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Discours de la négro-dépendance
Mange, ceci est mon corps, Michelange Quay (Haïti)
critique
rédigé par Télesphore Mba Bizo
publié le 22/02/2008

Mange, ceci est mon corps est sorti bredouille de Rotterdam en 2008. Pourtant, c'est un film de laboratoire. À la lettre, il respecte les canons de production de l'art pur. Le présent article pose le regard du spectateur africain sur ledit film.

Fonction d'évasion, zéro ! Construction de suspense, idem ! Il faut se munir d'aspirine pour voir Mange, ceci est mon corps. Chaque nouvelle information est source de céphalées. Les premières tentatives de compréhension butent contre le mur. Le contenu du film égare ou ennuie tout cinéphile peu averti. La fiction est froide comme le tableau de peinture abstraite qu'elle est. Indispensables pour décoder les significations qu'a su cacher le réalisateur, les velléités de production d'un sens cohérent aboutissent à une crise des nerfs proche de la démence. Mange, ceci est mon corps est le portrait-robot de l'absurde au cinéma. Même s'il n'a pas la gueule du film-témoin en la matière, notamment En attendant Godot, Michelange Quay comble bien cet écart entre le normatif et le quasi-normatif. Il pourrait même s'inscrire dans un corpus de référence si et seulement si le produit continue de faire carrière à l'international.

Un film pour un public élitiste

En un mot comme en mille, le Franco-Haïtien n'a pas filmé pour l'audience africaine, loin s'en faut. D'ailleurs, nul n'attendait mieux de lui. Certes, Haïti, pays natal de Michelange Quay, est un morceau d'Afrique perdu dans l'immense Pacifique où la toute puissance des États-Unis, Grand voisin, effrite les dernières volontés des résistances afro-culturelles. Mais, ce jeune réalisateur vit le continent noir à bonne distance par procuration grâce à des amis comme Newton Aduaka, tenant du titre d'Etalon d'or Yennenga. Or, les attentes du public africain sont ailleurs. Celui-ci s'est fait des fixations indélébiles sur le besoin de sensations et de frissons, dixit Pierre Haffner. La psychologie du spectateur renseigne que l'Afrique est le règne de l'action et de la virilité, paroles du "Vieux". D'aucuns pourront discuter de la crédibilité de tels propos. Ils pourront même lui faire le procès de la généralisation facile du comportement de l'Africain face à l'écran. Cependant, force est de reconnaître, à partir d'une expérience empirique honnête, quelques atomes de bon sens dans le discours de cet écrivain de regrettée mémoire. Un film sans "ambiance" trouvera rarement terre fertile où le divertissement est roi car le "sérieux" est la contre-norme. En effet, Mange, ceci est mon corps, c'est de l'anti-spectacle. Il est difficile de déterminer le personnage central. La mission des actants est méconnue. Quête, vengeance, chevalerie martiale, aventure…, aucun modèle d'interprétation du discours filmique ne sied audit produit de manière logique. Par conséquent, Michelange Quay s'installe dans le mode de "suspense mort".

Élitisme ne rime pas toujours avec défaitisme

Michelange Quay a pourtant réalisé du grand art. Ces applaudissements nourris, éloges des anciennes gloires comme l'Allemand Thomas Rothschild, Président du jury FIPRESCI, viennent unanimement de la critique. L'idée est d'acclamer un film qui associe le spectateur dans le processus filmique de reconstitution des éléments d'un "puzzle". Il y a même mieux. À l'inverse des films populaires où toutes les attentions se concentrent sur le contenu en affichage à l'écran en accordant à peine au sujet humain le temps de penser, Mange, ceci est mon corps procède à la délocalisation du centre d'intérêt. Ici, c'est l'individu, du moins sa psychologie, qui se trouve actionnée. La tête est mise à contribution pour donner sens au film. Sans elle, la fiction est sans objet car dénuée de pertinence en raison du caractère essentiellement souterrain des significations. Le mérite de Michelange Quay est de ne pas verser dans le cinéma du happy end. La chute est ouverte. Le mental du spectateur est chargé de se poser les questions et d'y trouver les réponses lui-même. Cette technique permet de prolonger les interrogations dans les chaumières. La réflexion mûrit. Le débat d'idées en sort vainqueur. Les films cessent d'être des productions "jetables". Le réalisateur offre à l'homme de se réapproprier le film.

Un message fort se dégage au-delà de l'abstraction

Arrêt sur image vers la fin du film. Une Blanche donne son sein sans lait à un nourrisson noir en larmes. Elle venait de découvrir le nouveau-né esseulé et couché à plat dos à même le sol glacial d'un hôpital. Pour taire les pleurs qui déchirent le ciel, elle lui propose son anémique poitrine. Malheureusement, sa peine n'est pas récompensée car l'enfant en proie à la faim redouble l'intensité des pleurs. Sauf erreur d'appréciation, c'est cette image qui baptise le film par : "Mange, ceci est mon corps". Il s'y dégage des valeurs d'altruisme entre deux races diamétralement opposées par la coloration de l'épiderme.
La photographie d'un enfant abandonné à son sort connote nécessairement la parenté irresponsable imputable à des introuvables mère et père de couleur. Par ailleurs, nombre d'observateurs peuvent y lire la sédimentation du phénomène du "Noir éternel assisté". Dans ce sens, le film met en scène une dizaine d'adolescents. Ils quittent leur ghetto en haillons pour se rendre dans une résidence occidentale. Ils y sont nourris, habillés et chaussés. Cette négro-dépendance est décrite avec brio. Elle est même prolongeable dans l'actualité des relations entre les États du Nord et les nations du Sud. Les pays les moins avancés ne cessent de tendre la main pour alourdir leur taux d'endettement. La manne doit toujours tomber du Ciel occidental.
Pourtant, l'auto-prise en charge est possible au regard de l'étendue des richesses que montre le réalisateur pendant une quinzaine de minutes au début de la fiction. Tour à tour, des travellings et panoramiques balaient l'océan ; il laisse découvrir l'énorme potentiel touristique, faunique et floral ; puis les caméras s'attardent sur les taudis haïtiens pour insister sur l'énorme labeur d'urbanisation qui incombe aux citoyens de ce pays ; enfin, les images magnifient les monts et vaux pour suggérer la possibilité d'une révolution verte au moyen de l'agriculture. Le travail est peut-être la voie du salut à même d'extirper la plus vieille nation nègre du monde des griffes de la misère. Une telle initiative donnera plus de contenu au mot "indépendance" pour contredire cette déclaration de René Dumont : "l'Afrique est mal partie".

Télesphore MBA BIZO

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