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Haroun tourne et retourne (à Bordeaux)
Sexe, gombo et attiéké, de Mahamat-Saleh HAROUN (Tchad)
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 27/03/2008

Au début de la rue Des-piliers-de-tutelle, perpendiculaire à l'Opéra de Bordeaux, l'architecte sénégalais Boubacar Seck et un de ses collaborateurs pressent le pas. Il est très affairé, il a une urgence et va revenir. En s'enfonçant un peu plus dans la rue, au numéro 8, un grand borgnol [NOTE 1] barre la devanture vitrée du Wato Sita.

Le Wato Sita est à son habitude : bar branché, il est bondé de monde (un public toujours métissé), la musique pulse (Fela Kuti) à ne plus s'entendre respirer, a fortiori entendre son voisin sans élever la voix.

L'heure est assez inhabituel pourtant : 14h33 en ce lundi 29 janvier 2007. Dans le sas qui précède la salle principale, un jeune homme Blanc, environ la vingtaine, téléphone portable à l'oreille, termine une conversation. Il raccroche et la voix de Fela gronde de plus belle quand il s'engouffre dans la salle. Il est suivi de près par un jeune homme Noir du même âge qui s'assied au bar et lance au patron des lieux, Yérim Sy (fidèle, derrière son comptoir) : "Un Morito s'il vous plaît !".
"Voilà", répond affablement Yérim en lui tendant son verre. Une jeune femme Noire (Aïssa Maïga - Bamako, Les poupées russes - qui joue Aminata) un gros sac vert et jaune à l'épaule, mâchonnant ostensiblement son chewing gum, glisse crânement la tête : "Je peux ?". Le regard torve du jeune homme Noir la refroidit à peine ; elle continue avec un "Tu me paies un verre, mon frère ?".
Le jeune homme, glacial, lui rétorque : "Je ne suis pas ton frère !" avant de se tourner vers le barman, Yérim Sy, pour demander combien il lui doit. Après le paiement de l'addition des 6 euros 50 du Morito, le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, l'œil rivé à un moniteur vidéo portatif, lance un sonore : "Coupez !".

C'est la 1ère prise de la scène 50/1 de Sexe Gombo et attiéké, un téléfim pour ARTE, produit par Agat Films (Paris). Haroun fera plusieurs autres prises par la suite ainsi que des champs et contrechamps ainsi que d'autres plans de coupe. La cave du Wato Sita servira aussi de plateau pour une scène supposée se passer dans un lieu différent.

Depuis B400 (court-métrage de fiction avec ses deux enfants), le cinéaste bordelais Mahamat-Saleh Haroun n'avait pas tourné à Bordeaux. Son premier film - le documentaire Bord'Africa sur les musiciens bordelais issus de l'émigration africaine - avait pour cadre le port de la lune (surnom de la capitale girondine).

Alors qu'il est encore en promotion pour son dernier long métrage Daratt (couronné du Prix du Jury à Venise et du Tanit d'Argent à Carthage), le Bordelais Mahamat-Saleh Haroun se lance dans un film de télévision. C'est une comédie de mœurs qui se déroule au cœur du milieu des Africains de Bordeaux, racontant la mutation (parfois difficile) entre la période où les expatriés africains se croyaient de passage et aujourd'hui où ils doivent composer avec leur identité bordelaise.
Autarcie, homosexualité, jeunesse qui se cherche, vieillesse qui ne se retrouve pas ; auréolé de ses titres, Haroun jette un regard acide et tendre sur son Bordeaux. Le tournage n'a pas été facile puisque selon certaines informations les hôpitaux de Bordeaux ont refusé une autorisation de tournage que l'hôpital de Libourne a, lui, accordé avec simplicité. Le casting était évolutif, jusqu'à la semaine qui a précédé la fin du tournage (le vendredi 24 février 2007), la production était à la recherche de deux adultes sachant parler le mandingue (langue parlée dans toute l'Afrique de l'Ouest et même au delà).

L'architecte Boubacar Seck (autre Bordelais) de l'agence Pixel 42 est le chef décorateur du téléfilm et gère les différents plateaux répartis entre la rive gauche (notamment le bar tabac où le héros achète son ticket de PMU quotidien, ainsi que deux plateaux au Wato Sita : salle principale et la cave) et la rive droite (à Cenon, dans le Grand Pavois dont les immeubles vont être démolis).

Des acteurs de renom figurent dans le film. Aïssa Maïga (lumineuse dans Bamako où elle interprète l'héroïne Mélé) prête ici ses traits à Aminata, une jeune femme paumée. C'est elle qui cherche à se faire payer un verre au Wato Sita. Dani Diakité (le fils du héros, Malick) est joué par l'acteur multicartes français Diouc Koma, qui jouait le petit frère de Fatou Kébé dans Fatou la Malienne de Daniel Vigne et plus récemment le combattant sénégalais révolté qui réclamait des tomates sur le bateau dans Indigènes de Rachid Bouchareb. C'est lui qui envoie balader Aminata qui veut qu'il lui paie un verre. Il s'est beaucoup impliqué dans le film, comme les autres acteurs.
Dans la figuration, le Disc joker sénégalais, Jules Ndiaye, qui officie au Night Club Fidji, ainsi que Gabriela Ziakova ravissante chercheuse slovaque de l'Université de Bordeaux 3.

Le réalisateur a été attentif aux remarques des acteurs et de son producteur, Nicolas Blanc, sur le scénario qui a connu des inflexions et développements divers.

La musique originale a été confiée au compositeur sénégalais Wasis Diop (déjà auteur de la Bande originale de Daratt). Le réalisateur songe inclure des musiques de Zap Mama (Congo), Fela (Nigeria), Kora Jazz Trio (Sénégal), et du trip hop avec Morcheeba (Grande Bretagne).
L'image est signée par François KUHNEL.

Le téléfilm, tourné en vidéo numérique (avec toute la machinerie du cinéma), sera diffusé le 18 juillet 2008 sur la chaîne ARTE en prime time, une première qui, espérons le, viendra effacer la caricature offerte par Daniel Vigne qui a montré les Africains-Français comme foncièrement esclaves de la nature et des traditions.

Dans une interview au magazine Afiavi (Bordeaux), parue le 03 mars 2007, le cinéaste bordelais annonce un projet de film qui se déroule au Tchad cette fois et qui s'intitule Un homme qui crie n'est pas un ours qui danse, un vers tiré du Cahier d'un retour au pays natal (Aimé Césaire, Martinique, 1936-1938).

Bordeaux
Thierno I. DIA

En encadré
La Région Aquitaine accueille une quarantaine de tournages par an. Jeanne d'Arc de Luc Besson a été tourné dans la région, au château de Beynac, situé sur un promontoire vertigineux. Il y a aussi Les Misérables (Robert Hossein, 1982), Valmont (Milos Forman, 1988), La Reine Margot (Patrice Chéreau, 1993), Beaumarchais (Edouard Molinaro, 1995). Claude Chabrol est un fidèle de la région et de son festival international d'histoire (à Pessac). Bordeaux constitue un décor très riche et sa mairie s'engage de plus en plus dans la promotion du cinéma.
La Mairie de Bordeaux soutient elle aussi les cinémas africains en organisant avec l'association cinéma Africain Promotion le ciné-club CINE PALABRES chaque troisième samedi du mois à la grande Bibliothèque municipale (Bordeaux Mériadeck), l'entrée y est gratuite.
Plusieurs salles art et essai (Cinémas UTOPIA, Jean Vigo, Jean Eustache, Le Festival) garantissent la diffusion des cinémas africains. L'association cinéma Africain Promotion organise les Rencontres Cinématographiques Africaines chaque année impaire depuis 1989.

Avant-première mondiale le mardi 25 mars 2008, à la salle Simone Signoret (Cenon), en présence du réalisateur et d'une partie de l'équipe, des comédiens et du Maire de Cenon, Alain David.
Diffusion sur la chaîne ARTE le 18 juillet 2008

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