films de s'en rapprocher. Le schisme entre réalisation et demande a couvert une importante période car les préférences de goût des spectateurs étaient déjà bien construites par et à travers les films simples, films d'action, d'amour, et de faits sociaux, tels les films égyptiens, indiens et américains.
Cette rupture entre le cinéma marocain et son public perdurera jusqu'à ce que la critique cinématographique en fasse son sujet et demande aux réalisateurs marocains d'adapter le style de leurs films aux données de la société marocaine.
C'est le film célèbre d'Abdelkader Lagtaâ, Un amour à Casablanca qui a su regagner le public du pays. Traitant du grand tabou qu'est la relation sexuelle et amoureuse d'une jeune fille avec un homme ayant l'âge de son père, ce film a fait réellement bouger la critique cinématographique marocaine. Proclamant son réalisateur, Abdelkader Lagtaâ, comme l'un des meilleurs réalisateurs marocains, l'accueil auprès de la grande majorité des critiques lui valait respect et soutien. Pour ne nommer qu'un exemple, Ahmed El Ftouh, connu comme l'un de plus grands critiques d'art et de cinéma, a fait remarquer à propos de ce film et de l'attirance exercée sur le grand public : "Cette recherche du public n'est pas sans risque de tomber dans le populisme ou dans l'imitation d'un modèle de cinéma ayant nourri l'imaginaire et la culture filmique de ce même public. Cette culture bon marché, servie par un cinéma commercialisé à l'échelle mondiale, se contente de clichés, de stéréotypes et de canevas prêts à consommer. Le public en raffole. Ce défi de concilier le cinématographique et le commercial, de gagner le public sans perdre ni la qualité de l'esthétique, ni la rigueur du traitement de la thématique, va être gagné par certains réalisateurs marocains. Le premier film à citer dans cette dynamique est "Un Amour à Casablanca" (1991) de Abdelkader" (2). Critique à laquelle souscrit également Hamid Tbatou, bien connu dans le domaine du cinéma, qui confirme : "Parmi les expériences, optant pour cette tendance, il y a celle d'A. Lagtaa qui a su construire une spécificité propre pour sa création cinématographique ; visant essentiellement l'enrichissement du projet cinématographique national et la dynamisation de la question de la conscience artistique authentique qui a cadré, depuis toujours les expériences/projets les plus forts à travers l'histoire du cinéma marocain. Lagtaa a défendu son projet culturel et esthétique, artistiquement, par ses films comme Un amour à Casablanca, Les Casablancais, La porte close, Face à face et théoriquement à travers ses publications, ses interviews, ses déclarations, ses interventions et exposés lors d'un ensemble de colloques et rencontres" (3). C'était un autre commencement du cinéma marocain dit moderniste, et c'était en plus un autre début d'une relation nouvelle entre le cinéma marocain et la critique.

2. Le cinéma, la critique, et le champ social au Maroc

À partir de 1991, année de la sortie du film Un amour à Casablanca d'Abdelkader Lagtaa, le cinéma marocain se mit à traiter, avec un intérêt particulier, le sujet des problèmes sociaux. Cette tendance a fait naître plusieurs films abordant le problème de la femme dans la société marocaine. Il est à remarquer que la condition de la femme est devenue, à travers ces films, le sujet le plus répandu dans le cinquième art au Maroc. Ce thème a en effet su attirer la curiosité de très nombreux spectateurs et les réalisateurs marocains n'ont pas manqué l'occasion de produire une grande diversité de films au sujet de la femme et de ses problèmes, chacun de ces films ayant gardé son propre cachet.
Jugement d'une femme proposé par le réalisateur et artiste marocain Hassan Ben Jelloun fait partie de ces films qui évoquent la condition de la femme au Maroc et ses souffrances quotidiennes, qu'elles soient réelles ou imaginaires - dans un mode de vie qui n'a pas totalement rompu avec certaines traditions qui limitent la liberté de la femme. Ces limites qui s'opposent à sa liberté sont en même temps un formidable outil permettant l'exploitation de la femme par son mari, surtout si ce dernier ne poursuit que son intérêt personnel et ne voit dans le mariage qu'un moyen de tirer profit de sa relation conjugale avec sa femme. On peut citer comme exemple parmi ces films : Femmes et femmes, L'histoire d'une rose, Destin de femme ou Les amours du Hadj Soldi.
Si la critique cinématographique marocaine a encouragé ce genre de films, il est vrai aussi que le cinéma marocain ayant suivi cette tendance le rapprochant de son public a également su favoriser l'essor de la vision cinématographique intellectuelle et esthétique.
Ainsi un certains nombre de problèmes dont la société marocaine, comme d'autres sociétés arabes et étrangères, a souffert, a trouvé son entrée dans le monde du cinéma marocain. Le problème de la séparation conjugale et du divorce sont par exemple abordés dans les films Le coiffeur du quartier des pauvres de Mohamed Reggab, Un amour à Casablanca de Abdelkader Lagtaa, Destin de femme de Hakim Noury, Jugement d'une femme de Hassan Ben Jelloun, etc. Le problème des jeunes marocains qui souffrent de l'autorité exigeante de leurs parents résolument tournés vers le passé, et la question à savoir ce qui a bien pu causer le conflit entre les générations fait partie des thématiques privilégiées. Ce qui provoque le problème du conflit entre les différentes générations. Ici il s'avère que le cinéma marocain dresse un tableau intéressant des problèmes dont l'enfance marocaine souffre, surtout quand il s'agit de classes sociales pauvres.
Prenant ainsi la vague du social, encouragé dans cette démarche par la critique cinématographique, le cinéma marocain continue à aborder les problèmes sociaux avec engagement tout en gardant le sens de l'esthétique. L'un de ses sujet de prédilection a été tout logiquement le problème de l'immigration permettant de mettre le focus sur les histoires de ceux qui partent vers l'autre bout du monde dans le but d'y trouver de l'argent, un autre mode de vie ou tout simplement des personnes perdues de vue. L'un des plus brillants exemples du cinéma marocain ayant traité de cette thématique est la réalisation du cinéaste Mohamed Abderrahman Tazi, À la recherche du mari de ma femme. Son héros a voulu rejoindre l'Europe à la recherche du mari de son ex-épouse en souhaitant qu'il puisse l'obliger à revenir rapidement au Maroc afin de concrétiser leur divorce. Et il a continué à traiter le même thème dans son film Lalla Hobby dans lequel le héros tombe dans l'embarras total en se trouvant dans un nouveau monde totalement différent du sien.
Dans le film Les chevaux de fortune du célèbre cinéaste Jilali Ferhati, le même problème de l'immigration est abordé sous l'angle de l'immigration clandestine, en présentant bien le drame des personnes protagonistes. Le film retrace l'histoire d'un personnage qui vend, à des gens simples, le rêve de partir vers l'Europe et le drame des victimes de telles supercheries, trouvant que leur immigration vers l'Europe n'était qu'une illusion.
Il est vrai que dans ces réalisations la problématique même de l'action à mener pour réaliser l'immigration, à plus forte raison l'immigration clandestine prime, au détriment d'autres aspects en relation avec le même genre de problème, ce qui nous mènerait par exemple vers le dialogue entre les civilisations et les cultures. Dans son film Le voleur de rêves Hakim Noury touche à ce dernier point en marge de l'histoire principale du film : lorsque l'un de ses principaux personnages, interprété par Rachid El Ouali, envoie une lettre à son ami en lui racontant sa nouvelle vie à l'étranger et en lui demandant d'épouser son ex-copine qui n'a aimé personne que lui. Il en est de même pour le film de Hassan Ben Jelloun Jugement d'une femme où les protagonistes, un journaliste et sa femme immigrent au Canada pour y trouver une nouvelle façon de vivre, tout en continuant leurs études pour pouvoir améliorer leur situation familiale et en travaillant pour gagner d'avantage - objectif réalisé seulement vers la fin du film. Les rôles principaux ont été bien joués par Rachid El Ouali lui-même et la talentueuse actrice Sanaa Zaïme.
Or, le fait de traiter presque le même sujet dans plusieurs films qui sortent simultanément pousse la critique du cinéma à appeler à l'enrichissement de l'imaginaire cinématographique par d'autres visions du monde et d'autres focalisations des thèmes nouveaux loin de l'ordinaire.

3. Le cinéma, la critique, et le champ économique au Maroc :

Parler du cinéma marocain en tant que produit artistique mais également commercial et économique, mène à parler de la relation qui existe entre la critique du cinéma et les sources financières. Celles-ci qui sont représentés en premier lieu par le fonds de soutien à la production nationale de films et en deuxième lieu par les sociétés de production. Il est à remarquer qu'à partir de 1980 le parcours du cinéma marocain devient plus dynamique en raison de la création de ce fonds de soutien. Celui-ci est considéré même par des critiques de cinéma marocain comme porteur d'un mouvement important qui a su faire évoluer le cinéma au moins sur le plan de la production. Cette dernière a en effet déjà connu une amplification annuelle et arrive maintenant à se faire remarquer. "Ce système de financement dont les ressources proviennent de la taxe spéciale de courts et longs métrages" (4) est considéré maintenant comme un vrai soutien du cinéma qui a pu, grâce à lui, produire tant de films. La critique cinématographique marocaine encourage la production de films à travers ce fonds de soutien et également à travers des festivals dont les présidents sont souvent des critiques de cinéma.
Le développement du cinéma marocain et tout ce qui touche à la production du film est devenu un intérêt premier dans les pays du Maghreb. Lorsque l'on voit qu'au comité de ce fonds siège toujours au moins un critique de cinéma parmi ses membres on sait bien l'influence forte qui possède la critique sur le dynamisme du cinéma.

Conclusion ouverte :

Pour conclure, on peut dire
> que le cinéma marocain " a une triple fonction : il est à la fois un support de diffusion culturelle, un moyen d'information et surtout un enjeu économique" (5)
> que la critique de cinéma trouve sa vraie place dans ces trois secteurs
> et qu'il joue son rôle avec beaucoup de vivacité.

Noureddine Mhakkak (Chercheur universitaire et critique de cinéma marocain)

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