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Interview avec le réalisateur Cheick Fantamady Camara
Il va pleuvoir sur Conakry de Cheick Fantamady Camara projeté en Guinée
critique
rédigé par Fatoumata Sagnane
publié le 27/11/2008

Un réalisateur, un film, des comédiens, un espace, des spectateurs.
Il va pleuvoir sur Conakry (Cheick Fantamady Camara, Guinée) a été accueilli dans son pays natal comme cela se devait. Il a été tant attendu, et quand il fut projeté, il a été très couru. Il a provoqué des réactions sentimentales, des débats passionnés de part des cinéphiles comme des critiques de cinéma d'ici ou d'ailleurs. Selon la maxime, "c'est la rareté qui fait la valeur".

Africiné : Vous avez tourné Il va pleuvoir sur Conakry en Décembre 2005 en Guinée, un film qui a fait le tour du monde et a raflé de multiples prix. Expliquez-nous les raisons du retard de sa projection en Guinée ?

Cheick Fantamady Camara : On n'avait tout simplement pas les moyens de notre politique. Sinon notre ambition était de venir en Guinée avec les comédiens qui étaient sur Paris qui voulaient venir parce qu'ils avaient aimé le pays pendant le tournage malgré tous les problèmes. C'est très émouvant de voir jouer un film qui a été très populaire et qui a eu beaucoup de succès, émouvant également de voir les acteurs sur place avec qui on peut discuter. Ainsi, on s'est lancé dans les sponsorings qui n'ont pas assez marché, à part Le petit Bateau qui a réagi en nous offrant quatre chambres d'hôtel qui ne suffisaient pas pour toute l'équipe ; donc je suis venu seul et ce n'est que partie remise.
Par ailleurs, nous avons bien l'intention de revenir en groupe, faire le tour de la Guinée avec le film, si les moyens nous le permettent un jour.

Africiné : On a appris récemment que vous avez voulu faire projeter Il va pleuvoir sur Conakry à Rogbanè (salle de cinéma situé à 9 km de la capitale Conakry). Cela n'a pas abouti. Qu'est-ce qui s'est passé ?

Cheick Fantamady Camara : Il y a eu un malentendu à la fin de la négociation, c'est raison pour laquelle la projection n'a pas eu lieu à Rogbanè. En plus le temps pressait. Il fallait se décider tout de suite pour ne pas rater la seconde chance (la projection du film au Centre Culturel Franco-guinéen). Dans tous les cas, je pense reprendre une autre fois la collaboration avec le propriétaire de Robganè en l'occurrence Ahmed Gazy.
Ce qui était pratique pour moi, c'était de présenter le film dans une salle professionnelle surtout bien équipée et Rogbanè répond bien à ce critère.

Africiné : Qu'est ce que vous entendez par "un malentendu" ?

Cheick Fantamady Camara : Il y a un système de distribution que le ministère français des affaires extérieures, a mis sur pied surtout pour mon film Il va pleuvoir sur Conakry. Cela a bénéficié à quatre pays : le Burkina, le Cameroun, le Mali et le Sénégal. Le ministère donne une copie de 35mm et tout le matériel de promotion aux distributeurs des pays qui demandent le film. Il paye 2 000 euros forfaitaire comme droit d'auteur à la production. Cette somme est ridicule, mais ce n'est qu'un essai. Il n'y a pas de distribution de nos films dans nos pays, si ça marche ils vont continuer et avec le temps, la somme va évoluer. Sinon 2 000 euros pour un long métrage c'est insignifiant. Moi, j'ai accepté cette modeste somme parce que je souhaitais que mon film soit vu dans mon continent. Je crois que Ahmed n'a pas compris ce mécanisme. Pourtant j'avais envoyé des dossiers lui expliquant le mécanisme de fonctionnement par rapport à ce genre de collaboration mais, il pensait que les 2 000 euros lui revenaient encore. Par finir, j'ai essayé de le mettre en contact avec les décideurs, mais il n'a pas suivi le contacte. Le temps pressait, il fallait venir ce mois ci. Alors j'ai préféré suspendre la négociation d'ici qu'il comprenne. Pour moi c'est un cadeau qu'on lui offrait sur un plateau d'or. Une copie 35mm qui coûte au moins 5 000 euros, avec tout le dispositif promotionnel. Et il était habilité d'exploiter le film comme il voulait pendant un an, sans aucun compte rendu. Je crois qu'il comprendra. Je lui suggère de lire les documents du ministère. Si ça l'intéresse toujours, je suis toujours ouvert. J'ai voulu une copie 35mm qui était à Paris et devait partir pour le Gabon mais je me suis dit que mon pays devait avoir cette chance car il y a de rares salles de cinéma qui répondent aux critères des 35mm. Avec le temps il comprendra j'espère.

Africiné : La réaction du public retient-elle particulièrement votre attention après une projection ?

Cheick Fantamady Camara : J'apprends beaucoup du public, surtout à travers les questions réponses, et ça me cultive en même temps.

Africiné : Pourquoi le choix d'un titre rap d'un groupe sénégalais pour le début du film ?

Cheick Fantamady Camara : Ce rap je l'ai trouvé tellement puissant, et au rythme de la jeunesse d'aujourd'hui,que j'en suis tombé amoureux.

Africiné : La nudité dans le film suscite chez certains des visions simples, par contre dérange d'autres. Qu'en pensez-vous ?

Cheick Fantamady Camara : Pour moi montrer un corps nu, c'est un symbole de liberté. On est né nu et on a envie d'être responsable de soi, d'être libre de son corps, de son sexe, de ses mouvements et de tout ce qu'on fait. Dans le film, le couple BB-Kesso symbolise la société. Un jeune couple qui représente le futur. C'est un ton de liberté que j'ai voulu donner et je suis allé jusqu'à la fin, car tout le combat de l'être humain est celui de sa liberté. J'avoue que ce problème de nudité dans le film se pose pas plus dans les pays africains qu'en Europe parce qu'on n'est pas libre de son corps à cause des religions. Et ceux qui nous l'interdisent sont plus pervers et hypocrites. 500 ans avant l'Islam et le Christianisme on était nu et ça ne posait pas de problème. Le corps fait partit de l'art, c'est biologique. A l'époque on avait nos éducations très très cohérentes par rapport à la sexualité car on ne pouvait pas coucher avec une fille avant le mariage, avant l'âge. Mais les enfants avaient la liberté d'avoir leur amoureux et ça ne voulait pas dire de coucher.
Je sais que dans les années 70, 80 dans mon village tu pouvais être sûre de trouver des filles de 18 ans encore vierges. Parfois elle pouvait aller dormir chez leur copain et la famille ne trouvait pas à redire, parce que cela ne leur donnait pas le droit de coucher avant le mariage.
Ce qui est certain, c'est qu'on est perturbé chez nous. Dans ces pays où la religion est très compliquée, résident les gens les plus pervers au monde. De grâce qu'ils arrêtent avec ce problème de nudité.

Africiné : Il va pleuvoir sur Conakry a traité beaucoup de thèmes dont la question de religion. Selon vous, l'animisme reste-t-elle toujours la seule vraie et l'unique religion africaine, qui a sa raison d'être comme on le voit dans le film ?

Cheick Fantamady Camara : Oui c'est un choix, je n'invite personne à être comme moi. Pour moi l'animisme m'éclaire le chemin de la vie. C'est comme quelqu'un qui était dans l'ignorance et il a vu la lumière.
Après je me pose la question pourquoi on refoule la colonisation politique, économique que l'Occident est venu faire chez nous et accepter la colonisation spirituelle ? Peut être c'est trop de dire de refouler l'Islam et le Christianisme en Afrique mais il faut comprendre que ce ne sont pas des religions d'origine africaine. Tout notre malheur a commencé par ces religions importées. La domination perpétuelle depuis 500 ans de l'être Noir de l'Afrique a commencé par l'Islam et le Christianisme et ça continue. Avec tant d'années de pratiques religieuses nous ne pouvons plus dire à nos parents de ne pas aller à la mosquée ou à l'église après 40 ou 50 ans de pratique. Il faut les laisser mourir avec ; Mais il ne faut pas enseigner ces valeurs aux générations futures. J'avoue qu'avec tout ce temps passé avec ces religions elles n'ont pas que des côtés négatifs, mais peut être qu'il faut juste prendre leur bon côté et abandonner le côté extrémiste. Avant, nous avions notre spiritualité. Ce n'est pas eux qui nous apprennent que Dieu existe. Ils n'ont fait que des fatalistes, des soumis dans nos continents. Si Dieu aime quelqu'un ce n'est pas l'Afrique qu'il aime de toute façon. Parce que tous ces malheurs qu'il abat sur l'Afrique le prouvent et, depuis qu'on est chrétiens et musulmans on n'est jamais sorti de l'enfer.

Africiné : Ceci dit, peut on penser que vous êtes animiste pratiquant ?

Cheick Fantamady Camara : Moi je suis spiritualiste et mes ancêtres sont mes prophètes. Pour moi, ni Mohamed, ni Jésus ne pourront me sauver un jour et de quoi que ce soit. J'ai une spiritualité animiste et je me sens bien là.

Africiné : Et c'est quoi votre notion de Dieu ?

Cheick Fantamady Camara : Ma définition de Dieu c'est ce qu'on ne connaît pas ; personne ne connaît Dieu. C'est comme si on disait ce trou noir qu'on ne connaît pas il faut l'appeler Dieu. J'aime bien les religions asiatiques, avec le principe, il n'y a pas de début, il n' y a pas de fin. L'essentiel est que notre environnement soit saint. Mon enfer ou mon paradis dépend de moi. Je sais pas d'où je viens et je ne sais pas où je vais. En tant qu'être humain ce qui compte pour moi c'est ce que je vis à l'instant T.

Africiné : Votre précédent film, le cout métrage Bè Kounko a eu combien de prix ?

Cheick Fantamady Camara : 5 à 6 prix.

Africiné : Et Il va pleuvoir sur Conakry ?

Cheick Fantamady Camara : J'ai eu le treizième prix au Maroc au Festival international du cinéma africain de Khourigba : le Grand prix Ousmane Sembène. Ça m'a beaucoup touché d'avoir été le premier à obtenir ce prix.


L'avis de quelques intervenants qui avaient suivi le film IL VA PLEUVOIR SUR CONAKRY.

- Docteur Mohamed Kerèfala Camara : Pharmacien, chargé de cours à l'Université.
Africiné : Vous venez de suivre Il va pleuvoir sur Conakry de Cheick Fantamady Camara, que dire de ce film ?

Dr Mohamed Camra Ferèfala : J'ai été sincèrement émerveillé par le film qui vient d'être projeté, j'ai beaucoup apprécié l'idée du film et les acteurs qui ont su jouer le jeu.

Africiné : Jusqu'où ce film vous a émerveillé ?

Docteur Mohamed Camara Ferèfala: Je suis de ce pays et il y a bien longtemps on ne parlait plus de bon films. J'avoue que cette réalisation est hors paire. C'est un plaisir immense de constater que l'histoire du vrai cinéma en Guinée revient petit à petit. En tout cas moi, il y a plus de 25 ans que je n'ai pas assisté à un tel film africain, de surcroit guinéen. Ceci étant, je voudrai profiter de cette occasion pour lancer un appel à l'endroit des autorités politiques de ce pays, à tout les niveaux, d'essayer de mettre un accent particulier sur la culture guinéenne. Nous avons une culture riche, variée et diversifiée.
Elles n'ont qu'a accompagner les acteurs, comédiens, et réalisateurs, hommes de culture tout court. La culture guinéenne est un trésor encore inexploré, une mine à exploiter et à explorer. Et si toutefois cet élan continue avec le soutien des uns et des autres, dans les mois et années à venir notre cinéma reprendra son élan d'origine, c'est un espoir évident.


Mme Fifi Niane Bangoura : Artiste, propriétaire du Petit musée (un théâtre, espace culturel).
Africiné : Avez-vous un sentiment particulier par rapport à ce film ?

Mme Fifi Niane Bangoura :
J'ai été agréablement surprise. Je viens d'apprendre tous les beaux prix que ce film a eu donc, je ne suis pas étonnée l'ayant vu. C'est un magnifique film qui montre Conakry sous un angle très beau, très poétique. Conakry plein de vie, de chaleur, de beauté avec des acteurs qui sont fabuleux. Je ne dirai pas que je ne savais pas qu'il y avait des grands acteurs en Guinée, mais je suis étonnée d'avoir un concentré de belles choses dans ce film.
Je voudrai souligner que j'ai de l'espoir pour le cinéma tout court, qui est un art majeur, un art qui n'est pas encore situé pour mériter de disparaître. J'espère que les Guinéens, les artistes, tous ceux qui font ce métier difficile se bâteront pour que le cinéma guinéen aussi soit dans la course du cinéma mondial. En outre c'est dommage que les salles de cinéma soient bouclées. La télé ne peut pas remplacer la magie du cinéma. Ce n'est pas un phénomène typiquement guinéen, partout en Afrique comme ailleurs les salles de cinéma sont de plus en plus rares. Le cinéma c'est aussi le travail de l'image de la construction du cadre, de la lumière, ce film à montrer vraiment que le cinéma en tant que tel est bien vivant en Guinée et avec les Guinéens.


Diallo Fatoumata Laila : Bibliothécaire au Culturel Franco Guinéen

Africiné : C'est la deuxième fois que nous vous rencontrons pour la projection de Il va pleuvoir sur Conakry, faites nous partager les raisons de cette assiduité ?

Diallo Fatoumata Laila :
C'est un film bien élaboré, qui touche la réalité de nos sociétés, un film qui pointe du doigt sur toutes les plaies dont souffre la société africaine en général et celle guinéenne en particulier. Pour un film africain, je trouve que c'est un film courageux, osé. Donc bravo au réalisateur qui montre ce film telle que la société se présente dans ces multiples facettes, et non pas que les gens voudraient qu'elle soient montrée.

Ibrahima Sory Manssaré : journaliste animateur et réalisateur de formation. C'est un film qui sort du commun du guinéen, un film qui montre la réalité de nos sociétés. C'est un film de haut niveau qui ne cache point de choses. La première image du film - les deux acteurs nus, BB Kèsso - est joliment osée. J'imagine ce film à la télé guinéenne ça va être chaud (rires). J'ai surtout aimé la liberté que le réalisateur s'est octroyé en faisant ce film.

propos recueillis par
Fatoumata SAGNANE et Mamadou Adama BAH
membres de l'Association Guinéenne des Critiques de Cinéma (AGCC)

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