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Exploration d'un rêve éveillé
Le don involontaire, de Serge Alain Noa (Cameroun)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 20/05/2008
Serge Alain NOA
Serge Alain NOA
Charles NYATTE
Charles NYATTE
Le sourire du serpent, de Mama Keïta, 2007
Le sourire du serpent, de Mama Keïta, 2007
Mama Keïta, cinéaste
Mama Keïta, cinéaste

La projection solennelle du dernier film de Serge Alain Noa, Le don involontaire, a eu lieu au Ccf de Yaoundé le dimanche 13 janvier 2008 à 18h.

C'est l'histoire de Daniel Alega (Charles Nyate), coupable de détournement de deniers publics, qui vit luxueusement sous le faux nom d'Akinopoulos. Un jour, à la suite d'un coup de fil anonyme, il perd le sommeil. Comment peut-on vivre sans dormir ? Quelles en sont les conséquences ?

Au travers de cette comédie dramatique, le jeune réalisateur camerounais explore un phénomène d'actualité, celui de ces escrocs à col blanc qui en mettent plein la vue à leurs concitoyens, jusqu'au jour où ils sont rattrapés par leur passé délinquant.

Le film de Serge Alain Noa s'ouvre sur des images prises par une caméra portée, et dont le tremblement prélude aux troubles intimes des individus aux comportements déviants tels que Daniel Alega. Un seul coup de fil, et leur monde bascule. Celui d'Alega se circonscrit à sa majestueuse demeure, où, à travers un long plan-séquence, se déroule l'essentiel du film. L'interminable prise de vue en plongée de la salle de séjour de ce pseudo riche en apprend suffisamment au spectateur sur l'abattement profond de cet homme aux dehors pourtant si flambards.

Un peu à l'image du Sourire du serpent, la dernière réalisation du cinéaste franco-guinéen Mama Kéita, Serge Alain Noa use de multiples symboles et plonge le spectateur dans un monde de huis clos. À ce niveau, Le don involontaire explore le phénomène du rêve. Ne fait-il pas un clin d'œil à la caméra, objet par excellence de fabrication de rêves ? "En plus, je suis dans un film. Monsieur est cinéaste, et il fait un film sur moi", se flatte Alega. Le huis clos, associé ici à la couleur rouge, ne dégage-t-il pas la symbolique du "retour vers soi et pour qui l'extérieur ne compte guère", comme l'écrit Jacques Lalonde dans son article intitulé "Introduction à la couleur" ? Et effectivement, Daniel Alega et son épouse (Toni Bath Atangana) sont vêtus de rouge, couleur de l'amour, mais aussi de la souffrance.

Après avoir tout essayé (aussi bien la médication occidentale que indigène), Alega n'arrive pas à trouver le sommeil. Il ne peut donc pas rêver. Et on sait à quel point ce phénomène inhérent au sommeil est important dans la vie d'un individu ! On sait aussi que le rêve se déroule en soi, qu'il est intérieur, comme le huis clos dans lequel le réalisateur confine et ses protagonistes, et les spectateurs par le fait même. En choisissant de se couvrir les yeux, Alega se donne l'illusion de sommeil ("vous rêviez que vous dormiez"). Apparemment, "ça marche", se réjouit-il. En proie à des images confuses et incohérentes, il confond la réalité au rêve (le cambriolage de son domicile). En butte à un rêve éveillé, il multiplie les gaffes, et transforme les sentiments de sa femme en ressentiments.

Par ailleurs, le moment le plus propice au sommeil, donc au rêve étant la nuit, l'action du Don involontaire s'y déroule (intérieur nuit, dit-on au cinéma) avec un rendu appréciable des images, du fait de la maîtrise, sans doute, du jeu des lumières qui mettent en évidence les contrastes de cette séquence. A ce sujet, ne faut-il pas souligner, pour ne pas l'oublier, cette image de l'épouse d'Alega, rentrée d'une virée nocturne, habillée d'une longue robe de soirée violette, et filmée à côté du cambrioleur dans la salle de séjour ? Ce violet, autrement dit, ce rouge refroidi n'indique-t-il pas son état mélancolique qui s'accompagne de son besoin de tendresse ? Le cambrioleur (Gabriel Fomogne), tout de noir vêtu, non seulement est assimilable à une ombre, mais la couleur de sa tenue ne colporte-t-elle pas une symbolique faite d'antipathie, de négativité, d'erreur, de mal ?

Tourné dans un décor et avec des accessoires rappelant les vidéos nigérianes, Le don involontaire semble en avoir été fortement influencé. Mais, techniquement, il se situe au-dessus de celles-ci. De plus, il a l'audace de se pencher sur un sujet qui sonde le for intérieur des individus, avec une approche dont l'originalité ne fait pas appel aux gros plans.

Jean-Marie Mollo Olinga

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