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Itinéraire des femmes mutilées !
Les Blessures inguérissables, de Hélène Patricia Ebah (Cameroun)
critique
rédigé par Martial Ebenezer Nguéa
publié le 20/04/2008
Scène du film
Scène du film
Martial E. Nguéa
Martial E. Nguéa
Hélène Ebah, réalisatrice
Hélène Ebah, réalisatrice
Scène du film, avec Blanche Bilongo (Pam, à l'avant, en blanc) et Bibi Kouoh (arrière).
Scène du film, avec Blanche Bilongo (Pam, à l'avant, en blanc) et Bibi Kouoh (arrière).
Scène du film, avec Blanche Bilongo (Pam, à gauche) et France Ngo Mbock (en noir).
Scène du film, avec Blanche Bilongo (Pam, à gauche) et France Ngo Mbock (en noir).
Audey Ngosso (Bebey)
Audey Ngosso (Bebey)
Scène du film
Scène du film
Scène du film, avec les nkus
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Le réalisateur Jean-Pierre Békolo (Les Saignantes)
Le réalisateur Jean-Pierre Békolo (Les Saignantes)
Scène du film Les Saignantes (Bekolo, 2005)
Scène du film Les Saignantes (Bekolo, 2005)
Scène du film Bana ba Nyué / Les orphelins (Toussaint A. Eyango, 2006)
Scène du film Bana ba Nyué / Les orphelins (Toussaint A. Eyango, 2006)
Toussaint Adrien Eyango, réalisateur de Bana ba Nyué / Les orphelins (2006)
Toussaint Adrien Eyango, réalisateur de Bana ba Nyué / Les orphelins (2006)
Scène du film Les Saignantes (Bekolo, 2005)
Scène du film Les Saignantes (Bekolo, 2005)
Scène du film Les Saignantes (Bekolo, 2005)
Scène du film Les Saignantes (Bekolo, 2005)
Doualla Toto, actrice dans Les Blessures inguérissables
Doualla Toto, actrice dans Les Blessures inguérissables
Africiné, Le Leader Mondial (Cinémas africains & Diaspora)
Africiné, Le Leader Mondial (Cinémas africains & Diaspora)

La jeune Hélène Patricia Ebah réalise son premier film, sur les destins de femmes en Afrique.

A priori qui mieux qu'une femme peut ressortir le chaos dans lequel les femmes sont, peut ressortir les sentiments des femmes ? Hélène Patricia Ebah l'a compris. Elle qui a décidé d'œuvrer pour les destins de femmes en Afrique. "Je suis très impliquée dans les débats relatifs au développement socioculturel de l'Afrique. Et j'ai choisi le cinéma pour mieux mettre en exergue la femme". Une option que se vérifie depuis ses premiers films écoles, Ruban Rouge (2002, EICAR, 30s) ainsi que Euthanasie (2002, EICAR). Et son passage auprès de Jean-Pierre Bekolo, comme assistante jusque à la sortie du film Les Saignantes (2004) lui a permis d'affermir son style et ses convictions en tant que femme cinéaste. Diplômée de l'Ecole internationale du cinéma et de la réalisation audiovisuelle de Paris (EICAR), Hélène Patricia Ebah est fascinée par les films tout en noir. Elle nous propose Les blessures inguérissables, son premier film fiction long métrage, une plongée au cœur des vies de femmes tel que vécues en Afrique.

Les jours se succèdent mais ne se ressemblent pas. Pam en a eu à ses dépends. Sa journée avait démarré comme à l'accoutumée. Après avoir préparé les effets de ses deux enfants et son époux, elle fait des courses en ville. Elle, au moins, jeune belle femme, a la chance d'avoir une vie magnifique. Une famille équilibrée, deux beaux enfants, un mari élégant, une voiture, une belle maison ; de quoi susciter des envies. Seulement un hic surviendra. Son bel époux vient d'être écrasé par un véhicule, à la sortie d'un hôtel. Son sang se refroidit à 360°. Sa vie vient de basculer de l'autre côté. Celui des veuves sans amour, sans vie, avec des blessures fécondes. Que deviendra-t-elle ? Que lui arrive-il ? Effarée, Pam se retourne vers sa famille à la recherche d'un équilibre. Là-bas, elle n'y rencontrera qu'une suite de femmes aux vies perdues. Dans sa quête d'équilibre, elle se retrouve dans une spirale infernale et troublante.

Plaidoiries

Les Blessures inguérissables est un film de plaidoyer sur les vies volées et les violences faites aux femmes. Hélène P. Ebah s'attache aux sorts réservés à ces donneuses de vie. Avec une froideur bien mesurée, elle ouvre le carnet de Pam (personnage portée par Blanche Bilongo), une belle femme à l'allure rayonnante dont le sort ne conjurait aucun malheur. Sa destinée était clairement tracée. Voilà qu'à la mort de son charmant époux (joué par Léopold Nyom), elle devra prendre son propre destin et la vie de ses deux enfants en main. Comble de tout cela, le refuge ne fait pas se révéler en être un.
Chez sa mère, au village où elle s'est réfugiée, c'est à un amas de corps vivants sans vie qu'elle a affaire. Les femmes sont toutes traumatisées par les rites et les stéréotypes divers. Sans amour, chacune a une histoire qui lui est particulière. Elles ont souvent fait l'objet de maltraitances par quelques rustres - en qui elles ont consigné leurs cœurs - et qui ont fini par les détruire. Conséquence, le village est désormais abandonné aux sorciers et sorcières, brûlant tous les espoirs des enfants. Leur quotidien se résume entre les invectives des parents qui voudraient les amener à accomplir leurs destins déchus.

Parallèlement, le trauma de Pam provoqué par la disparition subite de son époux n'en finit. Le film réussit à nous plonger au cœur des nuits torrides, sans sommeil et un tourbillon de questions qu'elle se vit. Comment retrouver la paix intérieure, si personne ne peut trouver le juste remède à vos interrogations ? La caméra caresse le corps de Pam, passe en revue son beau visage, vieilli d'un coup par une tonne de malheurs qui s'abat sur elle. Sa mère cherche des solutions, consulte des guérisseuses (ces femmes du village qui après avoir traversées toutes les déceptions de la vie, ont désormais une solution maniaque à tout). Comment peut-on vivre dans un monde sans vie ?
Pam revient sur sa vie. Elle frise l'auto-flagellation. Elle eut un garçon à sa tendre enfance que sa mère avait supprimé pour fuir le malheur des hommes. "Un enfant sans père est une vie inutile" (…), car "parfois la vie sait nous arracher de nos démons. La vie entre le bien et le mal est absurde." En réalité, le choix s'opère dans ce monde plein de controverses. Soit on prend le côté du bien, soit celui du mal. Les vives altercations entre Pam et sa mère témoignent de l'ordre de la moralité qui y a court.

Le film est morcelé par de nombreux tableaux de femmes enfermées dans les dialogues. C'est un parallèle elliptique sur les sorts des êtres humains traités vulgairement de "sexes faibles". En un rien, il dresse les portraits des femmes- symbole d'amour, de protection de la famille, mais aussi victimes du cynisme humain.

Evu

Hélène P. Ebah sait construire son propos. Elle se ballade dans des décors lugubres, déglingués. Des couleurs froides - le noir et le rouge - qui amènent le spectateur à intégrer son monde. Les personnages bizarres, comme "l'ancien tirailleur sénégalais" (interprété par Edimo Dikobo) - attendant paisiblement son dernier jour, végétant - narrant à qui veut l'entendre les histoires des hommes qu'il élimina au front (lors des guerres de l'indépendance du continent africain, après celle de libération de la France). On lui associe le fou et sa tenue guignolesque - qui a vu enterrer tous les "tués" du village.

La force dramatique du film vient de cette séquence séduisante des femmes, les nkus* toutes de noir vêtu, symbole des veuves éplorées. Devenues des gourous dans la caste des femmes chez les Bétis** - allusion est faite au Mevungu*** dont parle Jean-Pierre Bekolo dans Les Saignantes - qui à leur tour viennent menacées Pam et ses recherches d'équilibre de " malheur".
Demeurée dans son profond traumatisme, elle déroule comme toute l'histoire de sa famille. Elle eut une sœur, mariée à un homme riche, qui la tua comme sa mère le fit avec leur père. Le film est froid. La violence du propos, frontale. Sa famille vénale avait vu dans son mariage l'occasion de fuir les malheurs.

L'Espoir

La deuxième partie du film ouvre à l'espoir. Décidée à ne pas se laisser faire au nom de ses enfants, Pam consacrera l'essentiel de son temps à édifier la petite Bebey (jouée par Audrey Ngosso dont c'est le premier rôle au cinéma : elle s'en sort plutôt bien). Cette dernière est la cible privilégiée du richissime percepteur des impôts - à qui un beau guet-apens est posé par les femmes. La caméra balaie le paysage en un travelling nous expliquant la horde de possibilités s'offrant à la petite Bebey. C'est avec beaucoup de plaisir que l'on constate que Pam et Bebey iront désormais vivre en ville.

Hélène P. Ebah est une petite astucieuse. Elle explore des horizons complexes. Son projet est louable. Les destins de femmes attirent toujours même sans être particulièrement féministe. On apprécie avec délectation le choix de ses comédiens, Douala Toto, l'une des mamans saigneuses des Saignantes de Jean-Pierre Bekolo, Bibi Kouoh (qui signe un come-back après Bana Ba Nyoué, 2006, de Adrien Toussaint Eyango), la mère de Pam qui fait figure d'une très bonne actrice. L'ensemble amène à dire qu'un bon casting et une bonne direction d'acteur ne peuvent que contribuer à mieux diffuser le message artistique. Les Blessures inguérissables est une interpellation à l'écoute des femmes.

Martial Ebenezer Nguéa

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