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Cinéma camerounais : la re-montée des marches
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 11/04/2008

Après avoir connu des années de gloire aux lendemains de l'indépendance du 1er janvier 1960 et jusqu'aux années 70-80, le cinéma camerounais a sombré dans une profonde léthargie tout au long de la décennie suivante. Mais, grâce à une convergence heureuse de certains événements depuis les années 2000, il semble reprendre du poil de la bête.

Le Cameroun est l'un des tout premiers pays africains à s'être engagé dans la voie du cinéma. En 1962 déjà, Jean-Paul Ngassa co-réalise avec Philippe Brunet, à Paris, Aventure en France. C'est un court métrage de 26 minutes où est décrite la vie des étudiants camerounais à Paris. Jusqu'aux années 80, plus de 75 films sont tournés, tous formats, longs et courts métrages confondus. Cette grande productivité correspond avec la création du Fonds du développement de l'industrie cinématographique (FODIC) (*)
Créé en 1973, cet instrument des pouvoirs publics soutient la production cinématographique nationale, non seulement par des financements directs, mais aussi à travers une billetterie organisée et contrôlée. Pour renflouer les caisses du FODIC, une loi crée une taxe sur les billets d'entrée dans les salles de cinéma. Et le FODIC n'est pas que financements, il est aussi logistique. La société para-étatique s'est dotée d'un matériel de tournage d'excellente qualité, qu'elle met à la disposition des cinéastes. Le succès ne tarde pas. Daniel Kamwa et Jean-Pierre Dikongué Pipa, pour ne citer qu'eux, sortent du lot. En 1975, ils réalisent respectivement Pousse-Pousse et Muna Moto. Le premier est adopté par le public partout en Afrique noire, et même au-delà. Le second est consacré par la critique, et remporte d'ailleurs l'Etalon de Yennenga en 1976, le seul film camerounais, à ce jour, à avoir remporté la plus haute distinction du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO).
Pousse-Pousse est une comédie-ballet relatant l'histoire d'un triporteur qui veut épouser Rosa. Mais avant, il doit d'abord s'acquitter de la dot auprès de son beau-père qui compte tirer le maximum de profit de cette coutume.
Muna Moto s'inspire de la même problématique, mais est une tragédie poétique sur l'amour de deux jeunes gens, amour brisé par les abus de pouvoir des aînés, par le système de la dot et par un mariage forcé.
Si le premier est de style ambigu, le second est beaucoup plus rigoureux. Parmi cette première génération de cinéastes camerounais, une seule femme, Thérèse Sita Bella. En 1963, elle réalise Un tam-tam à Paris, qui est un reportage - abusivement appelé documentaire - sur les danses traditionnelles au Cameroun et le séjour en France de l'Ensemble national qui s'est produit au Théâtre Sarah Bernhardt à Paris.
La génération intermédiaire… sacrifiée
A la fin des années 80 et au début des années 90, apparaît ce qui peut être considéré comme la deuxième génération des cinéastes camerounais : la génération sacrifiée. Certains d'entre eux bénéficient des derniers financements d'un FODIC moribond, et qui sombrera définitivement avec corps et biens en 1991. Cette génération a pour chef de file Bassek Ba Kobhio, dont le film, Sango Malo, Le Maître du Canton, a été sélectionné au festival de Cannes dans la catégorie Un Certain Regard en 1991. Bassek Ba Kobhio y déroule la vie d'un jeune instituteur affecté dans une école d'un village de forêt équatoriale. Libertaire aux conceptions subversives, il passe avec ses élèves autant de temps dans les champs qu'en classe. Ce faisant, il met en place un système éducatif moderne, au grand désespoir du directeur de l'école.
La nouvelle cuvée
Vers la fin de la décennie 90, commence à montrer le bout du nez une cuvée de jeunes gens souvent bien formés, mais sans grands moyens, qui fourbissent leurs armes dans le court métrage et sur support numérique. Le festival Yaoundé Tout Court initié dans la foulée par un jeune de la même tranche d'âge (entre la vingtaine et la trentaine), Guy Mérimée Padja, se présente comme un écran géant, où défilent des œuvres manifestement prometteuses. Honoré Noumabeu, avec son documentaire intitulé Les footballeuses montre à quel point la pratique du football constitue un sérieux casse-tête pour les jeunes filles ; Paul Kobhio, par L'honneur des femmes présente le désarroi d'une jeune fille abandonnée par un homme, à qui ses parents avaient imposé une femme, et sur qui elle avait tout misé.
Soit dit en passant, Yaoundé Tout Court n'a pas révélé seulement des cinéastes. Il a aussi offert la possibilité de découvrir des comédiens. Tony Noum's, Eshu et surtout Toni Bath Atangana, entre autres, y ont été découverts. Aujourd'hui, il est regrettable qu'une telle vitrine soit morte avec l'expatriation en France de son promoteur.
Entre-temps, des femmes font leur entrée dans le métier. Yolande Ekoumou, avec son premier long métrage, un documentaire, et sa magnifique œuvre de fiction, Tiga, l'Héritage ; Joséphine-Bertrand Tchakoua tourne Fanta en 2001. Elle y raconte les tribulations conjugales d'un jeune couple mixte désargenté. Osvalde Lewat (Itilga, Au-delà de la peine, Une affaire de nègres, etc). Joséphine Ndagnou examine la question de l'immigration dans Paris à tout prix (2007). Elle détient le record des entrées au Cameroun, 25 000 en deux semaines. La dernière-née au septième art, Hélène Ebah, après trois courts métrages, sort Les Blessures inguérissables, son premier long métrage (sélectionné en compétition officielle au festival Vues d'Afrique de Montréal), qui est l'histoire de six femmes torturées par la vie. Ce film, singulier par sa démarche originale, s'inscrit en rupture avec ce qui s'est fait jusque-là dans la cinématographie camerounaise.
Dans cette dernière cuvée des cinéastes nationaux, on peut citer pêle-mêle d'autres figures non moins importantes telles que : Serge Alain Noa (Le Don involontaire) ; Prince Dubois Onana, qui a remporté le deuxième prix (Python d'argent) au festival Quintessence 2008 de Ouidah, au Bénin, avec Sentence criminelle ; Jude Ntsimenkou (Urban Jungle et Une vie brisée) ; Lambert Ndzana, Narcisse Mbarga, Eloi Bela Ndzana, Bertrand Nohotio, Alain Fongué, etc. Parmi eux, quelques brillantes figures, dont Cyrille Masso, qui, avec son court métrage Au prix du verre, a reçu le prix Djibril Diop Mambety au festival de Cannes en 2003, et surtout Confidences qui recevra le prix spécial du jury fiction de la compétition TV/vidéo au FESPACO 2007. Quelques anciens ont aussi repris du service, à l'image d'Alphonse Béni (La Déchirure I, 2006, et II, 2007), Daniel Kamwa (Mâh Saah-Sah, 2008). Le plus illustre de cette cuvée est incontestablement Jean-Pierre Bekolo Obama (il pourrait aussi figurer dans la génération intermédiaire). Son dernier film, Les Saignantes, a reçu la deuxième plus grande distinction du FESPACO lors de son édition de 2007, l'Etalon d'argent de Yennenga. Audacieux, ce film d'anticipation qui se déroule en 2025 présente une jeune fille aux prises avec son destin, dans un pays sans avenir. Malheureusement, l'explosion de cette nouvelle race des cinéastes camerounais coïncide avec la disparition des salles de cinéma.
De 77 salles en 70-80 réparties dans toutes les provinces du pays, le Cameroun ne compte plus aujourd'hui que 3 salles de cinéma. Une à Yaoundé (Abbia) ; une à Douala (Le Wouri) ; et une à Bafoussam (L'Empire).
Cependant, des voies d'espoir sont apparues dès 1985, avec la création par Bassek Ba Kobhio du festival Ecrans noirs du cinéma africain et francophone (ouvert depuis trois ans à d'autres expressions linguistiques, et qui comprendra une compétition dès l'édition de juin 2008). C'est une manifestation destinée à montrer au public camerounais des films réalisés par des Africains, ce qui crée forcément une certaine émulation. Chaque année, des films venus d'ailleurs et ceux faits par de jeunes Camerounais y sont montrés. Ces jeunes en profitent pour rencontrer d'autres réalisateurs plus expérimentés ainsi que des acteurs de renom. Cerise sur le gâteau, en marge de ces projections et de ces rencontres, des classes de cinéma sont organisées pour familiariser ces jeunes avec l'écriture de scénario, la réalisation et la production. Des ateliers pour former des journalistes en critique cinématographique - car il ne saurait exister de bon cinéma sans de bons critiques - sont aussi organisés. Dès lors, le terrain est fertile pour un renouveau du cinéma camerounais.
Le renouveau du cinéma camerounais
Il est tributaire d'un ensemble de convergences. Premièrement, il y a la proximité du Nigeria avec le Cameroun. Les vidéos tournées là-bas en une semaine et à peu de frais envahissent le marché camerounais. Ce qui donne des idées aux jeunes Camerounais.
Deuxièmement, il y a l'introduction de la caméra numérique dans le processus de fabrication d'un film, et surtout son accessibilité.
Troisièmement, il y a - nous l'avons déjà souligné - la naissance du festival Ecrans noirs et la possibilité qu'il offre aux jeunes cinéastes de montrer leur travail, car les salles de cinéma ont disparu, et celles, rares, qui existent, pratiquent des tarifs de location prohibitifs.
Quatrièmement, il y a la facilité d'accès aux centres culturels. Et en cela, la coopération française, grâce aux centres culturels et aux alliances françaises, offre jusque-là des opportunités inespérées. Le Centre culturel français François Villon de Yaoundé, depuis l'arrivée au milieu de l'année 2004 d'Yves Bourguignon, a soutenu la jeune production camerounaise à bout de bras. Contre une somme modique, elle peut acquérir la salle de spectacle pour présenter ses œuvres au grand public. Ainsi, depuis environ six mois, deux à trois films de jeunes réalisateurs camerounais sont projetés chaque mois au Centre culturel français de Yaoundé.
L'autre fait marquant, qui a dopé la production cinématographique nationale, est la création, en 2001, par le président de la République, Paul Biya, du Compte d'affectation spéciale pour le soutien de la culture. Doté de 1 milliard de francs Cfa, par an, pour financer toutes les branches culturelles du pays (cinéma, littérature, musique, arts plastiques, chorégraphiques, de la scène, associations culturelles), il a financé le cinéma (tous les films sortis depuis 2001, sans exception, en ont profité), pour plus de deux cent cinquante-sept millions de francs Cfa (257.000.000 Fcfa). Avec - ce peu - d'argent, environ une dizaine de films seulement (de cinéma et de télévision, longs et courts métrages) ont été effectivement réalisés. Une misère ! Pis, un détournement de fonds publics de la part de ceux qui ont perçu cet argent, et qui l'ont destiné à d'autres fins. Néanmoins, ces fonds ont permis l'éclosion de travailleurs du septième art, qui racontent le quotidien de leurs compatriotes et scrutent les questions de la société camerounaise sans fards, mais avec des fortunes diverses, surtout sur le plan technique. A ce niveau, des audaces doivent encore se dégager, pour sortir du formatage de la formation, et pour donner une plus grande visibilité à la cinématographie camerounaise, une hirondelle comme Les Saignantes ne faisant pas le printemps cinématographique attendu au pays de Samuel Eto'o.

Jean-Marie Mollo-Olinga

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