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Mon nom est … télé
Dossier n°3 Cinéma - télévision
critique
rédigé par Rita Diba
publié le 23/02/2008

La jeune sœur du cinéma a profondément conquis les cerveaux des téléspectateurs.
"Avoir le Yul". Une expression qui ne vient sûrement pas des entrailles de l'aristocratie linguistique française. "Avoir le Yul", dans l'environnement camerounais, c'est "avoir le crâne tondu". Les générations nées dans les années 80 ont trouvé l'expression déjà très usitée par les aînés, en se demandant de quel sombre dialecte du terroir pouvait venir le mot Yul, et pourtant… Yul Brunner, acteur célèbre grâce notamment à son crâne rasé, a laissé, par le biais du cinéma, un héritage au Cameroun, pays dont il n'a sûrement jamais entendu parler.

D'autres grandes stars du cinéma mondial n'auront certes pas eu la même opportunité de marquer la sémantique camerounaise, mais ils se sont inscrits dans le registre des sobriquets, dont l'un des plus célèbres sûrement, Bruce Lee, personnage d'une force physique incomparable. Il y a aussi eu Chuck Norris, Van Damme, Maître (en référence aux 7 maîtres de Shaolin), Terminator, du titre du célèbre film joué par Arnold Schwarzenegger. Il y aura même l'expression "Chef Bandit" qui dans la langue du terroir désigne l'anti-héros et dans la réalité, va désigner un personnage malhonnête ou carrément un brigand dans le quartier.

Soumission

Cette attribution du sobriquet à l'ère de gloire du cinéma révèle un point important : les noms attribués sont toujours ceux de personnages puissants. Symbole quand même du grandiose dont le cinéma se fait l'écho. Grandiose qui traduit la semi-inaccessibilité de l'outil cinéma pour la population. Déjà par son matériel lourd, le cinéma c'est ce quelque chose d'exceptionnel que l'on ne peut avoir chez soi, que l'on ne peut s'approprier. Par sa taille aussi, le cinéma donne au spectateur une impression de toute petitesse, assis ou debout devant la toile qui nous renvoie des images énormes, des personnages agrandis qui nous dominent de toute leur puissance. La distance ainsi installée ne permet pas au spectateur de s'identifier pleinement aux personnages sur la toile même si celui-ci vit intensément chaque moment d'émotion que dégage le film. Une autre donnée à prendre en compte, c'est le genre des films qui étaient projetés. Il est vrai que les films camerounais à l'époque, Muna Moto, de Dikongue Pipa (1974) Pousse-Pousse, de Daniel Kamwa (1975), Notre fille (1980) et les autres, traitaient de la donnée sociale. Mais leur nombre n'était pas significatif. Alors, les films d'ailleurs, qui ont envahi nos salles obscures, étaient des films d'arts martiaux pour le cinéma asiatique, des westerns pour le cinéma américain, qui par la suite s'enrichira du cinéma d'action dont Van Damme et Schwarzenegger sont des dignes représentants. En somme, c'étaient des films où la violence l'emportait sur autre chose. La violence est connue comme l'un des facteurs qui touchent le plus la sensibilité de l'individu. De plus, le cinéma d'artifice illustré par les numéros de voltige des maîtres de Shaolin et les numéros d'adresse au pistolet des Westerns ne font pas partie du quotidien de la société camerounaise, d'où leur caractère unique.

Cela implique donc de la part du spectateur un respect admiratif pour ces êtres exceptionnels qui font des choses extraordinaires. Une résultante de ce respect, l'attribution des noms des héros qui nous fascinent, et quel meilleur hommage à leur rendre que de choisir des êtres pour nous exceptionnels au quotidien. On est à une époque où, dans une société qui a besoin d'être rassurée, l'exception se traduit par la force, donc la sécurité et la puissance, des notions inaccessibles au commun des mortels, et qui s'assimilent en quelque sorte au cinéma.

Comme nous…

Au milieu des années 80, arrive la télévision qui, il est vrai, ne marque pas la disparition du cinéma. Mais à partir de ce moment, on s'approprie les images. Normal, il suffit d'un petit écran chez soi pour le monde chez à domicile. Le spectateur, ex courtisan du cinéma, devient le courtisé de la télévision. Les images écrasantes pendant le règne de monsieur cinéma deviennent petites, maintenant, le spectateur domine ce qui se passe à l'écran, il s'assimile mieux aux personnages dont la taille est devenue raisonnable. Pour mieux marquer son mariage avec Dame télévision, il devient le téléspectateur.

Et là débarquent, au début des années 90, des sagas familiales qui font rêver les Camerounais, Dynastie, Santa Barbara. Là, les prénoms se captent déjà : Blake, Adam, Steven, Amanda. Mais jusque là, la nomination civile est plutôt timide. L'effet de mode va plutôt connaître un boom au milieu des années 90, avec l'avènement de la série Beverly Hills qui sort du cercle familial fermé dans lequel des séries comme Dynastie ou Santa Barbara se déroulaient, pour toucher à l'aspect social en général. Beverly Hills raconte la vie d'un groupe d'adolescents qui va bon an mal an cheminer vers l'âge adulte. Parallèlement, les téléspectateurs de Beverly Hills sont des adolescents qui cheminent eux aussi vers l'âge adulte, des mères qui se préparent à donner naissance à leurs premiers enfants. On est dans un contexte de mondialisation où on se sent plus proche de l'Occident. En plus, les autres prénoms, trop classiques, ont désormais des consonances préhistoriques : Isabelle, Monique, André, Jules.

L'Église a de moins en moins d'emprise sur la population, de moins en moins on s'appelle Marie, Joseph, Marthe, Pierre, Jean. De plus, pour ceux qui ont le mal de l'ailleurs et qui veulent partir, Sion la terre promise ne se trouve plus seulement en France. Il y a aussi les Usa, avec l'American dream qui traduit bien les espérances d'une jeunesse en mal de repères. Beverly Hills représente ce que la jeunesse veut : de belles fringues, une belle maison, de belles bagnoles. Et pour avoir ce petit bout de paradis à portée de main, on commence à prénommer les enfants à l'État Civil : Dylan, Brenda, Kelly, Brandon, Steve. Avec les séries, il y a l'assimilation à un personnage que l'on voit à répétition, et à force, on s'identifie au quotidien à lui. On appelle son enfant Kelly parce qu'on le projette dans l'avenir, déjà grand. Dans une société du désespoir qu'est la nôtre, les jeunes de Beverly Hills ont la vie que les jeunes parents camerounais aimeraient que leurs futurs enfants aient, une existence princière.

A côté de tout cela, il y a les "telenovelas" d'Amérique du Sud, Brésil, Argentine et Mexique notamment. Dans ces séries, un thème trop universel est rabâché tout au long des épisodes, l'amour, et le pathos des téléspectateurs s'emballe en effet : les enfants s'appellent désormais Sergio, Paola, Angelica, Eduarda, Matteo. D'autres vont pousser le bouchon un peu plus loin en prénommant leurs enfants Marimar, de toutes les manières, on se fout de savoir si c'est la contraction de Maria Del Mar. Mais bizarrement, on n'a jamais vu un enfant recevoir à sa naissance le prénom de Chaka, ou Kunta Kinte. Pourtant Chaka Zulu et Racines de Alex Haley ont connu un véritable triomphe sur la Crtv. Mais tout espoir n'est pas perdu, reste à voir qui nommera son bébé Ntaphil, du nom du personnage principal de cette série camerounaise, du même nom, diffusée sur la chaîne publique nationale en 2005.

Rita Diba
Cinepress, Cameroun

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