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"Nous finançons dix films chaque année"
Bernd Wolpert, directeur général de l'EZEF
critique
rédigé par Fortuné Bationo
publié le 27/01/2009
Fortuné Bationo
Fortuné Bationo

Dans le bureau de Bernd Wolpert, directeur général d'EZEF, organisme allemand de promotion et de financement des films du sud, les images du sud remplissent les yeux de belles affiches de films, qui indexent des batailles sociales à gagner, des dignités à redresser. Voila qui fonde l'engagement de cette structure allemande auprès des films africains qui gagnent, grâce à elle, une bouffée d'oxygène et une fenêtre inespérée.
Entretien.

Comment est née la structure que vous dirigez ?

La structure est très complexe. Dans les années 70, il y a eu une sorte de réunion de toutes les églises œcuméniques du monde à l'exception de l'église catholique. Ce conclave a décidé de soutenir les initiatives de développement en direction des pays du sud. L'église protestante allemande a donc créé la EED (Evangelische Entwicklungsdienst e.V. ; "Service de Développement de l'Église") structure qui finance entre autres EZEF.
Organisme œuvrant dans le domaine du développement par un soutien aux projets cinématographiques, EZEF travaille donc étroitement avec les pays en voie de développement. Aujourd'hui on n'emploie plus ce terme là, on dit plutôt pays du sud qui sont l'Asie, l'Afrique et l'Amérique Latine. Les églises avaient des églises partenaires en Afrique et en Amérique Latine. Dès le début des années 80 et surtout en 90, il y avait beaucoup de films qu'on ne pouvait louer que chez nous, pour la bonne raison que nous avions les droits non commerciaux. Il faut savoir que les films africains n'étaient pas disponibles chez un distributeur commercial où atterrissaient - comme certains films de Sembène Ousmane - dans une cinémathèque. Ce qui rendait la location du film trop chère. Nous étions donc connus dans ce domaine là. Par contre, les films d'Amérique Latine avaient souvent un distributeur commercial en Allemagne. L'organisme fédéral pour l'éducation politique (Bundeszentrale für politische Bildung) avait mis en place un programme de trois ans sur l'Afrique noire dénommé Focus Afrika-Africome 2004-2006. La styliste Oumou Sy en a bénéficié au niveau de la mode. Cet organisme s'est adressé à EZEF pour réfléchir autour d'un programme commun sur le cinéma africain. C'est là qu'on a monté ce projet.
Souvent, nous coproduisons les films, accordons une subvention et après, une fois le film terminé, nous le regardons en comité pour décider de le prendre en diffusion non commerciale ou pour en faire un Dvd. Parfois nous regardons un film et le mettons en diffusion. C'est toujours dans un but non commercial.

Quels sont les thèmes qui vous intéressent ?

Les thèmes qui retiennent notre attention sont ceux qui ont trait au développement, au dialogue interculturel, à la coopération au développement, aux droits des enfants, aux droits humains, des thèmes qui ont en tout cas une importance sociale ou culturelle. Mais cela dit, ce doit être aussi des vrais films au niveau artistique. Pas seulement quelqu'un qui fait passer un message. À titre d'exemple, je peux citer le film Guelwaar qui soulève la question des conflits entre religions, l'aide au développement, sans oublier Moolaadé qui met en scène les droits des femmes, la libération de la femme, l'excision... Il est évident que Sembène Ousmane est un grand artiste. Prenons le cas du film Les Saignantes ; même si c'est un film esthétiquement intéressant, c'est une œuvre que nous ne ferons pas pour notre public.

Quels sont les problèmes que vous rencontrez dans la mise en œuvre de votre programme ?

En Amérique latine, des structures existent souvent dans les pays. Il y a les producteurs et l'aide de l'État. Ce qui est absent en Afrique noire et où le réalisateur devient son propre producteur, son propre distributeur. Dans les pays d'Amérique latine, les gens font les films en un an, ce qui est loin d'être le cas en Afrique. L'Afrique, ce n'est pas un seul cinéma. Pendant longtemps le cinéma d'Afrique francophone était le plus en vue, mais qui était aussi financé à 90% par la France parce qu'il y avait l'argent là bas. Je ne vais pas parler de ce que cela a crée peut-être comme dépendance culturelle mille débattus par les cinéastes africains eux mêmes. Le fait est que c'était ainsi. Au Kenya, ils ont beaucoup plus de problèmes pour trouver des financements. Depuis quelques années, il y a des phénomènes comme Nollywood au Nigeria comme phénomène qui remet tout cela en question parce que ce cinéma n'a pas justement cette dépendance d'argent. Je n'entre pas ici dans un jugement sur la qualité artistique de ces films. Nollywood est indépendant financièrement parce qu'il produit pour son propre marché. Quand on parle de cinéma africain, est-ce qu'on parle de l'Algérie, de l'Afrique du sud ou du Nigeria ? Il y a quand même des réalités économiques et culturelles différentes.

Quand vous devez financer un film africain, est-ce que vous tenez compte du public africain ou c'est seulement le public européen qui vous intéresse ?

Très clairement, nous nous intéressons aux films qui doivent fonctionner des deux cotés. Notre travail c'est pour ici mais les films doivent pouvoir fonctionner pour leur propre public. Il y a certains films, certains projets qui doivent donner l'impression de pouvoir être compris par le spectateur allemand. On peut se dire que ce film n'est pas pour nous, ce n'est pas pour le public allemand mais se rendre compte par la suite qu'on s'est trompé de jugement et on le prend quand même en distribution. Le Malentendu colonial de Jean Marie Teno est par exemple un nouvel élément dans le débat sur l'histoire du colonialisme. Quand le film a été montré à Ouaga, il y a des Africains qui sont venus remercier le réalisateur en disant : enfin un Africain qui se penche sur ce sujet. C'est entièrement dans notre esprit de contribuer à ce genre d'échanges. Dans les années 70, il y avait beaucoup de films qui traitaient de l'apartheid. Parce qu'en Allemagne, il y avait un grand mouvement antiapartheid au sein de l'église. Il y avait déjà un grand intérêt pour l'Afrique mais orienté vers cette direction.

Comment fonctionnez-vous ?

Il y a de bonnes infrastructures non commerciales en Allemagne. Dans chaque région, on trouve des centres de médias de l'église. Il y a en en tout 20 en Allemagne. Quand nous sortons un Dvd, chacun de ces centres en reçoit un exemplaire. Et les gens qui travaillent dans les écoles peuvent louer gratuitement le film chez nous. Le même circuit existe aussi bien à l'église catholique qu'au niveau de l'Etat. Nous organisons aussi des tournées avec les réalisateurs, soit dans les salles de cinéma, soit dans les lieux publics où le réalisateur accompagne le film. On le fait deux à trois fois par an. Ayant obtenu plus d'argent pour le projet sur trois ans, on a donc organisé 4 tournées dans toute l'Allemagne, dans 10 villes à peu près. Cela dépend bien sûr de la disponibilité du réalisateur. Avec Sembène Ousmane, nous avons sillonné trois villes, à cause de son âge très avancé, il ne voulait pas faire plus. Avec Jean-Marie Teno, nous avons fait 11 villes. Ça c'était trop et on est fatigué de voyager chaque jour avec la copie d'un film d'un lieu à l'autre. Lors des tournées, les élèves constituent une belle cible. On organise aussi des séminaires pédagogiques, pour montrer comment travailler avec les médias. Là, les professeurs viennent pour une présentation des nouveaux films qu'on a faits. Nous montrons comment utiliser le matériel d'accompagnement, parce que les films du sud sont bien sûr différents d'un film allemand où les enfants connaissent déjà tout le contexte. Il faut, pour une plus large compréhension de ces films, associer des gens qui comprennent le contexte. Pour le matériel d'accompagnement sur Le malentendu colonial, nous avons invité une théologienne basée à Genève (travaillant au Conseil économique des églises et qui vient d'Afrique, je crois du Bénin) pour faire partager son regard sur la question. Elle a beaucoup travaillé sur ce sujet.

Les guichets de financements se font rares. Avez-vous l'ambition d'accroître votre soutien aux films africains ?

Nous avons deux personnes qui travaillent ici. La capacité de travail est limitée. On reçoit à peu près 100 projets de demande de cofinancement par an. On en finance que dix parce qu'il faut accompagner les choses. Ce n'est pas la peine de donner des broutilles à trente projets et être par la suite incapable de les suivre au niveau de la sortie. On ne peut pas financer plus que dix films. C'est une contribution. Ce qui est certainement très important et qui est le bon exemple du Nigeria, c'est qu'il y a des structures dans certains pays même qui financent le cinéma. Le cinéma de certains pays évolue vers une certaine indépendance vis-à-vis des financements extérieurs.

Depuis que vous avez mis en place votre structure d'échange et de dialogues culturels, sentez-vous des résultats qui poussent à l'optimisme ?

Il y a des choses positives et négatives. J'ai une fois rencontré quelqu'un qui m'a confié avoir vu le film Yaaba par le biais de nos activités. Parfois, on se rend compte de l'ignorance complète des films africains par les élèves. On était avec l'ancien secrétaire général du Fespaco, Baba Hama. On a projeté un film dans une salle de 100 personnes. Quand on a demandé si quelqu'un a vu un film africain, notre surprise a été grande de savoir qu'il n y avait personne. Toutefois, de nombreux jeunes, s'ils ont vu quelque chose, c'est à l'école. Par exemple un film comme A nous, la rue ! de Mustapha Dao qui parle des enfants de la rue riant et jouant. Ce film est beaucoup demandé parce que c'est aussi un court métrage. Les professeurs l'utilisent beaucoup. Je suis convaincu que ceux qui ont vu ce film ne vont jamais l'oublier et auront un autre regard sur l'Afrique qui n'a rien à voir avec la misère et la famine.

Interview réalisée à Stuttgart par Fortuné Bationo

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