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Ton corps m'appartient
Moi, ma sœur et "la chose", de Kaouther BEN H'NIA (Tunisie)
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 11/04/2008
Mondher. Moi, ma sœur et "la chose", de Kaouther BEN H'NIA (Tunisie)
Mondher. Moi, ma sœur et "la chose", de Kaouther BEN H'NIA (Tunisie)
Mondher et Mériam. Moi, ma sœur et "la chose", de Kaouther BEN H'NIA (Tunisie)
Mondher et Mériam. Moi, ma sœur et "la chose", de Kaouther BEN H'NIA (Tunisie)
Affiche du film Tendresse du loup
Affiche du film Tendresse du loup
Noura. Halfaouine
Noura. Halfaouine
Affiche du film Making of (Nouri Bouzid, 2006).
Affiche du film Making of (Nouri Bouzid, 2006).

Le dernier court métrage de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben H'nia vient couronner plusieurs années d'études et d'apprentissage en cinéma à Tunis (FTCA, EDAC) et à Paris (FEMIS), après des études commerciales. À travers Mondher, petit garçon de sept ans, Moi, ma sœur et "la chose" met en scène la même thématique de l'incommunicabilité que dans son précèdent film, La brèche.

Le petit Monder est effrayé : ses amis lui ont dit que sa grande sœur, Mériem, allait faire "la chose" la nuit de son mariage qui s'annonce. Le plus simple serait peut-être que sa sœur se marie avec lui, ainsi ils vont rester ensemble pour la vie et elle ne va pas subir la foudre de la société contre ceux qui font libre usage de leur corps.
Kaouther Ben H'nia met sa caméra à hauteur humaine. L'action se passe dans la Tunisie rurale (à Elkrib), filmée sans misérabilisme ni exotisme. L'histoire est entièrement racontée par les yeux de Mondher.

Comment accepter de s'éloigner de l'être cher ?

Si le film prend le contre-pied du cinéma tunisien plutôt urbain, il s'inscrit dans l'héritage de Férid Boughédir, Nouri Bouzid : chercher sa place dans la fratrie et affirmer l'autonomie de l'individu par l'expression ou la découverte de sa sexualité. Déjà dans le film d'école de Kaouther Ben H'nia, La brèche, Fadwa (jeune femme qui vient d'atteindre sa majorité) s'oppose à son père et se pose comme individu qui réclame de l'attention, de l'affection.
Ici Mondher ne prend pas encore la mesure que pour grandir il faut quitter et laisser quitter. Il est dans une posture régressive, s'accrochant à sa sœur, non pas par égoïsme, mais plutôt parce que sa société ne lui a pas encore donné les moyens de comprendre les impératifs de la vie.

Bravo les artistes

Fatma Ben Saïdane (Halfaouine, Making of,...) en grand-mère gâteuse est un régal. Elle couronne une galerie de personnages servis avec délicatesse par des acteurs tout en justesse. Le fils des Touhami, nouveau mari de Mériem, est le croquemitaine (beau-frère ogre) du jeune Mondher. Le pas pressé de la belle-mère qui s'engouffre dans la maison des nouveaux mariés vient ébouriffer un récit pas trop nerveux. Est-ce pour récupérer le drap maculé du sang de la virginité ou oindre le corps de sa fille ? Le récit est ouvert, c'est au spectateur de se faire sa religion.
Kaouther Ben H'nia filme avec un mélange d'ironie féroce et de tendresse cruelle le face à face matinal entre le beau-fils et le beau-père boursouflés de gêne - chacun évitant le regard de l'autre - à l'idée de Mériam qui a fait "la chose" durant la nuit. Riadh Hamdi, homme de théâtre, s'en sort à la perfection dans le rôle du beauf (au propre comme au figuré : beau-frère et homme peu raffiné).

Le sexe est politique

Par le fatras de peur dans lequel se débat le petit Mondher, la cinéaste met en pointillé l'absolue solitude de la mariée : Mériam n'a personne auprès de qui exprimer ses angoisses. Mondher veut en réalité éviter à sa grande sœur l'ostracisme qui frappe Aliment. Cette jeune paysanne a fait la chose - en dehors des liens du mariage - avec le fils des Touhami qui est "le marié" (on ne connaîtra pas son prénom, ce qui le constitue comme une métaphore des mâles). L'individu tunisien, même éloigné du centre du pouvoir (la capitale, d'où la force du film), est emprisonné dans une société policée qui s'entête à se présenter comme démocratique (en dépit d'un pouvoir omniprésent et omniscient), il est pris dans un entrelacs de contradictions et de négations dont l'autonomie d'esprit et de corps. À ce titre, il n'est pas loin de Tendresse du loup, Junûn, Halfaouine, et même Bab'Aziz dont l'intemporalité ancre plus l'urgence sémiologique du propos. La dernière image du film - qui renvoie à La brèche - traduit ce désarroi citoyen, avec le trou et la posture : symbole du fœtus, du corps qui n'a pas émergé à la lumière.

À l'insu de son plein gré

Cette traduction inconsciente ne reflète pas une volonté exprimée par la réalisatrice qui affirme n'avoir "voulu exprimer nulle métaphore particulière dans ce film". Son ambition est de "raconter une belle histoire". Le scénario est adapté de la nouvelle "Le jeune homme, l'enfant et la question" écrite par son père, Mohsen Ben H'nia. Elle a réussi à raconter son peuple. À l'heure où le court-métrage voire le long-métrage aussi est surtout sur vidéo numérique en Afrique, la cinéaste a choisi de filmer en Super 16 mm, saisissant ainsi toutes les nuances de couleur du ciel de Tunisie. Elle s'est entourée de l'équipe technique du film Jûnun (Fadhel Jaïbi), "un tournage sur lequel elle était stagiaire" nous apprend Asma DRISSI (quotidien La Presse, Tunis) : Ali Ben Abdallah (photo), Moez Cheikh (son), Mohamed Maghraoui (cadre) et Mounir Baâziz (1er assistant-réalisateur).
Signe de sa qualité, ce film a été sélectionné à plusieurs festivals prestigieux : Biennale Cinémas Arabes 2006 ; Cinémed ; Dubaï 2008 ; 9ème Ciné Sud ; et plus récemment au 3ème Panorama des Cinémas du Maghreb dont l'Algérie et la Tunisie sont les invitées phares. Elle s'attelle à son premier long métrage.

Thierno Ibrahima DIA

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