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Cinéma conceptuel et nouvelle conception du cinéma
Rome plutôt que vous (Roma wala intouma), de Tariq Teguia (Algérie)
critique
rédigé par Meriam Azizi
publié le 09/05/2008
Tariq Teguia
Tariq Teguia
Tariq Teguia
Tariq Teguia
Rome Rather Than You (Roma wa la n'touma)
Rome Rather Than You (Roma wa la n'touma)
Haçla (La clôture), documentaire de Tariq Teguia, 2004
Haçla (La clôture), documentaire de Tariq Teguia, 2004

Rome plutôt que vous, premier long métrage de fiction du réalisateur algérien Tariq Teguia n'est pas né ex nihilo. Le produit fini est l'apothéose de huit ans de labeur durant lesquelles années, on enregistre la production de quatre courts métrages qui en annonçaient la couleur. Les préoccupations du jeune cinéaste qui fondent la thématique de ses œuvres sont des plus classiques. Constante à l'image de la situation socio-économique en Algérie, la problématique se résume à ce décalage entre l'effervescence d'une jeunesse pleine d'ambitions et un pays meurtri et incompréhensif. Pendant sa période productive, Lakhdhar Hamina, précurseur de ce mouvement idéologique, a témoigné de l'émergence de la Rupture. L'aube de la déchirure constituait la matière de sa peinture cinématographique. Bien qu'il reprenne le même conflit extérieur en plaçant l'histoire dans le contexte chaotique et douloureux des années 90, Tariq Teguia revisite cette période de la crise avec un regard autre, celui d'un photographe plasticien.

Kamel et Zina, couple prototype de la jeunesse algérienne, décide de mettre un terme au dépaysement intérieur qui ponctue leurs jours. L'objectif qui les réunit est de parvenir à retrouver Bosco, un marin spécialisé dans la délivrance de faux passeports pour passer à l'autre rive de la Méditerranée. Un schéma narratif canonique.

Les adjuvants : un musicien dans un cabaret, en réalité ingénieur en informatique, croyant que Kamel fera vite de le déposer en ville à son retour, se retrouve compagnon de route dans leur quête. C'est grâce à son intervention auprès de son ami, journaliste devenu boulanger, que le couple surpris par le couvre-feu au milieu de la Madrague (un quartier réputé dangereux), trouve gîte et couverture. La présence de ces deux personnages dans le scénario sert de métaphore au poids du fléau social qu'est le chômage.

Les opposants c'est à l'évidence la police qui surgit à tout au moment pour rappeler la mainmise de l'état de la terreur. Dans un café à la Madrague, les trois jeunes se trouvent encerclés par trois civils dont le chef leur soumet un interrogatoire qui bascule dans l'absurde et le ridicule quand la question la plus cruciale concerne le pari sur l'équipe gagnante du match que diffuse la télé du café, en arrière-plan. La scène est magistrale : du point de vue des acteurs dont la crédibilité inouïe brouille les frontières entre fiction et réalité. De plus, scénaristiquement, son emplacement succédant à la scène de la plage, scène immergée de bonheur et de liberté, n'est pas arbitraire. Ce choix narratif renforce l'idée que tout plaisir n'est qu'éphémère sous la menace et l'emprise de l'oppression. Kamal et Zina sont caractérisés par un comportement léthargique propre à la situation d'attente à la Becket. À ce titre, à plusieurs reprises, ambiance, mise en scène et cadrage rappellent le style de Pedro Costa notamment dans son dernier long métrage En avant jeunesse ! La parité entre les deux films est légitimée par l'existence de scènes inondées de bonheur simple mais profond malgré la misère ambiante. Ainsi, aux scènes signifiant la vanité d'espérer, telles que l'image presque inerte de la voiture qui peine à avancer en s'enfonçant dans le quartier labyrinthique de la Madrague, contrastent les seules deux scènes à la tonalité euphorique. Il s'agit de celle de la partie de football sur la plage face à l'Eldorado contre une bande de marmots et celle à la boulangerie où la caméra, privilégiant de capter l'expression jubilatoire des visages, les filme en plan très rapproché en train de danser sur une chanson Raï.

Ce dont se démarque le film de Teguia c'est le parti pris esthétique de signifier par la complexité de l'image au détriment du dialogue logorrhéique. Le film est aussi singulier de par deux plans qui débordent la fiction et la transgressent pour lancer un cri extirpé directement de la réalité crue. D'abord le vendeur des cigarettes qui s'arrache à la fiction pour courir cracher à la caméra son existence réelle en levant un carton à cet effet. Ensuite le jeune clandestin au port, qui se retire de sa bande rasant en vitesse la paroi d'un bateau, pour se mettre nez à nez avec les spectateurs et faire un discours sur sa condition. Autant dire, que le temps de la fiction se fige pour laisser à la matière humaine et spatiale, la parole.

Dans un élan de poésie, s'intercalent des plans de paysage qui préparent le thème de la fuite. Tout d'abord l'ouverture sur le ciel qui constitue un topos récurrent chez les grands réalisateurs comme dans Elephant de Gus Van Sunt. Ensuite les scènes leitmotiv où la caméra se balade à ras du sol avec une vue sur la mer dans un silence inquiétant, à l'aube et pas à n'importe quel moment de la journée. Par ailleurs, sur la route vers le quartier de la Madrague, mise en abyme du départ, la voiture, hors champ, sert de support pour intégrer dans l'objectif le défilement des arbres qui bordent le trajet. Teguia opte pour un décadrage de l'espace filmé pour dire le décalage et le déphasage entre la beauté du relief et l'hostilité de la vie. Rome plutôt que vous, semble devoir sa réussite à une approche cinématographique plastique doublée d'un travail recherché sur le son comme personnage indispensable dans le film.

Meriam Azizi

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