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Rivales amies
Dossier n°3 Cinéma - télévision
critique
rédigé par Jacques Bessala Manga
publié le 29/02/2008
J. Bessala Manga
J. Bessala Manga

La mise en service du service public de télévision au Cameroun, la mise en service de la télévision tout simplement, en avril 1985, est venue bousculer les habitudes de production et de consommation des images animées, les faisant passer d'un âge de consommation populaire, dans les salles de cinéma, dans d'autres lieux insolites dont la projection en plein air, à un autre âge de consommation domestique, à l'intérieur des domiciles privés.

La télévision nouvelle a fortement structuré les logiques de production, du cinéma à l'origine, pour basculer dans ce qu'il est devenu conventionnel de nommer, la vidéo. La dualité entre le cinéma et la télévision a campé son champ de déploiement sur les plans de l'infrastructure et du financement. La formidable de production publique a progressivement cédé le pas à une production privée qui semble avoir depuis lors pris le dessus sur la première, confortant, si besoin est encore, la logique de désengagement de l'Etat dans les secteurs productifs. Au-delà de cette dualité nouvelle, les passerelles communes ont continué d'exister entre la "vielle dame" et la nouvelle fiancée, comme dans un ménage à plusieurs, le public s'étant érigé entre temps comme le prince à séduire à tout prix et à tous les prix. L'opposition apparente entre le cinéma et la télévision ne peut trouver toute la plénitude son intérêt dans le contexte camerounais que dans l'acceptation du postulat selon lequel, le cinéma, du fait de son antériorité, doit continuer d'exister à coté de cette rivale, ambitieuse et prétentieuse qu'est la télévision.

Archives et cinéma de libération

Les luttes d'indépendance en Afrique ont sécrété des combattants. Le cinéma n'a pas été en reste dans l'élan collectif qui s'est emparé des élites africaines dans leur soif de liberté et leur désir d'affranchissement du colonisateur. La littérature a tracé une trajectoire désormais facile à suivre par les autres créateurs. La logique de nationalisation tout azimuts, n'a épargné aucun secteur d'activité. C'est dans ce contexte de nationalisme prévalent que l'État du Cameroun va s'investir dans le cinéma, pour des finalités propagandistes au départ. "Cameroun Actualités", un programme imposé au public des salles de cinéma en marge des projections programmées, a été en son temps, une source assez impressionnante d'images du Cameroun, en tant qu'elles permettaient de voir les nouvelles autorités camerounaises, dans le feu de l'action. Les discours des officiels à travers le monde entier, visites officielles à l'étranger, interventions à l'Onu, étaient proposées au public, pour démontrer comment le Cameroun avait désormais pris en main son destin en tant que nation indépendante, membre à part entière de la communauté internationale. Il n'était d'ailleurs pas rare que certains spectateurs se reconnaissent dans des images, lors du défilé de la Fête nationale, alors même qu'elles ne savaient pas qu'elles avaient été tournées. C'est l'ère du triomphe du film historique, magnifiquement expliqué par un édifient article de Pierre Haffner. Pour lui en effet, "par les actualités des premiers opérateurs, les Africains s'approprient donc, pour la première fois depuis l'invention des frères Lumière, les images et les sons de leur pays, par les premiers courts métrages des réalisateurs (souvent des opérateurs passés à la réalisation) les Africains voient pour la première fois, sur les écrans encore géants, quelques reflets de leurs pensées, de leurs sentiments et de leurs désirs". Les images d'archives constituent donc le matériau de prédilection, face à la difficulté naturelle du film historique, dont la reconstitution des décors et des costumes n'est jamais aisée. Le cinéaste a opportunément pris la place du griot dans la société traditionnelle africaine, car seul le griot s'autorisait de parler au souverain avec un minimum de dérision.

Ces images, assez impressionnantes étaient donc réalisées par des expatriés qui continuaient d'exercer dans ce domaine particulier que les populations indigènes n'avaient pas encore investi. C'est certainement la raison évidente pour laquelle, le Fonds de développement de l'industrie cinématographique, Fodic, société d'économie mixte à capitaux publics va être créé, et être doté de ressources techniques, caméra, rails, projecteurs, autres et financières, pour permettre l'éclosion d'un art qui, à l'évidence, exerçait une fascination incontestable auprès des foules, la fameuse magie des images. Des compatriotes vont obtenir des bourses d'étude pour aller étudier cette science des images. Le mobile d'une telle entreprise résidait naturellement dans la volonté de refuser cette autre forme de "colonisation mentale". Cette démarche a eu des effets inespérés. L'âge d'or du cinéma camerounais est à peu près concomitant de cet engagement de l'Etat. Muna Moto de Jean Pierre Dikongue Pipa va être unanimement salués par la critique internationale, et les avis continuent de concorder pour qualifier le chef-d'œuvre qu'a été cette création remarquable qui a inscrit, pour la postérité, ses lettres de noblesse au panthéon du cinéma africain. De mémoire, la période de l'interventionnisme des Etats dans la production du cinéma africain a permis de réaliser de très belles images de cette Afrique à la croisée des chemins.

L'entrée en récession de l'économie mondiale, particulièrement ressentie en Afrique noire, à cause de la détérioration des termes de l'échange des matières premières, cacao, café, coton, tabac, dont étaient particulièrement dépendants la plupart des jeunes Etats issus des indépendances, va changer la donne, et progressivement priver les Etats de la plupart des revenus qui permettaient de soutenir le sentiment national. Le secteur de la culture va particulièrement en souffrir. Le principal pourvoyeur des financements du cinéma camerounais, le Fodic, va entrer en crise du fait du tarissement progressif des dotations de l'Etat. Doublé à cela par une gestion hasardeuse, cette structure va se saborder et laisser les cinéastes orphelins de leur vache à lait. Le financement privé n'ayant pas pu s'embarquer dans la dynamique impulsée par le public. La mise en service du service public de télévision va sonner le glas d'une industrie qui avait déjà mal à ses sources de financement. La priorité de l'Etat du Cameroun va se déporter vers la télévision, dont la plupart des Etats voisins, le Gabon, la Guinée Equatoriale, sont déjà dotés, alors même qu'ils n'ont pas le même potentiel que le Cameroun. C'est une question, une autre, d'orgueil national.

L'implantation de la télévision nationale va avoir un effet dévastateur. Il s'agit pour les dirigeants d'utiliser cet outil pour renforcer la nation, comme savent déjà le faire la radiodiffusion nationale, la bien nommée Radio Cameroun, et la presse quotidienne, la non moins bien nommée Cameroon Tribune. La télévision va donc s'imposer, et le petit écran va envahir le public, qui lui-même, va déserter les salles de cinéma et leurs grands écrans. Comme peau de chagrin, le nombre de salles va se réduire à son expression simpliste, passant d'une soixantaine environ à la fin des les années 70 à une dizaine pour des estimations optimistes. Les autres étant devenues des entrepôts ou des magasins pour des commerçants. Le cinéaste, ce prince des années de gloire va être déchu, et devra désormais composer avec le nouveau média impérialiste à souhait, et manifestement envahissant.

L'ère des convertis

La télévision va néanmoins constituer un viatique possible aux princes déchus. Certains ne vont d'ailleurs pas hésiter à s'y embarquer. Car, au demeurant les coûts de financement des projets sont nettement plus accessibles ici. L'office de radio et de télévision nationale du Cameroun va bénéficier d'un mécanisme de financement quasi infaillible, qui permet de soutenir une production minimale. Outre la déferlante des programmes de divertissement issus de la coopération culturelle internationale, qui proviennent principalement de France, de Grande Bretagne, d'Allemagne, du Canada et des Etats-Unis d'Amérique, un embryon de production de fictions et de documentaires va se mettre en place localement. Ce qui va permettre à quelques réalisateurs de raviver une cinématographie locale, quoique boudée par quelques nostalgiques, qui continuent de pleurer sur les cendres de l'âge d'or du cinéma camerounais. Daouda Mouchangou, Vincent Ndoumbè, Blandine Foumane, Ndamba Eboa et d'autres encore, vont créer des œuvres qui ne souffrent d'aucun complexe face à des programmes importés. Bénéficiant du soutien logistique et financier, de même que la diffusion optimale de la télévision nationale, organe qui emploie la plupart des ces nouveaux conquistadors, les productions locales vont charrier un temps, les espoirs d'une renaissance annoncée du cinéma camerounais. Le théâtre filmé et le téléfilm camerounais donnent le change aux feuilletons venus d'outre atlantique et d'outre méditerranée.

L'alternative numérique

Dans la même lancée, les vidéoclubs vont combler le vide laissé par les salles de cinéma, permettant désormais de recréer cette ambiance de visionnage collectif des images. Un magnétoscope, un poste téléviseur et quelques bancs rangés dans une salle insalubre suffisent à drainer des foules dont l'importance n'est pas négligeable. Le cinéma peut désormais penser sa mutation. La pellicule a cédé le pas à la cassette vidéo. Le caméscope va se substituer à la caméra. Et cette mutation technologique va peser de tout son poids, car, de jeunes professionnels vont s'engouffrer dans cette brèche offerte par les nouvelles technologies, pour oser ce que leurs aînés n'ont pas pu faire. Les coûts de production vont nettement se démocratiser, le frein financier qui continuait d'être le ventre mou du cinéma va sensiblement se relâcher. L'année 2006 va être particulièrement prolifique de fictions et de documentaires, longs et courts métrages vont déferler par vagues successives et révéler une nouvelle génération de cinéastes qui tournent en vidéo, tant la démarcation entre les deux expressions matérielles est devenue congrue.

Même si le défi de la qualité reste à relever, le volume des productions est à apprécier à sa juste valeur. Car, ce n'est que de la multitude que va sortir la perle rare que le public attend depuis si longtemps. L'espoir est permis. Cyrille Masso, formée à l'école de la télévision et dont le film Confidences vient d'être proposé au public camerounais en projection payante, représente comme d'autres, cette volonté affichée de la nouvelle vague des cinéastes Camerounais, qui ne veulent pas se laisser assommer par la fatalité. Le formidable développement du secteur privé de l'audiovisuel est autant une des pistes de sorties de crise du cinéma Camerounais, eu égard à l'émulation que l'on peut y déceler. Canal 2 International et STV proposent un challenge autrement intéressant à suivre dans un avenir très proche. Les séries que Parfait Zambo, Athanase Mvondo et d'autres jeunes sont sans nul doute, des alternatives crédibles qui méritent d'être sérieusement encadrées et valorisées à juste titre. Leur succès local est incontestable et constitue de réels motifs d'espérer.

Jacques Bessala Manga
Cinepress Cameroun

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