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La nouvelle vague et l'histoire : l'historicité du cinéma en questions
Conférence d'Alain Bergala à l'lPEST le 11 février 2008
critique
rédigé par Ikbal Zalila
publié le 05/05/2008
Yousry NASRALLAH
Yousry NASRALLAH
La Porte du Soleil (Beb Echams), de Yousry NASRALLAH
La Porte du Soleil (Beb Echams), de Yousry NASRALLAH

La venue d'Alain Bergala à Tunis à l'occasion du cycle consacré à Jean-Luc Godard a eu pour point d'orgue la conférence qu'il a donnée le 11 février à l'Institut préparatoire aux études scientifiques et techniques (IPEST). Dans cette conférence, Alain Bergala a entrepris de penser la nouvelle vague dans son rapport à l'histoire de la France de la fin des années cinquante et du début des années 60.

Qu'entend-on par Cinéma et Histoire ?

Les relations entre cinéma et histoire recouvrent des aspects multiformes qui nécessitent d'être définis si on ne veut pas tomber dans l'impressionnisme. Historiciser le cinéma relève d'une entreprise qui va au-delà de la simple énumération de films et de dates.
Il est devenu difficile de faire l'histoire de ce siècle en faisant abstraction des films. Le film a un statut de document à la même enseigne que les archives officielles écrites qui ont constitué jusqu'aux années soixante, le matériau unique des historiens. Réfléchir sur l'histoire par le cinéma ne relève pas du monopole des historiens, les cinéastes ont entrepris à leur manière un travail analogue. Cette réflexion est consciente et explicite dans les reconstitutions historiques où l'histoire constitue la trame du film. Le Napoléon d'Abel Gance, Naissance d'une nation de Griffith ou plus proche de nous Sejnéne de Abdellatif Ben Ammar ou encore Beb Echams de Yousri Nasrallah sont par leurs thèmes dans un questionnement de nature historique. Un questionnement par les moyens de l'art dont la portée n'est pas nécessairement la production de connaissances stricto-sensu comme c'est le cas des historiens.

Le cinéaste se fait aussi historien lorsque à l'instar de Jean Luc Godard dans ses Histoire(s) du cinéma, il entreprend de réfléchir à l'histoire de ce siècle par le biais d'un montage d'images et de sons glanés çà et là et montés selon une logique produisant du sens. Ces Histoire(s) du cinéma ont pris dix-sept ans à se dessiner, elles ont constitué l'essentiel de son travail des années durant. À travers ce film Godard ambitionne de racheter le cinéma qui n'a pas su voir l'horreur de la deuxième guerre mondiale se profiler. S'appuyant sur les thèses de Walter Benjamin selon lesquelles, le présent est dans la possibilité de racheter le passé, Godard réalise avec ses Histoire(s) du cinéma une œuvre majeure.

L'historicité du cinéma se retrouve dans des films qui s'inscrivent dans le présent le plus immédiat. Son contexte de production, les possibilités offertes par la technique, la prédilection pour certains thèmes, un certain état de la société sont autant d'éléments qui font d'un film ou d'une série de films une source d'histoire.

La nouvelle vague dans l'histoire

Dans sa conférence de l'IPEST, Alain Bergala abordé la nouvelle par le biais d'une approche d'histoire socioculturelle. Si la nouvelle vague est née et s'est développée en France entre 1959 et le milieu des années 60, si elle a connu autant de succès au point de rayonner au-delà des frontières de la France, c'est qu'elle s'est trouvée " synchrone" avec une jeunesse alors en pleine mutation. Les premiers films de la nouvelle vague sont l'œuvre de cinéastes qui sont nés dans les années trente. Ces réalisateurs n'ont pas connu la guerre même s'ils l'ont côtoyée. Issus de la critique et de la cinéphilie, Truffaut, Godard, Chabrol Resnais se sont lancés dans le cinéma avec pour seul mot d'ordre un immense désir de faire des films en prise directe sur le réel. Ce cinéma s'est construit contre "la qualité française", le cinéma des studios et ses corollaires d'artifice et d'affectation. La nouvelle vague a emprunté au néo-réalisme italien sa prédilection pour les tournages en décors naturels. Ceci a été rendu possible par l'apparition sur le marché de caméras 16mm et de pellicules dont la sensibilité permettait des tournages de nuit en très basse lumière. Si le néo-réalisme s'inscrivait dans une perspective politique, la nouvelle vague a résolument tourné le dos à l'histoire en se situant dans l'immédiateté "un cinéma du présent au présent" selon la formule de Bergala. Des personnages sans passé, sans mémoire, saisis dans l'instant présent sont les protagonistes de Pierrot le fou ou Une femme est une femme ou encore du Signe du lion. Le petit soldat constitue probablement la seule exception à cette règle. Ce film tourné en 1961 par Godard a été interdit pendant des années par la censure française. Le petit soldat avait pour projet de réfléchir sur la guerre d'Algérie à travers un personnage dont l'ambiguïté a été à l'origine de nombreux malentendus quant à la position de Godard par rapport à l'OAS et le FLN. Les films de la nouvelle vague ont vu le jour dans une France qui entrait de plein pied dans la société de consommation, ils sont allés à la rencontre d'une jeunesse qui voulait rompre avec la sclérose de la société française d'après-guerre. Les 400 coups feront 450 000 entrées en France. Ce film sera sélectionné pour représenter la France au festival de Cannes de 1959. À bout de souffle enregistre 380 000 entrées, Les cousins de Chabrol, 416 000 entrées. Ces films peuvent être considérés comme emblématiques de la jeunesse française de l'époque dans la mesure où ils ont su être au diapason de ses préoccupations. Et c'est en ce sens qu'ils constituent un matériau idéal pour penser l'histoire de cette période. Le cinéma de la nouvelle vague n'est pas le reflet de la société française de la fin des années 50 au milieu des années 60 mais doit être analysé comme une constellation de représentations à laquelle se sont fortement identifiés les jeunes français.

Cet aspect ne nous semble pas avoir été suffisamment souligné par Bergala dont l'intervention est restée plutôt anecdotique, en dépit du fait qu'elle a eu le mérite de lancer des pistes intéressantes pour une démarche qui embrasserait dans un même mouvement le cinéma et l'histoire.

Ikbel ZALILA

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