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Sonate des êtres meurtris
La vie des autres, de Florian HENCKEL VON DONNERSMARCK (Allemagne)
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 21/04/2008
La vie des autres
La vie des autres
Wielser (Ulrich Mühe)
Wielser (Ulrich Mühe)
Dreyman (Sebastian Koch) et Christa Maria (Martina Gedeck)
Dreyman (Sebastian Koch) et Christa Maria (Martina Gedeck)

Oscar 2007 du meilleur film étranger, La vie des autres, ce drame de 2h17 mn réalisé par Florian Henckel Von Donnersmarck a été revu ce mardi 18 mars 2008 dans les locaux de la Fondation Konrad Adenauer/ Sénégal. Il est une sorte de clin d'œil à l'histoire de la RDA (République Démocratique Allemande), marquée par une répression incarnée par une police secrète dénommée Stasi.

"Qu'est-ce qu'un metteur en scène qui n'a pas le droit de mettre en scène ?". Cette question que se pose un vieux dramaturge, Yaska, à qui la Stasi (la puissante police secrète de l'État) a "brisé" la plume, dénote des relations houleuses, à la limite dramatiques, entre un régime répressif et ses artistes. Dans ce film, l'État socialiste est le maître de l'amour pour l'art, le maître de l'amour entre deux êtres. Peu importe ce qu'il en advienne, ou pourrait en advenir, la sécurité de l'État est la seule logique qui vaille.

George Dreyman, auteur de talent, sentira cette sorte d'omniprésence de la Stasi lisant ses textes littéraires par-dessus son épaule. Comme pour nourrir le dessein d'y surprendre quelque grain de révolte face à une organisation ignorant le sens du mot liberté. Maria-Christa, sa compagne, à la beauté contemplative, déesse captivante des planches de théâtre, vivra, elle aussi, de sombres nuits où il lui faudra coucher avec les hommes cyniques du régime parce qu'ils "ont le pouvoir de décider qui va être joué, qui doit jouer… qui a le droit de mettre en scène". Coucher, en l'occurrence avec le ministre de la culture, pour conserver cette licence de servir le théâtre. Ce qu'il faudra surtout éviter, c'est d'être arrogant, parce que "les ennemis de l'État sont arrogants", comme le pense le camarade lieutenant-colonel, Wiesler, cette ombre quelque peu maléfique qui va poursuivre "La vie des autres" - Dreyman et Christa-Maria - jusque dans leur intimité. Il est ce bras de la Stasi qui, au nom de la sécurité de l'État, signe le décret des non-libertés, des drames intimes et personnels.

Jouant les airs de fidèle au parti, Dreyman a tout de même trouvé en Yaska l'homme qui incarne sa révolte. Il sait que l'implacable destin, en Rda, n'épargne point les partisans de la dignité.
Mais il semble que l'arrogance soit de l'autre côté. Le ministre de la culture qui ordonne les enquêtes, n'en échappe pas lui-même : "Vous pouvez écrire comme vous voulez. Mais l'être humain ne change pas", lance-t-il à l'écrivain à l'occasion d'une petite fête organisée chez celui-ci. Le prétexte est bien présent pour légitimer une surveillance secrète des activités de l'homme de théâtre. "Peut-être n'est-il pas aussi propre qu'il paraît… Y a quelque chose de pourri chez lui", se convainc le représentant de l'État. L'opération aura pour nom "Laslo", et sera conduite par Wiesler, lequel se fera désormais appeler HGW27.

L'agent secret touchera, malheureusement pour lui, beaucoup trop tôt les abîmes. Son caractère hystérique, son agitation intérieure, son expression faciale austère ne suffiront pas à accomplir la noble tâche que lui confie la Stasi. Le couple l'intrigue au point qu'il en devient finalement le "public" de Christa-Maria. "Beaucoup de gens vous aime parce que vous êtes telle que vous êtes", lui lance-elle dans une sorte de sanglot étouffée. Aussi cette phrase dans son rapport du soir n'en trahisse-t-il pas sa mission : "19 h32 : aucun événement particulier à signaler". Et pourtant, ce sera le moment où la machine décompte, par le prolongement de la scène d'enterrement de Kayser - lequel ayant vécu douloureusement et dans la révolte son isolement si cruel, s'est résolut à se suicider plutôt que de s'applattir devant ses bourreaux -, le nombre de suicides que les bureaux de la Statistiques de la Rda ignorent volontairement.
Dreyman, en compagnie de Auser, un metteur en scène de talent, cherche alors, à travers un scénario habillé en pièce de théâtre à l'occasion du quarantième anniversaire de la République, choisit de "parler carrément du contexte social" parce qu'il leur faut "dévoiler le vrai visage de l'Allemagne de l'Est". L'administration centrale de l'État pour les statistiques est toujours prompte à livrer les chiffres relatifs au nombre de chaussures achetées par an (2,3%), au nombre d'élèves ayant réussi le bac avec mention bien (6347), mais le nombre de suicidés n'est pas son souci. Et pourtant - et c'est là une incursion de l'histoire dans ce film - en cette année 1977, il est établit que la Rda est le deuxième pays européen comptant le plus de suicidés derrière la Hongrie. Le texte de Dreyman et Auser franchira les frontières pour être publié à l'Ouest dans le Der Spiegel. Suffisant pour mettre les autorités de la Stasi sur leurs grands chevaux.

Maintes fois, Dreyman occupe une position de stabilité. La caméra qui le filme assis à sa table d'écrivain, ne bouge pas. Au contraire de Wiesler à sa table d'écoute dans le grenier, lequel a en face de lui une camera évoluant en panoramique comme pour rendre compte de son agitation, de ce trouble l'empoignant. Et peut-être même, par symbolisme, de ce trouble habitant la Stasi face au pouvoir des artistes. L'art se joue du régime. En vérité, il est incontrôlable. Il manifeste sa puissance à travers cette machine à écrire introuvable dans le pays qui aura servi à écrire le fameux scénario supportant la réalité des suicidés. Ceux-là qui, à l'image de Christa-Maria, seront "broyés" par "la grande et puissante roue". La métaphore renseigne sur le mal incarnée par le ministère de la sécurité de l'État. Même HGW27 verra cette "grande et puissante roue" le poursuivre, à son tour. Il fut amené, par la volonté de ses supérieurs, à "ouvrir des lettres dans un fond de cave", pour les vingt ans de carrière lui restant. En attendant que Cher Soleil qui nargue le Camarade Secrétaire Général l'invite à l'Ouest.

Face aux situations douloureuses, La Sonate de l'homme bon, un livre offert à Dreyman par Kayser le jour de son anniversaire, pourrait aider, à travers la mélodie dont elle est enceinte, à ressusciter l'espoir, à s'arrimer sur la conviction que la liberté est possible. Malgré l'arrogance des prisons de la Stasi dans lesquelles des personnes sont enfermées "à cause de leur stupide héroïsme", pour prendre le mot du Camarade Capitaine, le supérieur hiérarchique de Wiesler.

Dans ce film, la musique est le moyen utilisé par le réalisateur pour rendre compte des sentiments. Elle est une musique qui transporte la mélancolie, les peurs… mais aussi humanise.

Bassirou NIANG
SENEGAL

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