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L'héritage de la guerre
Daratt (Saison sèche), de Mahamat-Saleh HAROUN (Tchad)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 25/04/2008
Mahamat-Saleh Haroun
Mahamat-Saleh Haroun

Le personnage qui ouvre le dernier film du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, Daratt (Saison sèche), est emblématique : il est un aveugle. Lorsqu'il remet un pistolet à son petit-fils, Atim, pour aller venger son père, le spectateur ne se retrouve-t-il pas devant l'allégorie d'une vengeance aveugle ? Nous sommes donc en présence de deux êtres humains, dont l'un, en pleine possession de ses moyens oculaires, reçoit un ordre d'un autre, qui les a perdus. N'est-ce pas, a priori, paradoxal ? C'est dire si la question du regard est importante dans l'œuvre de Saleh Haroun, regard au sens sartrien du terme, c'est-à-dire réifiant. Dans le car, ne regarde-t-il pas fixement un militaire qui, gêné, le menace de son arme, et lui demande s'il veut sa photo ?

Après la guerre civile dans laquelle le père d'Atim a été assassiné, le gouvernement a accordé l'amnistie à tous les criminels de guerre. Le jeune homme de 16 ans reçoit en héritage non seulement un pistolet, objet de violence par excellence, mais aussi la haine de l'autre, contre qui il doit se venger. Il quitte donc son village pour N'Djaména, à la recherche de l'assassin de son père. Avec pour seuls repères, son nom : Nassara ; et un conseil de son grand-père : "Agis avec intelligence… Nassara est un homme dangereux". Leur premier contact est on ne peut plus significatif. Nassara est boulanger ; il distribue du pain en aumône. Atim en reçoit de lui et le jette aussitôt à terre. Le vieux criminel est alors contraint de se courber pour le ramasser. Ce geste ne rappelle-t-il pas une certaine forme d'allégeance, ce, surtout au regard de la question qui s'ensuit : "que veux-tu à la fin" ? Là se situent les rapports entre dominant et dominé, rapports qui vont s'exprimer au travers du regard. Les deux personnages se disent des choses sans s'adresser la parole. Et ce n'est pas un hasard, si c'est à ce niveau que Mahamat-Saleh Haroun montre son premier gros plan, celui qui introduit la dimension psychologique dans ces rapports. Ici, on retrouve l'être humain comme univers insondable, dans lequel pour pénétrer, il n'y a ni voile ni barque. Dès lors, le film devient lourd, dense, fort, du fait des silences des personnages, peu expressifs, et de son absence de bruitage. Il faudrait relever ici que ce film est fait sans bruit, quasiment sans musique, en dehors de la scène de la boîte de nuit. Ce qui en rajoute à la lourdeur de son ambiance. Et parce que Atim fait sienne la bonne vieille méthode qui consiste à embrasser son ennemi pour l'étouffer, il va apprendre le métier de boulanger chez son "bourreau". Toujours prêt à le tuer avec l'arme qu'il dissimule dans son dos, car "tant que l'impunité n'a pas cessé, il n'y aura pas de paix". Mais, petit à petit, Atim va découvrir en Nassara le père qu'il n'a pas eu, et celui-ci découvre en lui le fils qui lui manque : "Tu sais, mon fils, tu comptes beaucoup pour moi", lui dira-t-il. Le tuer ne serait-il pas alors considéré comme un parricide ? N'est-ce pas pourquoi l'assassinat du militaire l'ayant menacé dans le car, et qu'il reconnaît dans la boîte de nuit apparaît comme un exutoire de la violence qu'il couve ?

Au final, Daratt (Saison sèche) apparaît comme le prototype même du film d'auteur, tout au moins selon le point de vue du critique littéraire Sainte-Beuve, qui en parlait en tant que "l'âme de l'auteur, son idéologie, ses croyances, ses sentiments et ses comportements sociaux". Mahamat-Saleh Haroun n'exprime-t-il pas ici ses préoccupations personnelles et intimes face à un drame ayant entaillé son pays ? Dans ce film, et d'après les propos de Jean Douchet, ancien critique aux Cahiers du cinéma, parlant du film d'auteur, le réalisateur a créé "une œuvre véritablement personnelle, avec ses obsessions, sa thématique, son écriture, son style". Ce film, où deux personnages, Atim et Nassara, remarquablement interprétés, s'affrontent dans une atmosphère qui couve la violence et où domine la gravité, paraît - implicitement - quelque peu militant, en ce sens qu'il rend compte d'une situation estimée suffisamment injuste pour être dénoncée ouvertement : l'impunité des criminels de guerre.

Jean-Marie MOLLO OLINGA,
Cameroun.

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