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Un rendez-vous manqué avec l'Histoire
Ouled Lenine (Awled Lénine), de Nadia El Fani
critique
rédigé par Ikbal Zalila
publié le 28/04/2008
Nadia EL FANI
Nadia EL FANI

Qu'une cinéaste prenne la caméra pour faire un film en hommage à son père, quoi de plus légitime, de surcroît quand ledit père se trouve être une personnalité respectée et connue pour son intégrité et la sincérité de son engagement politique. Que ce film choisisse de mettre en lumière le parcours politique du père et de certains de ses compagnons de lutte, soit, à condition que l'on prenne conscience des enjeux qu'implique une telle démarche : l'obligation de trouver la bonne distance par rapport au sujet filmé en dépit de sa proximité, une responsabilité face à l'Histoire.

Awled Lénine, documentaire de Nadia El Fani, est centré autour de la figure de Béchir el Fani, son père. Ce militant communiste constitue le point de départ et le relais à partir duquel le film se déploie en une investigation plus large sur l'histoire du parti communiste tunisien. Voilà pour les intentions de départ.

Le documentaire commence sur Béchir El Fani qui revient sur les lieux de son enfance, à Sousse. Il est accompagné dans ses pérégrinations par sa fille. Nous voilà à Paris avec Serge Toubiana, critique de cinéma, puissant directeur de la cinémathèque française, Soussien de naissance et dont les parents surtout la mère étaient communistes. Digression un peu étonnante, fallait-il aller jusqu'à Paris pour trouver un natif de Sousse dont les parents avaient été communistes ? Admettons. Béchir El Fani parle de son adhésion au parti communiste, des débuts de son activisme dans la période qui a juste précédé l'indépendance.
Puis vient l'indépendance, illustrée par un plan sur le retour de Bourguiba le premier Juin 1955, donc consécutif à la signature par la Tunisie et la France des accords d'autonomie interne. Ce plan sous-titré le 20 Mars 1956 indépendance de la Tunisie est significatif de quelque chose qui ira se confirmant tout le long du film, l'impréparation de la réalisatrice sur les questions d'histoire. Ceci est perceptible à travers le montage et les témoins qui semblent tous avoir été choisis dans l'entourage immédiat du père. Notre propos n'est pas de remettre en question la sincérité des témoignages, l'engagement et le patriotisme d'un Gilbet Naccache pour ne citer que lui sont indiscutables. Ce qui est discutable par contre, c'est l'ambition qu'affichera progressivement le film à se présenter comme un documentaire sur l'histoire du parti communiste tunisien. Histoire à deux voix celle de Béchir El Fani et celle de Mondher Haj Ali, plus quelques murmures, ceux de Gilbert Naccache, de Sophie et Juliette Bessis, de Neila Jrad et Laila Adda et de Serge Toubiana encore lui (mais tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents communistes). Pour qui connaît un peu l'histoire de du PCT, c'est un peu léger, partiel et partial, d'autant plus que la candeur des questionnements de la réalisatrice trahit son manque de maîtrise du sujet. Il est légitime à ce niveau de se poser la question de la représentativité de ces deux voix à servir de seul fil conducteur à une histoire qui a connu d'autres protagonistes mystérieusement absents de ce documentaire. Un Georges Adda ou feu Béchir Ennafaa (encore en vie au moment du tournage du film) n'auraient pas été de trop, loin de là, même s'ils représentaient à en croire le film l'orthodoxie du parti par rapport à l'hétérodoxie incarnée par Béchir el Fani, Bouarrouj et son fils spirituel Mondher Haj Ali.

L'auteur semble s'être laissée guider dans sa recherche par le seul souvenir de son père, ce faisant elle s'est mise dans l'impossibilité de trouver la bonne distance par rapport à son sujet. Un travail sur la mémoire qui est elle-même de l'ordre de la représentation aurait été louable en soi s'il était assumé en tant que tel, mais que cette mémoire s'érige en Histoire, voilà que l'ensemble de l'édifice s'écroule. Le cinéaste n'est pas tenu de faire œuvre d'historien, mais il ne peut prétendre aborder un documentaire aux ambitions historiques sans point de vue sur l'histoire. C'est ce point de vue qui manque cruellement au film et lui donne cette forme hybride entre le documentaire intimiste et le documentaire historique. L'absence de point de vue confère à ce qui relève d'un travail d'anamnèse, le statut de vérité historique que rien ne vient contredire.

IKBEL ZALILA

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