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Jean-Luc Godard : Un conceptuel pragmatique
Atelier d'analyse filmique à l'ISAMM animé par Alain Bergala sur Godard
critique
rédigé par Ikbal Zalila
publié le 02/04/2008

Godard le cinéaste, l'artiste, le contempteur de toutes les formes établies, mais aussi l'homme engagé et le penseur. C'est à une introduction à l'œuvre de cette personnalité aux multiples facettes que nous a conviés Alain Bergala dans l'atelier d'analyse qu'il lui a consacré à l'institut supérieur des arts multimédias le lundi 11 février. Cet atelier s'inscrit dans le cadre de l'hommage qui est rendu à ce cinéaste par le cinéma Africart et l'institut français de coopération du 08 au 15 février 2008.

Alain Bergala est considéré aujourd'hui comme un des meilleurs spécialistes de l'œuvre de Godard. On lui doit notamment "Nul mieux que Godard" et plus récemment " Godard au travail : les années 60", un livre somme sur la période la plus créatrice de ce monument du cinéma Mondial. L'importance de l'auditoire constitué d'étudiants de cinéma, mais aussi de cinéphiles et d'enseignants traduit les attentes suscitées par la venue de Bergala en Tunisie, mais aussi la centralité de l'œuvre de Jean-Luc Godard (JLG) dans l'histoire de l'art du XXiéme siècle. Le cinéma de Godard n'est pas facile d'accès et son exégèse surtout académique a fait de ses films des pensums réservés à quelques heureux élus dans le monde qui disposeraient des outils conceptuels pour pénétrer son œuvre. Disons le sans détour, la production de connaissances sur Godard s'est faite à notre sens contre son cinéma en l'entourant d'une aura telle qu'elle l'a progressivement éloigné du spectateur. Et si toute la planète cinéma se dit Godardienne par coquetterie, rares sont les cinéphiles qui pourraient vous expliquer le pourquoi de cette vénération.

Au cœur de l'analyse : "le voir"
Alain Bergala a opté pour une approche beaucoup plus préoccupée par le geste artistique dans les premiers Godard que par les questions de sens qui travaillent ses films. Cette démarche dont se prévaut Bergala se base sur une connaissance intime de tous les éléments de contexte des films qu'il a analysés (Rapports de scripts, entretiens avec les membres de l'équipe technique, plans de travail, scénarios, et surtout très longs entretiens avec Godard). L'analyse de séquences a été précédée d'un exposé retraçant la trajectoire de l'auteur et celle de la nouvelle vague dont il est un des fondateurs. Cette génération de cinéastes cinéphiles issus de la critique cinématographique aura réussi à révolutionner l'art cinématographique en un laps de temps relativement court (1959-1962). Elle essaimera un peu partout dans le monde en étant à l'origine de la naissance de nouvelles vagues, au Canada, en Italie, au Brésil(avec le cinéma novo). Au sein de la Nouvelle vague, Godard occupe une place particulière aux yeux de Bergala, celle de l'artiste pur.

Toute l'entreprise d'analyse de Bergala sera focalisée sur la mise en évidence de l' "articeité" de son œuvre. Cette proposition simple dans sa formulation, induit une inflexion majeure dans la portée de l'analyse. Bergala nous appelle à voir (au sens fort de ce terme) Godard plutôt que de nous engager dans une quête illusoire de signification. Toute la difficulté de l'analyse filmique réside dans ce déficit du regard. Regard furtif de certains analystes pour qui le film n'est que prétexte au déploiement d'un discours qui le réifie en tant qu'œuvre d'art. Regard superficiel des étudiants qui à cause du trop-plein d'images ont "désappris" à voir. Un film nous dit Godard ne doit pas raconter des histoires mais doit montrer des histoires. Bien voir présuppose de prendre pour point de départ l'image dans sa littéralité et accepter l'idée qu'elle est la conséquence d'un geste pas nécessairement lesté de sens. Bergala met en pratique cette idée en analysant un extrait de "vivre sa vie" où Godard commence par suivre Anna Karina de biais alors quelle marche avec une amie d'enfance dos à la caméra. Leur dialogue est filmé de dos enfreignant par-là aux conventions établies en vertu desquelles la personne qui parle doit toujours être dans le champ.

Plus tard dans cette même séquence, on trouve les deux jeunes femmes attablées dans un bar, au lieu du champ contre-champ classique, Godard choisit d'évacuer l'interlocutrice d'Anna Karina du plan pour se concentrer sur son très beau visage sur lequel il multiplie les zooms. Un acte d'amour gratuit qui ne se justifie par aucune nécessité dramatique. C'est en ces moments où sa caméra caresse le visage de sa protagoniste qui se trouve être la femme qu'il aime que réside l'art de Jean Luc Godard. Y voir autre chose qu'un acte d'amour reviendrait à lui attribuer un sens qui le dépasse et l'annule en tant que geste purement artistique. Une fusillade éclate à l'extérieur tirant le spectateur de sa rêverie, le ramenant à l'histoire. JLG choisit d'aller de l'intérieur à l'extérieur et de revenir à l'intérieur du bar par le biais d'un travelling latéral. Pour son chef-opérateur cette opération est techniquement impossible. Ce problème est contourné au montage par Godard qui opte pour des arrêts sur image saccadés qui épousent le rythme de la fusillade. Cette solution pratique souligne le "bricolage formel" auquel s'adonne le Godard des années 60 qui sera considérée comme la marque d'un génie.
Godard aux yeux de Bergala est un conceptuel- pragmatique. A l'opposé d'un Eisenstein dont l'œuvre cinématographique constitue la matérialisation d'une pensée préétablie du cinéma, Godard n'a pas commencé par théoriser sa pratique. Cette période de créativité intense qui s'étend de 1959 à 1967 s'est caractérisée par des expérimentations formelles dictées par l'ambition de refonder le cinéma et sa grammaire. Bergala nous enseigne que ces traits de génie attribués à Godard constituent des moments de l'acte créatif qu'il s'agit de considérer en soi en faisant abstraction du fait qu'ils véhiculent nécessairement du sens.
Bergala ne fait pas la guerre au sens loin de là, les premiers films de Godard constituent une radioscopie de la jeunesse et de la question amoureuse dans une société française en mutation. Ce que tient à souligner Alain Bergala, c'est que tout dans le cinéma de Godard ne doit pas être lu à l'aune d'une intentionnalité "auctoriale", et que ce qui fonde la modernité de Godard, c'est aussi cette liberté de l'élan créatif, parfois sa "gratuité"

IKBEL ZALILA

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