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Pour surprendre le mystère Sembène
Samba Gadjigo - Ousmane Sembène : une conscience africaine. Préface de Amadou Makhtar Mbow. Paris : Homnisphères, 2007, 253 pages.
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 21/02/2008
Samba GADJIGO, universitaire et auteur de l'essai "Ousmane Sembène : une conscience africaine"
Samba GADJIGO, universitaire et auteur de l'essai "Ousmane Sembène : une conscience africaine"

Retracer l'itinéraire d'un homme en interrogeant les traces inscrites sur la carte par son enfance, son éducation, ses "différentes écoles", ses influences, son sens du refus… Un choix fait par Samba Gadjigo, professeur de littérature à Mount Holyoke Collège (Massassuchetts), titulaire d'une maîtrise en Lettres à l'Université de Dakar et d'un PhD en littératures africaines à l'université de l'Illinois aux Etats-Unis. Son livre de 253 pages intitulé Ousmane Sembène : une conscience africaine, publié aux Ed Homnisphères, préfacé par l'ancien Directeur de l'Unesco, Amadou Makhtar Mbow, se veut une tentative de "combler" une "lacune".

Divisé en quatre parties, l'ouvrage souligne, dans une démarche de recherche documentaire et de témoignages, les moments pertinents de la vie artistique d'un Ousmane SEMBÈNE (Sembène Ousmane, pour d'aucuns) qui, pendant longtemps, a été très compatissant dans son union avec son peuple originel, mais avare quand il s'est toujours agi d'éclairer les réalités habitant le secret d'une personnalité cachée et paradoxale.

En remontant à l'enfance de l'écrivain cinéaste, l'on découvre les graines devant fonder quelques années plus tard, la nature caractérielle et rebelle de l'homme : il grandit dans un milieu où les différences de classes sont fort marquées à l'image de ce contraste entre Ebëbë (la ville des Blancs), et son Santhiaba natal (là où il voit le jour en 1923), "la ville indigène aux cases en banco, privée à la fois d'électricité et d'eau courante" ; sans pouvoir non plus échapper, chez sa grand-mère maternelle à Ziguinchor, aux lois d'un univers voué au culte des esprits, appelés "Tuur", et à qui il fallait chaque vendredi servir du lait au pied de l'autel. Voilà qui en renseigne sur le sens de l'orientation engageante et spirituelle de son œuvre - surtout cinématographique.

Homme jugé "peu commode, voire désagréable et rigide", le cinéaste - après des séjours répétés dans plusieurs lieux dont Marsassoum où il assurait les corvées d'eau chaque vendredi pour les fidèles devant faire leurs ablutions - exprima son désir de vivre sa liberté avec une tendance à la fugue pour s'unir aux espaces les plus larges.

Mais il est à retenir un moment fort intéressant : l'arrivée de Sembène à Dakar - à la Médina - à l'âge de 15 ans sur décision de son oncle Baye Wélé Sembène qui fera de lui un apprenti maçon. Commence une vie de débrouillardise. Face à un homme qui l'exploite à ses fins, il cherche à conquérir son monde avec la rencontre du cinéma, de la mer, de la Bande dessinée. "Il en retirait ravissement et extase", dira Samba Gadjigo. C'était en 1938, époque où le cinéma commençait à "s'implanter dans les mœurs urbaines en Afrique". Et pour satisfaire ce désir brûlant, il vendait aux marchandes des sacs de ciment vides, tout en se faisant "Baay Jagal" ("adepte du recyclage-récupération", en langue wolove).

La seconde guerre mondiale, sera un tournant décisif pour Sembène puisqu'elle lui permettra, comme le dit l'auteur de l'ouvrage, de découvrir "le sens de la vie et la valeur de l'Homme". "Moi, l'école ne m'a rien appris de la vie ; je dois tout à la guerre" dira, à son retour de guerre, Sembène cité par Gadjigo. De même, il trouva que les principes qui lui ont été enseignés par sa confrérie Layène, ne lui étaient d'aucune utilité spirituelle : il finit par s'en détourner. Commence pour lui en 1946, alors qu'il a 23 ans, l'exil de son territoire et de soi-même.

L'ouvrage fera un rappel des évènements saisissants dans la vie du cinéaste. Lors de son exil en France où il se fera docker à Marseille, il inaugura sa vie militante tout en intégrant l'exigence de se former pour s'élever au mieux vers le sommet. "Sans la culture, l'être humain reste un simple tube digestif", affirmait-il. D'après l'auteur, après un stage en cinéma en 1958, ce fut son voyage sur le fleuve Congo en Afrique Centrale en 1961 qui décida l'ancien tirailleur à choisir le métier de cinéaste pour faire passer son message au peuple africain : "Je suis à la fois un artiste et un militant… Je milite à travers mon art".

Samba Gadjigo revient sur les influences subies par Sembène. L'homme avait une fascination pour cette littérature noire venue des États-Unis avec Jack London [écrivain américain "dont les thèmes de prédilection sont l'aventure et la nature sauvage" selon Wikipédia, 1876-1916, NDLR], Claude Mc Kay [romancier et poète jamaïcain, naturalisé américain, 1889-1948, NDLR], Langston Hughes [1901-1967, poète, romancier, nouvelliste, dramaturge, librettiste, éditorialiste, traducteur américain et militant du mouvement des droits civiques. "Il fut une figure majeure du mouvement culturel afro-américain dit de la Renaissance de Harlem" souligne Wikipédia. NDLR].
La genèse de ses premiers romans comme Le docker noir, sa vision éloignée de la tendance à la dépendance et la mendicité, son engagement dans l'arène sociale, la contribution au bien-être de chacun, son accident en 1951 au quai de La Joliette qui le poussa à tirer un trait sur sa vie de docker, sa désapprobation aux visées assimilationnistes de Lamine Guèye [politicien sénégalais, NDLR] et à l'indifférence criminelle des élites, son agnostisme d'après-guerre…, seront traités par l'auteur dans le sens d'un "devoir de mémoire".

Seulement, il est à déplorer le fait que la vie privée de Sembène ne soit presque qu'effleurée. Ensuite, en aucun moment, ne sont cités les noms de personnes proches du cinéaste - à l'image de Clarence Delgado qui fut pendant au moins vingt ans son assistant - et dont on retrouve pourtant l'empreinte dans le contenu de cet ouvrage.

Bassirou NIANG
Sénégal

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