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La question du premier film
Cinquantenaire du cinéma marocain (1958-2008)
critique
rédigé par Mohammed Bakrim
publié le 06/04/2008

Les organisateurs du festival du film francophone de Safi (sud de Casablanca) ont choisi de célébrer lors de la sixième édition de leur festival les cinquante ans du cinéma marocain. Une table ronde a été organisée dans ce sens le jour de la clôture du festival et un trophée a été remis lundi par madame la ministre de la culture au directeur du CCM pour marquer cet évènement.

En fêtant les cinquante du cinéma marocain les organisateurs du FFF de Safi ont ainsi privilégié l'année 1958 comme celle qui a vu naître le premier film marocain, Le fils maudit de Mohamed Ousfour. Il y a certainement une dimension sentimentale dans ce choix. Ousfour, faut-il le rappeler, est un natif de Safi. Dans un autre geste fort, le festival du film francophone a décidé de perpétuer son souvenir en donnant son nom au trophée décerné par le festival, l'Ousfour d'or. C'est une initiative louable. Celle de célébrer le cinéma marocain ne l'est pas moins. Même si parler des cinquante ans du cinéma marocain pose des questions de fond, principalement d'ordre méthodologique. L'histoire du cinéma marocain reste à écrire autour notamment de cette question fondatrice : quel est le premier film marocain ? À Safi, on semble trancher le débat dans le sens de confirmer l'année 1958 comme celle de l'émergence du septième art marocain. Ce n'est pas tout à fait évident. Cela ouvre sur un vaste champ théorique et méthodologique. Une problématique qui n'est pas d'ailleurs spécifiquement marocaine. L'histoire du cinéma est traversée de débat sur… l'histoire du cinéma. Deux constatations marquent ce débat, et qui abordent l'histoire du cinéma différemment : l'une comme simple accumulation de faits et recensement de films. Conception qu'un théoricien de l'histoire du cinéma, Jean Mitry récuse. L'autre conception défendue par Jean-Louis Comolli est beaucoup plus ambitieuse ; elle s'appuie sur la théorie du cinéma comme pratique signifiante articulée aux séries de déterminations complexes d'ordre économique, politique et idéologique.

Sur les deux aspects, le discours d'escorte autour du cinéma marocain affiche un déficit théorique flagrant même si des initiatives timides ont tenté de proposer quelques pistes de réflexion. Une situation qui s'explique par les conditions objectives de ce cinéma lui-même. Longtemps, celui-ci était réduit à sa plus simple expression. Le film de Ousfour lui-même reste un objet rare. Inédit, inconnu pour la plupart des observateurs et des cinéphiles. C'est un moyen métrage, produit dans des conditions quasi artisanales et qui en tant qu'écriture reste très naïf voire primitif au moment même où le cinéma en tant que langage a bouclé sa boucle, d'un point de vue esthétique et artistique.

Cela nous ramène à des questions de méthodologie. Quelle est l'année de référence pour un film : celle de sa production ? De l'obtention de visa ? De sa sortie commerciale ? Ou de sa programmation dans un festival ? Dans ce sens, il y a des observateurs qui font rappeler que le film de Ousfour remonte en effet à 1957, même si il est officiellement daté de 1958, en fait, l'année de l'obtention de son visa.

Autres questions concernant cette fois le format (court, moyen ou long), le genre (fiction, documentaire), voire la nationalité du cinéaste, la nature de la production… si on ouvre ce répertoire, on se rend compte que la question du premier film marocain est une question largement ouverte. Puisque déjà, par exemple, Othello d'Orson Welles a été inscrit à Cannes et a décroché la Palme d'or sous les couleurs marocaines en… 1952. En outre, le Centre Cinématographique Marocain, né en 1944, a produit un joli film en 1957, Le collier de beignets signé Jean Fléchet avec Hassan Skali dans une belle prestation. Beaucoup de critiques de cinéma privilégient ce film comme point de départ de la cinématographie marocaine. Si l'on se réfère à l'exemple de l'Egypte qui vient de fêter avec pompe le centenaire de son cinéma (la différence est de taille), on constate que le repère choisi par les historiens égyptiens est un court métrage, documentaire réalisé par un Turc en 1907, au moment où l'Égypte n'a pas encore eu son indépendance. Si l'on applique la même grille au Maroc, l'année prochaine, il faudra fêter les 90 ans du cinéma au Maroc avec l'anniversaire de Mektoub de Jean Pinchon et Daniel Quentin, tourné au Maroc en 1919. Et je ne parle pas des dizaines de "vues" prises par les opérateurs des frères Lumière !
D'un point de vue strictement institutionnel, d'autres hypothèses penchent plutôt vers l'année 1968 comme celle qui voit le démarrage officiel du cinéma au Maroc avec Vaincre pour vivre de Mohamed Tazi et Ahmed Mesnaoui, le premier long métrage officiel puisque produit par le CCM. Il faut rappeler que cette année a vu la production d'un autre long métrage, Quand mûrissent les dattes de A. Ramdani et Larbi Bennani. Sa sortie a été retardée par rapport à OthelloVaincre pour vivre pour des raisons techniques, étant tourné en couleurs, les travaux de laboratoire ont été effectués à l'étranger… Faut-il ajouter que pour la branche pure et dure de la cinéphile marocaine, la date de naissance du cinéma marocain se situe plutôt en 1970 avec Wechma de Hamid Bennani !
La recherche reste à affiner, d'autant plus qu'il y a des films "portés disparus". On parle, par exemple, d'un projet intitulé Le Violon de Belhachemi, premier directeur du CCM après l'Indépendance. On parle également d'un long métrage de commande, réalisé dans le début des années 60 par des lauréats de l'IDHEC, mais rapidement retiré et détruit ayant été jugé "communiste" par les autorités de tutelle de l'époque. C'est un véritable objet de recherche qui suppose au préalable des outils théoriques et méthodologiques cohérents et fiables. Ensuite, en proposant une distinction entre les différentes formes de production ayant marqué le parcours du cinéma au Maroc. Il y a en effet une histoire du cinéma au Maroc qui épouse pratiquement l'histoire du cinéma tout court, les premiers opérateurs Lumière sont arrivés dans notre pays quelques semaines seulement après la grande première parisienne du cinématographe. Et il y a une histoire du cinéma marocain qui a ses prémices, sa périodisation et son institutionnalisation. En somme une histoire et une préhistoire.

Mohammed Bakrim

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