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"En attendant le bonheur" : là bas ?
Heremakono, de Abderrahmane Sissako
critique
rédigé par Bineta Diagne
publié le 11/04/2008
Heremakono
Heremakono
Abderrahmane Sissako
Abderrahmane Sissako
Oumou Sangaré
Oumou Sangaré
Anouar Brahem
Anouar Brahem

Frustration et Solitude. Ce sont là, les principales émotions ressenties par les personnages de Heremakono qui tentent l'émigration vers l'Europe. Abderrahmane Sissako s'engage sur un sentier désormais banalisé : la quête d'un avenir meilleur pour les africains serait en Europe. Rien de réellement, neuf. Seulement l'émigration est vue sous le prisme de l'exclusion, de la désaffiliation sociale. Les personnages de Heremakono sont ainsi réduits au statut d'exilés.

Comme plusieurs jeunes candidats à l'émigration, Abdallah stationne à Nouadhibou, une ville de pêcheur. Il y rejoint, ainsi sa mère, avant de quitter le continent africain. Seulement son comportement est jugé réfractaire : Abdallah s'abreuve du modèle culturel européen. Il scrute l'Europe, l'admire. Au point de se désintéresser de sa propre langue. Privé de ce code social, Abdallah affûte son regard, observe et tente de déchiffrer cet univers qui lui paraît si lointain. Séance de sociabilité pour Abdallah : boire du thé avec des proches. Le plan est large, mais Abdallah se tient à l'écart. "La báás. La báás. La báás", ("ça va" en arabe) répond-t-il de manière inlassable à ses hôtes qui l'abreuvent de question en "Maure". Les mots lui manquent. Il ne parvient pas à s'approprier les codes sociaux du village. En parallèle, Abdallah n'accède pas non plus au langage européen. Seul dans un salon, muet, il allume la télévision : on distingue une musique dynamique, en total déphasage avec ce milieu où l'on entend que le bruissement du vent. Abdallah est intrigué. Il quitte le salon. Comme si cette culture s'interposait à lui. Sissako montre ainsi tout ce qu'il y a à perdre en tournant son regard uniquement au-delà du désert.

À travers des personnages aux horizons différents, le réalisateur pointe du doigt la question du bonheur. Sans introduire des concepts et des faits trop bruts, il aborde cette problématique avec gravité. D'où cette "lenteur" dans la progression de l'intrigue. Car il faut du temps pour comprendre chaque personnage : son origine, sa manière de concevoir la vie et le sens qu'il veut lui donner. Le bonheur est-il accessible par une traversée de la mer ou le désert, vers un ailleurs qui aurait le visage de l'Europe ? Ou bien consiste-t-il en une simple leçon de chant en compagnie d'une "griotte" ?

Heremakono adopte un style aérien : le monde semble par moments flotter entre le sable fin du désert et l'horizon. Parce qu'après tout, ce village mauritanien est ouvert à tous. Sur le désert, il permet l'affluence de nouveaux étrangers : Nana, le Chinois, Manka etc. Le vent joue également un rôle : il nourrit un sentiment d'attente de ce bout de liberté tant recherché par Abdallah ou encore Manka. À cela s'ajoutent, l'immensité du désert et la force de la mer qui rejette l'ampoule de Khatra comme elle rejette certaines pirogues. Sissako joue sur des codes universels, pour évoquer un départ qui ne se fera sans doute jamais. D'où la prédominance d'un sentiment d'incertitude qui anime chaque personnage de Heremakono. Y compris le petit Khatra. C'est sous l'œil innocent de cet enfant que Sissako évoque la mort. Au début du film, le jeune Khatra s'amuse sur le toit de la maison. Il gambade entre les fils électriques. Chantonne en français. Sur ordre de Maata, le jeune Khatra empoigne un câble électrique de pleine main pour le fixer à sa place. Il le dit d'ailleurs : "c'est toi qui as peur de la mort. Moi la mort ne me fait rien !" Et c'est la même chansonnette qu'il entonnera la nuit, sur le bord de la plage, lorsqu'il trouvera le vieux Maata inerte, enfoncé dans le sable, une ampoule à la main. Quasiment livré à lui-même, Khatra n'a ni père, ni mère. Pour lui, le bonheur se résume à des actes simples : installer la lampe dans l'appartement qu'il partage avec le vieux Maata. Mais la solitude le mène lui aussi à l'exil. La figure du jeune Khatra s'impose en fin de film. Rejeté d'un train qui l'aurait mené ailleurs, Khatra erre dans le sable.

Bineta Diagne

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