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Le don involontaire, de Serge Alain Noa (Cameroun)
critique
rédigé par Martial Ebenezer Nguéa
publié le 28/04/2008
Martial E. Nguéa
Martial E. Nguéa
Serge Alain NOA
Serge Alain NOA
Charles NYATTE
Charles NYATTE
Wakeu FOGAING (dramaturge)
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Confidences (Cyrille Masso, 2006)
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Les Saignantes (Jean-Pierre Obama Békolo)
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Sentence criminelle (Prince ONANA, 2007)
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Le réalisateur camerounais parle de la justice et des détournements des deniers publics en Afrique.

Serge Alain Noa est scénariste de son état. Depuis quelques temps, il se propose d'inonder le paysage cinématographique camerounais de sa vision de la société politique, culturel, économique. Il s'est mis à la réalisation des films mélodramatiques intrigants (C'est moi le père, Le cercle vicieux, sortis en 2004) dont le propos s'ancre dans le vif de l'actualité quotidienne. Même style, mêmes thèmes, même liberté. Il nous offre encore l'occasion de découvrir son dernier bébé, Le don involontaire, une fiction long métrage, adaptation cinématographique de la pièce de théâtre Le don du propriétaire* du dramaturge camerounais Wakeu Fogaing.

Le film se passe dans une ville africaine. Dans une rue, un individu, un homme mâture et volage, est traqué à travers l'objectif d'une caméra. Celle-ci le file. Le mate. Il multiplie les copines. Lui, c'est Daniel Alega, sexagénaire, agent de l'État véreux à la retraite, recherché par la justice de son pays. Il se cache depuis longtemps sous le pseudonyme de Akinopoulos.

Avec le fruit de sa sale besogne, il mène une seconde vie extrêmement confortable. Belles femmes, jolie maison, un mariage équilibré. Tout roule pour le meilleur jusqu'au jour où il reçoit un coup de fil fatal. Son identité, tant cachée, est révélée. Et il devra répondre de ses actes devant les services compétents. C'est le début des malheurs, une perte de sommeil durant cinq jours. Une vie se désagrège jusque dans les débris d'une vieille baraque dans un quartier populaire abandonnant femme, fortune aux mains des inconnus.

Comment vivre dans l'angoisse d'une justice dont on ne connaît ni le jour, ni l'heure et quand elle s'amènera ? Comment répondre une vie oubliée qui vous rattrape ? Comment accepter la suite forcément fatale qui s'en suivra ?

Dérision

Le spectateur est directement pris dans le feu de l'action. Une caméra subjective propose une série d'images dans la rue. Elle aligne des plans larges pour informer sur le genre de personnage à qui on a affaire. Elle tait les dialogues et laisse libre court aux images.
À l'intérieur, c'est plutôt un individu posé, docile aux élans sentimentaux paisibles quoi échange amoureusement avec sa tendre moitié. L'ensemble donne un tissu narratif surprenant. La trame du film laisse augurer que l'ère des grands comptes sonne toujours malgré les dispositions que l'on prend. Pour lire ce film, il faut s'attendre à trois temps fort : la raison, le délire et le rebondissement.

Le réalisateur installe son film à l'intérieur, dans un salon. Un plan large serpente la maisonnée en plongée et contre-plongée, avec au centre, le sexagénaire plein dans le pétrin. La caméra entame son mouvement pour exprimer l'enfermement, la restriction subite des libertés de son héros. Le retour en mémoire de toute une vie savamment avilie. C'est une figure propre et chère à Serge Alain Noa. Il aime donner du rebondissement à son écriture (référence à Dinka série télé proposée en 2004 sur le réseau CIRTEF). Chacun de ses personnages est une entité particulière et la construction de son jeu, porte une charge exemplaire à la trame. Ici, il prend son comédien principal (ici interprété par Charles Nyatte, un vieux briscard de la comédie camerounaise que l'on retrouve avec beaucoup de délectation vingt ans après sa révélation à l'écran à travers le téléfilm Japhet et Jinette de Daouda Mouchangou) se trouve bien dirigé au début et au centre de tout l'enjeu.
Il est filmé de très près avec une succession de plans sur son visage ressortant sa psychologie progressivement décadente.

Le réalisateur joue avec beaucoup de courts plans, de beaucoup de dialogues doublés d'humour. "(…) qui es-tu ? (S'adressant à son épouse) ma femme est plus belle. Prends ta femme et satisfait la. Il faut que je dorme (se couvrant les yeux avec du scotch)". Le personnage est au centre d'un délire. La paranoïa se fait drame. Le beau et élégant Daniel Alega, longtemps caché sous le pseudonyme de Akinopoulos est mis à découvert par les renseignements généraux. Il frôle l'excès mais y tombe difficilement. "Je suis Akinopoulos, (..) non Daniel Alega". Il s'enfle dans une crise d'identité à la recherche inlassable d'une issue à son problème. Une série de plans serrés sur son visage le mitraille dans un décor proposé par Saint-Père Abiassi, le chef décorateur, qui nous séduit franchement.

Parallèlement, son épouse Eléonore (une Toni Bath Atangana à la côte montante au Cameroun, devenue la fidèle des films du réalisateur, traîne toujours son même style de femme déshonorée - qui la fit découverte aux yeux du public dans Honneur de femmes, court métrage de Paul Kobhio - qui revient en victime d'amour et de la vie) est aux abois. Elle, aussi, multiplie les occasions de ramener son homme à la raison. Elle fréquente les marabouts spéculateurs. Pas de satisfaction. Décidément le pari du trouble psychologique est à fond pour son époux. De retour chez elle, tard dans la nuit, elle surprend l'apprenti voleur Bébé, en situation de sentinelle et le confond au nouveau veilleur de nuit récemment recruté par époux. L'intrigue est forte. La charge émotionnelle aussi.

Parallèlement, les échanges entre Daniel Alega et le chef cambrioleur recherché par la police se mélangent de confusions, de vérités et contrevérités. La totale, dans ses allégations Daniel Aléga, fait don de femme et fortune au cambrioleur impétueux (personnage porté par Gabriel Fomogne, comédien) serait l'amant de son épouse.
C'est là l'autre force du film. La femme, effondrée en voyant voler en éclats le peu de sentiment qui lui restait encore, finit par accepter la confusion en se mettant avec le cambrioleur. Elle et son nouvel époux précipitent Daniel Alega alias Akinopoulos dans une baraque. C'est le réalisme féminin. À son tour, le nouvel Daniel Alega va déménager ses parents de sa baraque pour le nouvel eldorado. Seulement, il sera stoppé net par l'interpellation, cette fois physique de la police pendant que le vrai Daniel Akinopoulos coule des jours paisibles dans son taudis. La dérision est forte. Le film ose et dose les suspens.

Choralité

La dramaturgie du doute prend corps du récit. Le style du réalisateur participe d'une recherche contemporaine dans l'écriture africaine. La relation-situation-individu reflète exactement la condition des africains en cas d'angoisses. Un puissant flux verbal, un interminable monologue dans lequel l'interrogateur trouve lui-même des réponses. Le tout ressemble à une des problèmes au quelle le rythme des plans en légère lenteur parfois, a du mal à dire. Le don involontaire laisse trahir la choralité des langues africaines avec une bonne dose d'humour caustique. Celui qui le conduit à une perte de sentiment. Là, où toute situation et toute solution ne peuvent sortir que de la tête du mis en cause. À cela, notre héros finit par se défaire de son épouse au profit de l'autre Akinopoulos par simple de sa dérision.

De ce point de vue le scénario est proche de la dramaturgie de Big Shot ou Jaz du dramaturge ivoirien Koffi Kwahulé - où on assiste à un jet verbal à sens unique. Le héros joue un rôle complexe où il assume à la fois l'émetteur- le récepteur. Il s'interroge, se répond et se condamne. Tout le film se fait dans la tête. La dramaturgie s'étire entre le spectateur devenu acteur et le héros Akinopulos - et la dernière relation le spectateur- réalisateur grâce à un important flux d'images courts et le drame qui se présentent à ses yeux. Le film fait une très belle parallèle entre Akinopoulos et les prébendiers de l'économie africaine -qui traqué par la justice- optent pour un exil exactement comme Akinopoulos le fait en abandonnant ses biens et son épouse aux bandits impétueux tandis que lui-même se réfugie chez le bandit.

Le film s'enlise quelque peu sur ces plans qui veulent absolument illustrer la schizophrénie du gentleman déchu. Cependant, Le don involontaire demeure une lecture moderne et caustique, pleine dans l'actualité des sociétés urbaines africaines à l'ère des grandes mutations juridique, politique et économique.
Il se range dans le courant des jeunes cinéastes camerounais intéressait par le jeu et l'enjeu des sociétés urbaines en abordant la cause sociale et politique, comme ses compatriotes, Jean Pierre Bekolo (Les Saignantes, 2006), Cyrille Masso (Confidences, 2006) et Prince Dubois Onana (Sentence Criminelle, 2007).

On apprécie la composition du décor et les images particulièrement éblouissantes du film, ainsi que la maîtrise du casting et l'innovation du scénario. L'ensemble confirme la réflexivité du réalisateur qui déroule son talent un talent prometteur.

Martial Ebenezer Nguéa

Fiche technique :
Interprétation : Charles NYATTE, Toni BATH ATANGANA, Gabrielle FOMOGNE, Éric MEVOGBI, Pierre TENZE, Avit NSONGAN
Durée : 1h30
Réalisation et écriture : Serge Alain Noa
Montage :
Image : Joël Nzeuga
Eclairage : Yves Njebakal
Décors : Saint-Père Abiassi
Maquillage : Véronique Mendouga
Musique : Ndzié
Productions : Vynavy, 2007
Sortie : Novembre 2007

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