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Amazing Grace, de Michael Apted
Contre "la glorieuse infamie"
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 06/01/2009
Bassirou Niang
Bassirou Niang
Michael Apted
Michael Apted
William Wilberforce (Ioan Gruffudd)
William Wilberforce (Ioan Gruffudd)
Oloudah Equiano (Youssou Ndour)
Oloudah Equiano (Youssou Ndour)
William Wilberforce (Ioan_Gruffudd) et Barbara Spooner (Romola Garai)
William Wilberforce (Ioan_Gruffudd) et Barbara Spooner (Romola Garai)
John Newton (Albert Finney) est l'auteur de l'hymne "Amazing Grace."
John Newton (Albert Finney) est l'auteur de l'hymne "Amazing Grace."
William Wilberforce (Ioan_Gruffudd)
William Wilberforce (Ioan_Gruffudd)
Lord Fox (Michael Gambon)
Lord Fox (Michael Gambon)
Youssou Ndour and Ioan Gruffudd © Samuel Goldwyn Films
Youssou Ndour and Ioan Gruffudd © Samuel Goldwyn Films

Faire en sorte que cette "glorieuse infamie" qu'est l'esclavage s'abîme à jamais dans les pages de l'histoire et autorise le rêve à la liberté et à la dignité. En termes raccourcis, voilà le combat que mène William Wilberforce (Ioan Gruffud), jeune humaniste élu à La Chambre des Communes au tournant du XIXème siècle, afin que l'Angleterre restitue l'homme Noir à sa dignité ontologique. Ce rêve habite les images et paroles du film Amazing Grace. Un drame d'une heure cinquante huit minutes réalisé en 2007 par Michael Apted, projeté lors du festival du film européen à Dakar le 21 novembre 2008.

La scène d'ouverture offre un regard métaphorique sur un cheval noir violenté par son maître à coup de cravache… Et le reste semble être bien dit. L'analogie est bien réussie : le Noir tient le rang d'un animal aux yeux de son maître. De quoi irriter Wilberforce que le hasard amena sur les lieux à bord de sa voiture (chariot). La scène est reprise sous des modalités diverses tout au long du film : en paroles, en souvenirs… Par elle, Michael Apted déroule toute son histoire.

Et l'on s'avance par le regard dans Amazing Grace en suivant les sonorités de la musique d'opéra teintée de violon pour découvrir les inhumanités rebelles à la conscience lucide dans la Chambre des Communes et au sein de laquelle se distingue au premier plan, Ducke of Clarence, cet homme de courte taille, à la mine marquée par le dédain, fiévreux jusqu'au poil de son désir de voir l'empire maintenir sa gloire par le commerce des Esclaves.

Wilberforce, ramenant le sens de sa vie à l'amour de Dieu et à l'amour de l'homme, l'affronte avec des forces dérisoires, parce que face à la majorité lui et ses compagnons dont le Premier ministre, William Pitt, se sentent "isolés dans leurs opinions". Ce dernier ne lui laisse pourtant pas le choix dans cette mission d'abolition de l'esclavage qu'il lui a confié. "Utiliseras-tu ta belle voix pour chanter les louanges de Dieu ou pour changer le monde ?", lui lance-t-il.

Quand bien même il se sent proche de Dieu, Wilberforce sait qu'il doit se battre pour rétablir l'humain à sa place. C'est là que se révèle l'importance du personnage d'Oloudaqh Equiano (incarné par le chanteur Youssou Ndour), un esclave affranchi qui fit ses mémoires. Des mémoires vendus en 50.000 exemplaires en deux mois et dans lesquels s'effeuillent les souffrances des déportés pour d'autres terres. Se joignant au combat du jeune député, ses mots sont lourds de peine quand il s'exprime : "les déchets et les urines des esclaves remplissaient les cales (des négriers) pendant trois jours", confiait-t-il. Ce n'est point gai.

Plus loin dans le film, dialectique de la mémoire et du repentir : John Newton, esclavagiste repenti à la conscience alourdie par le pêché, se sait "vivre en compagnie de vingt mille fantômes". Sa seule chance, croit-il, serait de se réconcilier avec sa foi en Dieu : "Je suis un grand pêcheur, et Jésus-Christ est un grand sauveur".

L'espoir, malgré les antagonismes, se trouve dans "ce rouleau de papier" (une pétition), recueil de signatures d'êtres révoltés par ce "commerce qui rabaisse l'homme au niveau des brutes", pour faire plier les 300 députés de La Chambre dont le refrain, par la voix de Ducke of Clarence, est d'une froideur sans mesure : "S'il n'y avaient pas d'esclaves, il n'y aurait pas de plantations. Sans plantations, comment remplirions-nous les coffres du roi ?". Pour ces adeptes de l'esclavage, "ce papier sent la rébellion". Une rébellion qui sera malgré leurs réticences, constructive de la nouvelle condition émancipatrice du Noir.

De ces plantations évoquées, Barbara, la belle femme de Wilberfore, semble ressentir le calvaire des Noirs au point d'en détester le sucre. Pour elle, "il y a littéralement du sang d'esclave dans chaque morceau de sucre". Là se révèle la force de l'écriture du film. Son réalisateur manie la langue avec aisance et en arrive à toucher la sensibilité du cinéphile. Un effort linguistique aux confins du lyrisme, à saluer.

Amazing Grace, c'est aussi le décor des lieux, les bateaux à voile, les costumes vous ramenant à l'atmosphère de ce XIX siècle marqué par l'agitation des idées fortes pour l'égalité des hommes.
Un film constructif et important dans l'entreprise de sauvegarde de la mémoire des esclaves et du souvenir du combat louable des hommes blancs pour la cause du Noir.

Bassirou NIANG

Article paru dans l'hebdomadaire dakarois DAKAR SOIR, N°5.

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