AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 363 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Utile exil
La maison jaune, de Amor Hakkar (Algérie)
critique
rédigé par Télesphore Mba Bizo
publié le 21/04/2008
La Maison Jaune
La Maison Jaune
La Maison Jaune par le peintre Kim Nezzar (Chef décorateur et costumes)
La Maison Jaune par le peintre Kim Nezzar (Chef décorateur et costumes)
Amor HAKKAR
Amor HAKKAR
La maison
La maison
Alya et Mouloud
Alya et Mouloud
Tournage
Tournage
Tournage
Tournage
Fatima (la mère)
Fatima (la mère)
Fatima (la mère)
Fatima (la mère)
Alya
Alya
Alya
Alya
La police
La police
Alya
Alya
Fatima (la mère)
Fatima (la mère)
Mouloud (le père)
Mouloud (le père)
Le tricycle
Le tricycle

Tristesse, crispation et désolation encadrent La maison jaune. D'un bout à l'autre, le film diagnostique la relation des contacts entre la mort et les vivants. C'est un sujet délicat. Nul ne s'attend à ce que ce soit un Français, d'origine algérienne fut-il, qui en soit le signataire. L'authenticité de l'œuvre contraste avec l'exil outre-mer de son auteur. En effet, Amor Hakkar a uniquement foulé le sol algérien en 2002 pour inhumer son père. À six mois d'âge, il quitte la montagne des Aurès, sa région natale, 44 ans plus tôt. Pourtant, sa connaissance du peuple berbère n'a pris aucune ride. La maison jaune en produit un témoignage éloquent.

Fixer le viseur de la caméra sur le deuil. C'est l'objectif de l'acteur-réalisateur Amor Hakkar (Mouloud). Il prend ladite initiative en mémoire de l'enterrement son parent dans l'Est algérien. Le résultat à retenir est celui de cette anthropologie significative au sujet de la gestion de la disparition de l'être cher. De cet enseignement socio-culturel expressif à souhait dans La maison jaune, il ressort que la mort est une épreuve douloureuse plus ou moins assimilable à un châtiment programmé par le Ciel au mépris de l'avis des concernés directs.
Cette mort ébranle Fatima. L'épouse du héros est ainsi inconsolable suite au décès par accident de la circulation en ville de son fils unique. La famille apprend d'ailleurs la triste nouvelle à partir des services d'un gendarme peu amène. Le messager de la mort en question ne s'embarrasse même pas de circonlocutions pour révéler le drame comme l'aurait prescrit la bienséance. Le "facteur" tend la lettre à Aya, la cadette du défunt, et quitte les lieux en toute vitesse. Cela crève les sens, une telle méthode de "droit au but" dans la communication du malheur ne peut que produire du choc. Le coup dur suscite, soudain, nombre d'interrogations chez le spectateur : les circonstances précises du décès, l'établissement des responsabilités de la tragédie, l'organisation des obsèques, la capacité de la famille à surmonter l'irréparable, la solution au problème d'héritage dans un ménage désormais réduit à trois filles en dehors des parents, etc. Plusieurs pistes narratives sont possibles en cette phase initiale du récit. Elles ont surtout le mérite de produire le suspense tant le consommateur est avide de savoir la direction que va prendre la narration. Et le désir de satisfaire sa curiosité soude le cinéphile à son siège.

L'esthétique du ridicule

La maison jaune prend la direction de la ville. Sans grand sens de l'orientation, Mouloud parvient à récupérer le corps sans vie de son rejeton. Le cortège des pompes funèbres est limité à sa plus simple expression, notamment le tricycle doté d'un moteur explosion à deux temps. Cette mécanique agricole offre au réalisateur de construire l'insolite. D'abord, la faible force de propulsion de l'engin des champs consent à peine à réaliser du cinq (kilomètres) à l'heure, sorte d'opération escargot. Or, l'acteur principal s'improvise usager d'une voie bitumée où le 100 au tableau de bord tient lieu de vitesse minimale. Ensuite, le tricycle ne dispose pas de phares. C'est la deuxième illustration de l'esthétique du comique. Le comble du rocambolesque intervient quand la police lui prête une curieuse lampe-torche. C'est un gyrophare. Son système d'éclairage va-et-vient souffre à illuminer la route. Les oiseaux de mauvais augure auraient même pu présager de la plus que probable éventualité d'un second accident de la route à cause du non-respect des directives du code Rousseau par Mouloud qui mime à merveille le parfait campagnard. Enfin, l'autre situation saugrenue, ferment de l'insolite décrit ici, est le transport du macchabée dans un grossier porte-bagages conçu pour accueillir les produits agricoles. Ces déboires de Mouloud au guidon fonctionnent comme des moments de respiration. Ils donnent à la fiction de souffler dans une atmosphère qu'achèvent d'alourdir la surprise et le poids du deuil. Le spectateur peut alors voler un sourire avant de se renfermer dans la tristesse. Le message passe avec aisance car la mise-en-scène est dépouillée de toute complexité. Le film est un record de sobriété technico-artistique.

L'homme et l'œuvre

La fiction La maison jaune et l'individu Amor Hakkar partagent la douleur de la perte à jamais d'un proche parent. D'un côté, des larmes intarissables ruissèlent sur les joues de Fatima. De l'autre, en exagérant un peu, il faudrait y voir le réalisateur qui prolonge les obsèques de son propre père. L'auteur exhume le souvenir de l'inhumation des restes de son père. Les pleurs nourris de La maison jaune sont l'ultime oraison funèbre à l'endroit du géniteur de Amor Hakkar dont l'âme repose en paix dans la terre de ses ancêtres à son Douar. Il y a donc une absence de distance entre le créateur de l'œuvre et l'ouvrage. D'aucuns parleraient d'ailleurs de complicité voulue. Cette proximité entre les contenus de la biographie de l'auteur, d'une part, et du film, d'autre part, renforce la charge émotive au niveau de la réception du produit filmique. Le volet pathétique envahit les consciences. Elles finissent donc par faire ami-ami avec l'acteur principal. L'intrigue est axée sur les affects. En réalité, il est classique de constater les interférences de la vie individuelle de l'auteur dans ses premières œuvres. Le cinéma et la littérature en multiplient les exemples. Amor Hakkar n'en fait pas l'exception s'il faut mettre en parallèle sa vie et le schéma actanciel du film.

Un exil unique

La maison jaune révèle un réel orgueil identitaire. L'expérience migrante de Amor Hakkar provoque un effet contraire, en l'occurrence son enracinement dans les souches culturelles des Aurès. Son film est un calque grandeur nature de la famille rurale algérienne. Elle est nombreuse et féconde. Les Mouloud forment une famille de 6 personnes. La campagne, c'est la précarité. En effet, les personnages centraux vivent grâce aux produits d'un verger avare. Ils s'éclairent à la lampe-tempête. C'est l'espace par excellence de la fatalité. Le décès de l'enfant en est le marqueur ici.
Cette description de la famille villageoise précise une réalité : la valeur d'une femme, c'est d'abord le cœur. La preuve vient du fait que la seule vraie loque humaine dans le film est Fatima. Son attitude est justifiable. L'enfant est en priorité celui de la femme. Son décès l'est également. En effet, la paternité est très discutable. D'où la distance ou la résistance de Mouloud à fondre en sanglots. Certes, il pleure dans son for intérieur. Mais il le fait davantage, est-il suggérable, pour la femme de ses nuits.
Sans être caricaturale, Amor Hakkar dresse un portrait réaliste de la femme algérienne en campagne. Elle est au foyer. La seule image de Fatima en dehors du domicile conjugal est perçue lors des procédures d'abonnement au réseau électrique à la mairie. La maisonnée a besoin de faire fonctionner un téléviseur acheté moyennant une cargaison de pommes de terre dans un restaurant. La famille tient à visionner une cassette-vidéo. Elle montre le disparu dans son service militaire. C'est d'ailleurs de ladite cassette que le sourire revient à la maison. Fatima se remet enfin de sa peine.
Campagne va de paire avec illettrisme. Peindre la maison en jaune pour recréer un environnement de gaieté comme le décide Mouloud butte sur un mur d'incompréhension. Le décodage d'un tel message n'est pas à la portée d'une ordinaire ménagère. Or, la communication du retour à l'apaisement est vite établie quand Fatima "dérushe" les images de son fils. A l'immédiat, elle retrouve la sérénité.
La maison jaune démontre que la diaspora a des propositions à faire. Dans le cas d'espèce, Amor Hakkar offre à la campagne de s'ouvrir à la modernité. L'accès au courant électrique décrispe les esprits. Cette énergie est indispensable pour obtenir des moments d'évasion à domicile. Elle pourrait même permettre la transformation locale de la moisson du potager familial afin de faire un chiffre plus élégant dans les rentrées financières. Les problèmes de la diaspora ne se limitent donc pas à la marginalisation, aux confrontations, aux aliénations, aux discriminations… Il y a aussi de l'utile exil.

Télesphore MBA BIZO

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés