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Méandres de l'âme, blessures des corps
Elle et lui (Hia ou houa), de Elyes Baccar (Tunisie)
critique
rédigé par Ikbal Zalila
publié le 26/02/2008

Le huis clos, un parti pris théâtral, une esthétique de la fixité, un cinéma de l'apesanteur, Elias Baccar n'a pas choisi la facilité pour son premier long-métrage Hia ou houa. Un premier film relève toujours d'une gageure, a fortiori dans nos contrées où on est encore jeune cinéaste à 50 ans. En se lançant dans cette aventure sans moyens où presque, Elias Baccar a fait preuve d'un cran plutôt rare dans le cinéma tunisien où on passe sa vie à attendre la fameuse subvention du ministère qui garantira le confort d'un tournage "professionnel".

La qualité de ce film ne se mesure pas au fait qu'il ait pu exister, encore moins à son statut de première œuvre, Elle et lui constitue une proposition de cinéma, novatrice, intelligente dans le paysage du film tunisien. Le cinéma tunisien a toujours été perçu par une certaine critique orientalisante comme un cinéma de la transgression, celle-ci se limitant au dévoilement du corps féminin, ou à la représentation (plutôt maladroite) de l'acte sexuel. La sphère de l'intime, ce qui se joue entre un homme et une femme a toujours pâti d'une représentation qui la déconnecte de la sphère politique. Nouri Bouzid mis à part, rares sont les cinéastes tunisiens qui ont fait de l'articulation de ces deux sphères un enjeu cinématographique.

Elle et lui ambitionne de creuser la question du présent et du devenir du corps opprimé. Il explore la complexité de la question amoureuse dans sa dimension sadomasochiste et s'attelle à montrer de quelle manière la sensation de la défaite accouche d'un fantasme de soumission. Implantée dans un décor unique et exigu, portée par deux comédiens, l'histoire de Elle et lui se déploie le temps d'une nuit d'hiver. "Lui" est étudiant en médecine. Confortablement installé dans sa déprime, il vit en reclus dans son capharnaüm. "Elle" débarque sans crier gare, parce qu'elle "veut passer la nuit avec lui". Jeune, belle et impétueuse, elle lui renvoie en pleine figure l'image de ses propres échecs.

Premier mouvement : Elle le désire, il la repousse. Deuxième mouvement : il la désire, elle le rejette au point de l'avilir et c'est de cet avilissement que naîtra l'étreinte, éphémère et mise en ellipse. Une trame minimale à laquelle on pourrait à juste titre reprocher une légèreté certaine dans la construction des personnages. Il est vrai qu'on ne sait pas grand-chose de "lui", sauf qu'il a décidé de renoncer à ses rêves, à ses illusions. Il traîne son corps comme un fardeau, sa démarche est indécise, ses gestes maladroits ; Ce corps est comme "empêché" lesté qu'il est du poids de renoncements qu' "elle" lui rappelle avec des mots très durs. C'est justement dans son obstination à prendre ses distances avec tout vérisme que réside l'intérêt du film. Ce faisant, Elias Baccar rompt avec un des travers du cinéma tunisien de ces dernières années : son sociologisme surfait.

Mohamed Ali Ben Jemaa évolue à quelques nuances près dans le même registre que Noun dans Junun de Fadhel Jaibi, Anissa Daoud dans sa diction et dans sa gestuelle mime la Jalila Baccar de Arab. Les dialogues un peu trop labellisés "nouveau théâtre" ont parfois du mal à "prendre". Qu'à cela ne tienne ! Cette théâtralité dans le jeu aurait porté préjudice au film si elle n'était pas assumée de bout en bout par la mise en scène. Elyas Baccar privilégie la fixité des plans, les silences mais aussi la redondance, l'affectation dans les postures corporelles. Des partis-pris qui pourraient déranger, provoquer l'ennui, dérouter un spectateur habitué à être pris par la main pour qu'on lui raconte une belle histoire.

La transgression dans ce film naît de la radicalité de ses options esthétiques. À aucun moment le réalisateur ne cède à la tentation de séduire. Même s'il est incontestable qu' "elle et lui" est maniériste (c'est le pêché mignon des premières œuvres), il n'est en aucun cas réductible à sa seule forme. Ce qui est à peine effleuré par un certain nombre de films tunisiens, est saisi frontalement par ce jeune réalisateur qui s'attache à déconstruire/ reconstruire un corps en perdition. La fin du film trop soulignée porte quelque peu préjudice à un ensemble qui interpelle par la sûreté de ses choix.

Ikbel Zalila

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