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Mots d'après guerre, Liban été 2006, de Anouar Brahem
Paroles libres d'artistes citoyens
critique
rédigé par Ikbal Zalila
publié le 28/12/2008
Anouar Brahem
Anouar Brahem
Anouar Brahem
Anouar Brahem

Le 12 juillet 2006, l'armée israélienne déclare une guerre totale contre le Liban au prétexte de l'enlèvement de deux de ses soldats par le Hezbollah. En Août 2006, les Nations-Unies ordonnent un cessez-le feu accepté par Tsahal (l'armée israélienne) et le Hezbollah. Septembre 2006, Anouar Brahem et Habib Belhédi partent en équipe réduite à Beyrouth dans le but de recueillir des témoignages d'intellectuels et d'artistes libanais sur les conséquences de cette guerre. De ce séjour naîtra le documentaire Mots d'après guerre, Liban été 2006 réalisé par Anouar Brahem qui endosse pour la première fois la casquette de cinéaste. Huit personnalités du monde de la culture et des arts, de confession religieuse différente se succèdent devant la caméra de Anouar Brahem pour expliquer leur perception de ce conflit, ce que cette guerre a changé en eux et leur vision du devenir du Liban : Ryma Khechiche (chanteuse), Bernard Khoury (architecte), Pierre Abi Saab (critique), Abbés Baydhoun (poète), Elias Khoury (romancier), Joseph Samaha (journaliste), Hénia Mroué (danseuse) et Rabii Mroué (homme de théâtre).

Que penser de cette guerre qui a été menée et gagnée par Hezbollah au nom du Liban contre la redoutable armée israélienne que les victoires militaires antérieures ont érigé en véritable mythe dans la région ? Comment se positionner par rapport à la résistance chiite dont l'idéologie est aux antipodes des valeurs de la totalité des intervenants ? Est-ce que cette divergence idéologique est suffisante à elle seule pour se désolidariser du sort de son pays et souhaiter secrètement une victoire d'Israël ? (Se référer aux positions extrêmes des forces libanaises, d'un Walid Jumblatt ou de certaines figures de premier plan du courant "el Mustakbal" de Saad el Hariri). Sur la légitimité de la guerre, ces artistes crient haut et fort leur solidarité avec Hezbollah, tout en se démarquant nettement de son idéologie, c'est la pérennité du Liban que la résistance a "provisoirement" sauvé. Cette faculté à faire fi des différences lorsque le destin d'un peuple est en jeu constitue une preuve de la vitalité et du patriotisme d'une intelligentsia qui a su mesure garder en dépit des errements de certaines franges de la classe politique. Le témoignage de Pierre Abi Saab, chrétien de naissance, qui se définit comme musulman de culture et athée de conviction est de loin le plus saisissant
"Cette guerre m'a réconcilié avec le Liban et les libanais, elle m'a réappris la fierté d'être libanais". Le point de vue de Abbés Baydhoun est plus critique vis-à-vis de Hezbollah, mais son propos va au-delà de la guerre. Chiite de Tyr, poète, Baydhoun déplore le recul de la tolérance dans sa ville et impute cette uniformisation au travail d'endoctrinement entrepris par le parti chiite, il considère que par ailleurs que Hezbollah n'a pas besoin du Liban en raison de son statut de première puissance politique du pays sous entendant que cette guerre est moins celle des libanais que celle de Hezbollah contre Israël.

Le film est travaillé par la volonté de comprendre et de reconstituer pour le spectateur la complexité et les paradoxes d'un pays qui a toujours pâti de sa situation géostratégique. Comprendre, suppose savoir écouter, respecter la parole de l'autre au risque que celle-ci se transmute en une menace pour l'équilibre du film, son rythme d'ensemble. En privilégiant la fidélité dans la restitution du témoignage par rapport à l'efficacité du montage, la temporalité lente du déploiement d'un point de vue, avec ses moments de silence, d'émotion, de raisonnement, de lyrisme et de détresse sincère, Anouar Brahem agit en vrai documentariste et fait preuve d'excellentes qualités d'écoute. La parole est à certains moments déliée de l'image pour se greffer sur des plans de poésie pure sur un coucher de soleil sur la baie de Beyrouth, auxquels succèdent des images sur les ravages de la guerre, mais aussi de la vie qui prend le dessus dans ces quartiers chics de Beyrouth où on s'amuse, où les jolies filles déambulent comme insouciantes aux soubresauts de l'histoire.

Au-delà des vicissitudes de la politique, nous dit Hénié Mroué cette énième agression sauvage est synonyme de la perte d'une part d'humanité du monde, arabe surtout, qui a cautionné à travers les silences coupables de ses dirigeants la barbarie.

IKBEL ZALILA

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