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François Kuhnel : "18 % de réflexion, ce n'est pas ma démarche"
entretien avec le Directeur de la photographie de Ramata (Léandre Baker, 2008)
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 24/05/2008
Photo d'équipe avec Nadine Otsobogo (maquilleuse), Makhète Diallo (assistant caméra), Léandre baker (réalisateur) et François Kuhnel (directeur de la photo).
Photo d'équipe avec Nadine Otsobogo (maquilleuse), Makhète Diallo (assistant caméra), Léandre baker (réalisateur) et François Kuhnel (directeur de la photo).
Ramata, de Léandre-Alain BAKER, 2008
Ramata, de Léandre-Alain BAKER, 2008
Katoucha NIANE, actrice
Katoucha NIANE, actrice
Léandre BAKER, réalisateur
Léandre BAKER, réalisateur
Sexe, Gombo & beurre salé, de M-S HAROUN
Sexe, Gombo & beurre salé, de M-S HAROUN
Mahamat-Saleh HAROUN, réalisateur
Mahamat-Saleh HAROUN, réalisateur
Moctar Ndiouga BÂ, producteur
Moctar Ndiouga BÂ, producteur
Moussa SÈNE Absa, réalisateur
Moussa SÈNE Absa, réalisateur
Abasse NDIONE, romancier
Abasse NDIONE, romancier

Ils ne sont pas visibles à l'écran. Mais, ils abattent un travail merveilleux pour qu'un film sorte sur les écrans de cinéma. Qu'il s'agisse des directeurs de la photo, des machinistes ou de manière générale de tous les techniciens, leur apport dans la réalisation d'un film est important.
En marge du tournage du film Ramata du Congolais Léandre Baker, nous avons rencontré son directeur de la photo. François Kuhnel dans l'entretien qu'il nous a accordé en décembre 2007, lève un coin du voile de ce qu'est leur rôle dans un film. Pour lui, il n'y a aucune différence entre filmer la peau noire et la peau blanche. C'est du pareil au même.

Africiné : Vous travaillez dans l'ombre ; le plus souvent les réalisateurs, les producteurs et encore acteurs sont interpellés pour s'expliquer sur leur film. En tant que directeur de la photo dans le film Ramata, quel est votre apport dans ce film ?

François Kuhnel : J'ai travaillé sur ce film parce que je connais Léandre depuis longtemps. Nous avions déjà fait un documentaire et un court-métrage ensemble. D'autre part, j'avais tourné Haramuya au Burkina Faso en 1994 avec Drissa Touré. Le film avait été sélectionné à Cannes (un certain regard) et au Fespaco où j'ai rencontré Haroun Mahamat-Saleh, Moussa Sène Absa et d'autres réalisateurs.
Chaque film a son esthétique. Au départ un coup de cœur pour un scénario, ça mûrit en préparation, pendant les repérages, et les choix s'affinent jusqu'à la veille du tournage.
Sur Ramata, la demande de Léandre et aussi de Moctar, était de trouver ; d'une part un climat poétique, et d'autre part une image proche du documentaire. Ramata est un conte moderne ancré dans la réalité de Dakar. Le travail avec Katoucha Niane et Viktor Lazlo a fait le reste ; j'ai construit la lumière autour d'elles. Le film est un mélange d'ambiances réalistes filmées à la manière du documentaire (caméra à l'épaule, lumière brute) et, d'ambiances poétiques en dehors du temps avec une image plus sophistiquée.
Katoucha est une femme d'une grande beauté, d'une grâce extraordinaire. Grand mannequin, elle a acquis une parfaite maîtrise de son corps et, j'ai aussi eu l'heureuse surprise de travailler avec quelqu'un qui avait un sens du cadre et de la lumière. Le savoir faire de Léandre comme directeur d'acteur a fait le reste.

Africiné : Au niveau esthétique on sait que filmer la peau noire surtout en plus dans les scènes de nuit, ce n'est pas évident. Nasr Djépa, directeur de la photo sénégalais, a fait un court-métrage sur le rapport pellicule/peau qui s'appelle 18 % de réflexion. Cette réflexion sur la lumière, comment filmer la peau noire, avec quelle pellicule, est-ce que vous y êtes confronté ? Comment et quelles propositions techniques apportez-vous aux réalisateurs ?

François Kuhnel : Je n'ai pas vu le court-métrage de Nasr Djépa, mais personnellement, je filme la peau noire comme je filme la peau blanche. Si dans le plan il y a un comédien noir et un comédien blanc côte à côte, ce sera la même lumière, le même projecteur, et, je ne vais pas éclairer plus l'un et moins l'autre. Simplement, j'utilise la couleur plus librement, un effet vert ou jaune passera très bien sur un visage noir, alors que sur une peau blanche … Avec Nadine Otsobogo, la chef maquilleuse du film, nous avons travaillé sur les valeurs de brillances et de satins qui m'ont permis de "sculpter" les visages avec des nuances allant parfois du noir 0% au blanc 100% !
Je ne cherche jamais à éclaircir un visage noir ni avec la lumière ni au maquillage, je m'applique à respecter les différences de peau. Katoucha a la peau claire, Suzanne (une actrice du film Ramata) est plus foncée, Ibrahima est très noir. Il m'est arrivé de voir au cinéma des comédiens noirs tous "café au lait" parce que trop éclairés et surtout "matifiés" et éclaircis au maquillage ; tout cela change la personnalité du comédien.
La méthode d'éclairage basée sur 18% de réflexion sur une peau noire est sécurisante ; on verra toujours quelque chose à l'écran, mais pour y arriver il faut sur-éclairer par rapport au décor et, là on a une image fausse. N'ayons pas peur du noir à l'écran. Les séquences de nuit sont un plaisir, travailler les nuances de noirs permet de mettre en valeur ce qu'on décide de montrer, le regard, l'expression. Je travaille toujours ce savant dosage, entre ce que l'on montre et ce que l'on suggère, avec le réalisateur. Notre métier est de raconter une histoire. L'image doit être juste et crédible, pour y parvenir j'essaye de travailler en lumière naturelle, quand ça ne marche pas, on arrange, on invente "une réalité".
Kodak ou Fuji ? Les deux fabricants font de très bonnes émulsions, le choix dépend souvent d'accords commerciaux. Personnellement j'utilise des émulsions de moyennes et hautes sensibilités. Une 200 ou 250 Tungstène pour les extérieurs jours, pour les intérieurs jours une 250 Daylight ou la 500 D Fuji qui est extraordinaire, et pour les nuits une 500 T. J'utilise rarement des pellicules bas contrastes, mais il est utile d'en avoir une sous le coude en cas de contraste ingérable.
Le look d'un film se fait à la lumière et au labo, on peut tellement cuisiner l'image en post-production numérique que Kodak ou Fuji … Je pense qu'il faut faire jouer la concurrence.

Africiné : En comparant les deux films Sexe, gombo & beurre salé, et Ramata qu'est ce qui change ?

François Kuhnel : Ce sont deux films différents. Sexe, gombo & beurre salé est une comédie qui se passe en Aquitaine, entre Bordeaux, sa banlieue et le bassin d'Arcachon. Haroun a vécu longtemps à Bordeaux, il a écrit l'histoire et le scénario. C'est l'hiver, le décor principal est un appartement au 17e étage d'une tour. La vue sur Bordeaux, avec la lumière qui change constamment, est magnifique.
Il y a beaucoup d'humour et aussi de l'autodérision dans ce film. L'histoire se passe dans une famille Africaine vivant en France.
C'est la première fois qu'Haroun tourne une comédie, par moments la mise en scène est vraiment débridée mais dans la rigueur, la simplicité. La concision de la direction d'acteur et de la mise en scène fait la force de son cinéma.
Nous avons tourné en HD, parfois avec 2 caméras. Tourner à 2 caméras n'est pas forcément un gain de temps, cela permet surtout d'obtenir plus de matière, notamment avec des comédiens non professionnels. Cela donne aussi, dans certains "champs- contre champs", une plus grande liberté aux acteurs, qui peuvent, dans ce cas, "chevaucher" leur texte.
On était sur un téléfilm ARTE avec les contraintes de temps que l'on connaît. Cet impératif oblige à aller à l'essentiel, constamment à faire des choix. Le téléfilm est confié aux réalisateurs et aux techniciens expérimentés. Le téléfilm n'est pas un genre majeur, mais il est une bonne école, comme l'était le documentaire avant l'utilisation massive de la vidéo qui a banalisé la zoomite, le white balance et le diaph auto. Les nouveaux camescoopes de poing HD sont des outils intéressants, ils permettent de tourner à moindre coût. L'autoproduction pour un certain genre de cinéma devient possible, mais le travail de l'image reste le même.
Ramata est l'adaptation d'un roman de 500 pages écrit par Abasse Ndione. On est à Dakar, entre les quartiers chics, les dibiteries, Gorée, et les maquis. Le portrait d'une femme qui vit une histoire d'amour impossible. Léandre en a fait un scénario mélodramatique qui flirte avec le polar, la comédie, le conte philosophique. C'est le premier long-métrage de Léandre, personne ne s'en est rendu compte. Il a fait un travail remarquable avec ses acteurs ; très peu étaient professionnels, la grande majorité venait de Dakar. Léandre les a formés ou coachés dans des ateliers et sur d'autres tournages à Dakar. Sur ce film, j'ai plus collaboré à la mise en scène. Nous avons tourné en Super 16mm. Le S 16mm reste un excellent support. Avec une post-production en 2K nous aurons une image proche du 35mm. Je travaille la HD dans le même esprit que le film. Je rentre très peu dans les menus de la caméra sur le plateau, j'essaie de garder la même souplesse. La HD nécessite des essais, une préparation particulière ; c'est à ce moment-là que l'on bidouille sa caméra avec des assistants opérateurs qui doivent avoir des compétences spécifiques. À noter qu'une caméra HD type Varicam ou Sony 900 avec un zoom est bien plus encombrante qu'une caméra film, même 35 mm. Cela pose des problèmes dans certains décors, notamment les intérieurs voiture.
Ce sont des outils différents. La HD était adaptée au tournage du film d'Haroun, mais la pellicule était le meilleur support pour Ramata.
Je tiens à remercier les techniciens avec qui j'ai partagé ce tournage. Arona et son équipe ont toujours fait le maximum malgré les "petits problèmes".
Et quel plaisir de retrouver tous les jours une équipe de bonne humeur ! L'ambiance était excellente, et nous avons fait du bon travail.

Propos recueillis par
Fatou Kiné SÈNE et Thierno Ibrahima DIA

L'entretien s'est déroulé en décembre, le dernier jour de tournage et nous avons tenu à faire réagir François Kuhnel après la disparition de Katoucha.

Africiné : Comment avez-vous accueilli la nouvelle de la disparition puis la mort de Katoucha Niane, dont vous avez signé la photo de son premier film ? Quel souvenir gardez-vous de l'actrice ?

François KUHNEL : Une immense peine. Difficile à réaliser après six semaines de collaboration, de complicité intenses. Katoucha a donné le maximum d'elle même pour le film. Ramata est le plus bel hommage que nous puissions lui faire.
(Fin)

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