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L'Absence, de Mama Keïta
Une saison en enfer
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 15/03/2009
Hassouna Mansouri
Hassouna Mansouri
Le réalisateur et scénariste Mama Keïta
Le réalisateur et scénariste Mama Keïta
Le Sourire du serpent, 2006
Le Sourire du serpent, 2006
L'Absence, 2009
L'Absence, 2009
L'Absence, 2009
L'Absence, 2009
L'Absence, 2009
L'Absence, 2009
L'Absence, 2009
L'Absence, 2009
Mama Keïta
Mama Keïta

Au dernier FESPACO, Mama Keita a remporté le prix du meilleur scénario. La consécration est largement méritée. L'auteur de L'Absence est un cinéaste habité par les soucis de la recherche formelle au niveau de la mise en scène. Refusant le ghetto du cinéma africain à la calebasse, ses histoires sont généralement celles de personnages modernes et ses sujets sont actuels. Il accompagne cette tendance générale d'un travail exigent au niveau de la mise en scène.

Le sourire du serpent, le film précédent de Mama Keita, était une espèce d'exercice par lequel le cinéaste s'est imposé des contraintes au niveau des unités de lieu et de temps. L'action se passait dans une gare de train et pendant quelques heures de la nuit. Par ce choix, les personnages sont obligés d'être dans un rapport de corps à corps les uns avec les autres. De cette confrontation naît la tension dramaturgique qui donne au film son rythme et aux personnages toute leur épaisseur.

L'Absence_BandeAnnonce from sebastien touta on Vimeo.



Dans son nouveau film, Mama Keita adopte le même dispositif. Toute l'histoire tient dans un lieu, plus symbolique que réel, Dakar, et dans un intervalle de temps limité à 48 heures. On comprend bien qu'il s'agit plus d'un dispositif mental que réel. Et c'est là que nous touchons à l'effort d'abstraction que tente le réalisateur. L'idée de Mama Keita est de parvenir à mettre les personnages dans un contexte de contrainte et de provoquer la tension dramatique qui donne le rythme du film. L'exiguïté de l'espace et la limitation dans le temps met les personnages sous le poids d'une pression psychique qui les pousse à chercher à échapper. L'Absence est le lieu d'opposition entre deux mouvements : le premier est celui qui porte le personnage vers l'envol, l'autre est celui qui le tire vers le bas et l'attache de plus en plus à une réalité et un monde qu'il fuit.

Après 15 ans, Adama est forcé à rentrer chez lui à Dakar. Ses obligations professionnelles ne lui laissent que deux jours de répit. Un télégramme lui a annoncé que sa grand-mère, le seul lien qui l'attache à son pays, semble mourante. Il s'exécute comme pour se débarrasser d'un dernier fardeau. Il avait fait son programme pour repartir dans les 48 heures.

Le cours des évènements en décidera autrement. Les rencontres qu'il fera et l'atmosphère même de Dakar, l'amènent petit à petit à changer de perspective. La relation avec la grand-mère se dénoue comme une tresse en plusieurs liens. Adama est confronté d'abord à sa sœur. Il apprend que c'est elle l'auteur destinateur du télégramme mensonger qui l'a contraint à venir. On comprendra qu'il y a une grande tension entre les deux qui ne cessera pas de peser de plus en plus sur la conscience du personnage. La force avec laquelle il rejette sa sœur semble émaner de la peur de tout lien qui viendrait s'ajouter pour l'attacher au Sénégal.



Ce déchirement entre le désir de repartir le plus tôt possible et la peur de rester se traduit par l'atmosphère générale du film. Les évènements sont très serrés dans le temps chez Mama Keita. L'atmosphère tendue de cette descente aux enfers de L'Absence est rendue par le montage parallèle et l'image nerveuse de la caméra portée. Les limites dans le temps et dans l'espace donnent au film une profondeur qui est le fruit d'un travail sur la confrontation des personnages les uns aux autres. Le film se construit plus sur les tensions que sur la succession des événements, d'où son rythme frénétique.

La tension vient moins des forces externes au personnage que d'une volonté enfouie dans la conscience profonde du personnage. La confrontation avec la sœur, va être doublée de celle de l'ami d'enfance, puis du professeur qui avait contribué à la bourse qui a permis au jeune chercheur de partir à l'étranger. Toutes les rencontres que le personnage fera vont dans le même sens : le rappeler à son origine. Autant il y a un désir de repartir le plus tôt possible, autant les arguments de rester se multiplient. Il y a des fois même où le discours versent dans un moralisme naïf qui trahit et affaiblie la tension psychique du personnage.


L'ABSENCE de Mama Keita EXTRAIT 2 par IsabelleBuron



Mais outre les rencontres avec les anciennes connaissances, c'est surtout la déambulation à Dakar qui tire le personnage progressivement vers la terre comme par l'effet des lois de la pesanteur. Au départ l'errance est volontaire. Adama va rendre visite à son ami puis à son professeur. L'action ne tarde pas à connaître une accélération soudaine. Un tournant dramaturgique arrache le personnage à sa disposition mentale initiale : il ne cherche plus à se débarrasser de ses attaches, il met toute son énergie à récupérer sa sœur. Le psychodrame tourne soudain en un polar où l'intellectuel est propulsé dans la peau d'un enquêteur, mais dont les maladresses se multiplient et en font plutôt une parodie des films policiers à la hollywoodienne.

La promenade qu'Adama fait à la faveur de ses visites de courtoisie tourne en une recherche tendue de la sœur qui est enlevée par un groupe de mafieux. Les péripéties se succèdent rapidement et le montage devient plus syncopé enfonçant le personnage dans le fond d'un Dakar qui se transforme en un fil d'araignée enveloppant Adama progressivement. Celui-ci se trouve pris malgré lui dans des situations où il est poussé à poursuivre un nain qui s'envole avec son argent, ou obligé de faire le taximan et même l'ambulancier pour emmener une femme sur le point d'accoucher.

Le film progresse dans le sens de la perte de la volonté. Au départ, Adama est un homme de science qui semble décider de son propre sort. À la fin, il est complètement désarmé face à des forces qu'il est incapable de contrôler. Mama Keita leur donne des formes palpables que sont les différents personnages. Mais le tout n'est que Dakar, avec toutes ses composantes. C'est le Dakar des petites gens, celui des criminels, celui des hommes de science, ou des liens familiaux. C'est surtout le Dakar qui est en tout un chacun et avec lequel le personnage finit par se réconcilier comme avec ses propres souvenirs. Le voyage entrepris par Adama n'est en fin de compte qu'un processus par lequel il se retrouve au moment et à l'endroit qu'il a toujours fuit, là où il se regarde lui-même dans le miroir pour n'y voir que sa propre âme.

Hassouna Mansouri

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